L’Etat peut être responsable du fait d’une loi inconstitutionnelle

Par une décision rendue aujourd’hui, le Conseil d’État juge qu’une personne peut obtenir réparation des préjudices qu’elle a subi du fait de l’application d’une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

 

 

Il n’est pas nouveau que l’Etat puisse être responsable du fait des lois.

le Conseil d’État a, par exemple, en 1938, reconnu l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des lois, mais non pas sur le fondement d’une faute (la faute pouvant être une illégalité), mais sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, avec un préjudice anormal, quand de la loi nait une telle rupture et que le législateur n’a pas entendu créer une telle inégalité (CE, Ass., 14 janvier 1938, Société la Fleurette, 51704), la juriprudence ayant évolué ensuite sur l’interprétation de la volonté du législateur (CE, 2 novembre 2005, Société coopérative agricole Ax’ion, n° 266564).

Sources ; voir CE, 30 juillet 2003, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre, n° 215957 ; CE, Assemblée 22 octobre 2010, Mme Bleitrach, n° 301572 ; CE, Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique, n°50515.

Ce raisonnement a été appliqué ensuite au titre de la responsabilité de l’Etat pour ses relations internationales (CE, Section, 29 octobre 1976, Ministre des affaires étrangères c/ consorts B., n°94218 et, surtout, CE, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522) ou au titre des principes généraux du droit de l’Union Européenne (CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, n° 354365,).

Le Conseil d’Etat n’avait en revanche, jusqu’ici, jamais tranché la question s’agissant d’une loi contraire à la Constitution. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, en effet, une loi déjà entrée en vigueur peut être abrogée par le Conseil constitutionnel si celui-ci juge qu’elle méconnaît la Constitution. C’est la procédure de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC). Lorsqu’une loi est ainsi « abrogée », elle n’a plus d’effet à partir du jour de son abrogation, déterminé par le Conseil constitutionnel.

Dans sa formation de jugement la plus solennelle, l’Assemblée du contentieux, le Conseil d’État admet aujourd’hui que la responsabilité de l’État peut en principe être engagée en raison d’une loi déclarée contraire à la Constitution. Il juge ainsi que si des personnes ont subi des dommages (pertes financières, préjudices de toutes sortes, etc.) directement du fait de l’application de cette loi avant son abrogation, elles pourront en obtenir réparation en saisissant le juge administratif.

La responsabilité de l’État est en principe ouverte, sous plusieurs conditions

Le Conseil d’État précise les conditions nécessaires pour qu’une telle demande de réparation puisse aboutir :

  • elle est possible dans les limites fixées par la décision du Conseil constitutionnel, qui tire de la Constitution le pouvoir de préciser les effets dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi et peut donc toujours décider de fermer ou de restreindre la voie à toute demande d’indemnisation ;
  • les dommages subis doivent trouver leur cause directe dans l’application de la loi inconstitutionnelle ;
  • la demande doit être faite dans les quatre années suivant la date à laquelle les dommages subis peuvent être connus dans toute leur étendue, sans que la décision du Conseil constitutionnel rouvre ce délai (règle de prescription quadriennale qui peut être opposée au demandeur par l’administration).

Dans le cas qui lui était soumis et qui concernait des dispositions législatives relatives à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2013, le Conseil d’État estime qu’il n’existe pas de lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de ces dispositions et le préjudice subi par les demandeurs, en l’occurrence deux entreprises et un salarié. Il rejette par conséquent leur demande d’indemnisation.

Voici cet important arrêt du CE :
CE, Ass., 24 décembre 2019, n° 425981, 425983 et 428162 [3 espèces différentes]