En milieu de semaine dernière, nous vous informions de la teneur du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ce projet de loi prévoyait que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, toute mesure permettant de déroger aux règles notamment budgétaires et fiscales applicables par les collectivités locales. Depuis le texte a été discuté en séance par le Sénat puis l’Assemblée Nationale et a fait l’objet d’un consensus en Commission Mixte Paritaire sur les points de désaccord entre les deux chambres.
Ce matin, nous vous informions très brièvement sur ce point :
L’occasion de demander à Fabian MEYNAND du cabinet Partenaires Finances Locales, ce qu’il ressort du texte définitif.
Question 1 : on le voit bien, entre le texte initial, l’avis du Conseil d’Etat et le texte définitif issu de la CMP, la recomposition des organes délibérants et le report du second tour des élections municipales sont chaque jour un peu plus compliqués que la veille malgré un travail important des services de l’Etat. Et du point de vue des budgets, en est-il de même ?
Du point de vue budgétaire les règles sont assez claires. Tout d’abord, rappelons que dans un certain nombre de collectivités, les équipes sortantes ont fait le choix de voter leur budget 2020 avant les élections municipales. Pour celles-ci, par définition, il n’y pas de soucis particulier quant à l’adoption du budget puis que c’est déjà fait. Pour les autres, si la règle de droit commun prévoit un vote des budgets, les années de renouvellement des organes délibérants, avant le 30 avril (date prévue à l’article L. 1612-2 du CGCT) avec une possibilité d’aller au-delà en cas d’absence de communication par les services de l’Etat à l’organe délibérant d’informations indispensables à l’établissement du budget, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 prévoit dans son article 7A, que pour l’application à l’exercice 2020 de l’article L. 1612-2 du CGCT, la date à compter de laquelle le représentant de l’État dans le département saisit la chambre régionale des comptes (CRC) à défaut d’adoption du budget est fixée au 31 juillet 2020 … en lieu et place du 30 avril 2020 donc.
Un délai supplémentaire de 3 mois qui est le bien venu eu égard aux revirements de ces derniers jours quant à la mise en place des conseils municipaux élus au 1er tour des élections et quant à la composition mixte et transitoire des conseils communautaires.
Question 2 : en est-il de même pour le vote des taux de fiscalité directe locale ?
La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ne le dit pas aussi explicitement que pour le vote du budget, l’article 1639 A du CGI qui prévoit la transmission aux services fiscaux au plus tard le 30 avril 2020 par les conseils municipaux et communautaires des taux ou produits de fiscalité directe locale votés, n’étant pas cité par le texte adopté ce dimanche par la CMP. Pour autant, l’on ne voit pas comment il peut en être autrement et en cela la date du 31 juillet 2020 devrait donc également faire référence en matière de vote des taux de fiscalité directe locale.
Ajoutons, qu’il est probable que le report de la date de communication du vote des taux aux services fiscaux soit d’ailleurs précisé prochainement par ordonnance puisque, comme tu l’as souligné, l’article 7 de la loi d’urgence prévoit que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure permettant de déroger aux règles aux règles d’adoption et d’exécution des documents budgétaires, de communication des informations indispensables à leur établissement, ainsi qu’aux dates limites d’adoption des délibérations relatives au taux, au tarif ou à l’assiette des impôts directs locaux ou à l’institution de redevances.
Question 3 : et le vote des comptes administratifs … est-il également repoussé ?
Oui là aussi la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 est sans équivoque. En effet, l’article 7A qui a été ajouté lors de l’examen du texte par le Sénat, prévoit que par dérogation à l’article L.1612-12 du CGCT, le vote de l’organe délibérant arrêtant les comptes de la collectivité territoriale ou de l’EPCI au titre de l’exercice 2019 doit intervenir au plus tard le 31 juillet 2020.
Les collectivités locales et les services fiscaux (même si les comptes de gestion sont très probablement déjà prêts) vont donc pouvoir respirer un peu.
Notons d’ailleurs que la concomitance des dates butoirs d’adoption des budgets et comptes administratifs au 31 juillet 2020 permettra, pour les collectivités qui le souhaitent, une reprise plus aisée des résultats N-1 à l’occasion du vote du budget.
Question 4 : en attendant le vote des budgets, sur quelles bases les collectivités locales vont-elles pourvoir dépenser pour assurer la continuité des services publics ?
En la matière, L.1612-1 du CGCT prévoit que « dans le cas où le budget d’une collectivité territoriale n’a pas été adopté avant le 1er janvier de l’exercice auquel il s’applique, l’exécutif de la collectivité territoriale est en droit, jusqu’à l’adoption de ce budget, de mettre en recouvrement les recettes et d’engager, de liquider et de mandater les dépenses de la section de fonctionnement dans la limite de celles inscrites au budget de l’année précédente ». Cette règle peut donc continuer à s’appliquer y compris pendant cette période de crise.
S’agissant des dépenses de la section d’investissement, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a du adapter le texte et le caler sur la date du 31 juillet 2020. Ainsi est-il prévu, de façon dérogatoire pour 2020, que jusqu’à l’adoption du budget d’une collectivité territoriale ou d’un EPCI ou jusqu’au 31 juillet 2020, l’exécutif peut engager, liquider et mandater les dépenses d’investissement, dans la limite des sept douzièmes (en lieu et place du quart les autres années) des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent, non compris les crédits afférents au remboursement de la dette (ces derniers étant une dépense dite « obligatoire », les collectivités locales sont tenus de faire face aux échéances qui se présentent à elles).
Enfin, s’agissant des dépenses à caractère pluriannuel incluses dans une autorisation de programme ou d’engagement (AP/CP ou AE/CP) votée sur des exercices antérieurs, l’exécutif peut les liquider et les mandater dans la limite des crédits de paiement (CP) prévus au titre de l’exercice par la délibération d’ouverture de l’autorisation de programme ou d’engagement.
Les crédits correspondant devront ensuite être inscrits au budget lors de son adoption.
Question 5 : plusieurs collectivités ayant une envergure financière importante doivent respecter, dans la croissance de leurs dépenses, une trajectoire imposée par l’Etat. Peuvent-elles exceptionnellement y déroger ?
Oui, c’est d’ailleurs l’une des avancées permises à l’occasion de la discussion du texte devant le Sénat. En ce sens, l’article 7 bis de la loi d’urgence, a prévu que les V et VI de l’article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, loi qui prévoyait cette trajectoire et le pourcentage de 1,2% de croissance des dépenses à ne pas dépasser, ne sont pas applicables aux dépenses réelles de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l’année 2020 des collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre mentionnés aux trois premiers alinéas du I du même article 29. Bref, en ces temps de crise, l’Etat qui lui même va laisser filer son déficit et certainement son endettement, lâche également un peu de lest pour les collectivités.
Pour autant, si cette disposition répond là aussi à du bon sens, il n’est pas certain que le problème d’équilibre budgétaire pour ces collectivités se situe réellement dans ses charges. En effet, s’il y a une dégradation financière et budgétaire des collectivités locales en 2020, il est probable que la source sera plus à trouver dans le manque de recettes, notamment pour celles d’entre elles qui dépendent des recettes économiques (CVAE et TVA notamment), que dans un excès de dépenses. D’ailleurs, le projet de loi de finances rectificative corrigeant les prévisions de croissance et inscrivant dans le texte une croissance négative (autrement dit une récession avec une prévision d’évolution du PIB d’environ – 1 % en 2020) fait plus que le présager.
Comme pour le virus, la vague du risque budgétaire est devant les collectivités et reste encore à venir.