Le juge peut-il annuler le lancement d’une DSP ou d’un marché de partenariat, pour cause de prix excessif du projet ?

Réponse : OUI mais le juge exerce sur ce point un contrôle relativement limité… mais tout dépend des types de contentieux dont il est question ce qui en réalité conduit à une réponse contrastée à cette question.

 

  • 1/ le juge peut être saisi d’un recours en annulation classique sur la délibération relative au mort de gestion (DSP) ou sur le choix de tel ou tel contrat (cas des marchés de partenariat classiquement) et, alors, le juge appréciera la pertinence du projet dans le cadre d’un contrôle assez limité de la pertinence, ou non, du projet.
    Car nous sommes là alors d’un contrôle assez restreint de ces  motifs.
    NB : ce que l’on appelle souvent le « contrôle des motifs », pour reprendre l’expression usuelle forgée par le professeur Léon Michoud  (voir ici) au début du XXe siècle (Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration, R.G.A, 1914, T. 3, p. 9 ; voir aussi R. Bonnard :«le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir», RDP, 1923, p. 363 à 392.) porte sur le contrôle de la pertinence même, en opportunité, d’une décision administrative (contrôle de proportionnalité en matière de police administrative ; de coût bilan -avantages en aménagement, de l’erreur manifeste d’appréciation en cas de contrôle restreint…).
    Sur le principe même du mode de gestion, le contrôle du juge est, selon les auteurs, soit minimal, soit — interprétation majoritaire — inexistant (CE, 18 mars 1988, n° 57893 ; voir surtout en ce sens CE, 27 janvier 2011, n° 338285…). Mais ensuite, en aval, sur le contrôle des motifs, qu’il s’agisse de définir le projet public, de découper le périmètre géographique ou technique du service à donner en délégation ou autre contrat complexe, le principe est celui d’un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation (l’arrêt de référence étant, certes portant sur le cas particulier de l’allotissement ou non : CE, 21 septembre 2016, 399656).
    L’on retrouve dans de rares cas, à contrario, un contrôle de ces motifs au stade de la décision de résiliation pour la collectivité justifiant de ce que le projet est au dessus de ses moyens financiers, argument qui est recevable dans son principe mais soumis au contrôle du juge (et, au stade de la résiliation, à un contrôle  qui semble — logiquement — assez poussé mais ce point pourrait être discuté. Voir pour un cas intéressant TA Clermont-Ferrand, 17 mai 2016, n°1402177, que nous avions commenté ici sous la forme d’un article, et que nous avions présenté là sous la forme d’une courte vidéo).
  • 2/ le juge peut aussi être saisi par un recours Tarn-et-Garonne par un tiers lésé (sur ces contentieux Tarn-et-Garonne, voir ici). Et, notamment, si le tiers lésé agit en tant que contribuable local, le juge impose au requérant de démontrer que le contrat dont il conteste la validité est « susceptible d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité » (CE, 27 mars 2020, n° 426291 ; voir : Quand un contribuable local peut-il engager un « recours Tarn-et-Garonne » ? ).

    NB : si le requérant à un tel contentieux est le préfet ou un membre de l’Assemblée délibérante, le mode de raisonnement sera différent.

  • 3/ le juge peut aussi être saisi au stade de la délibération sur le mode de gestion (DSP) ou sur le choix opéré en faveur de tel ou tel contrat complexe (cas des marchés de partenariat, classiquement) et, alors, le juge fera un contrôle qui ressemble à celui fait au fond, sur l’opportunité du projet (contrôle des motifs évoqué ci-avant en 1/) mais qui s’inscrit dans un tout autre cadre en fait puisqu’il s’agit de contrôler le sérieux d’un acte de la procédure qui sera justement le rapport fait à cette occasion, ce qui conduit selon nous à un contrôle plus poussé que dans l’hypothèse 1/. Un exemple récent et médiatique en fut l’annulation pour ce motif des marchés de partenariat de la ville de Marseille, par le TA puis la cour administrative d’appel (CAA Marseille, 27 décembre 2019, n° 19MA01714 : voir Marché de partenariat des écoles de Marseille : le juge admet d’interrompre la procédure en son début, au nom d’un contrôle poussé du choix financier (suite) ).

  • 4/ et puis il y a un autre angle d’attaque conduisant en défense à un autre raisonnement. Le recours peut venir en référé suspension, et l’importance financière, le caractère raisonnable ou non du projet, être examiné via la recevabilité du référé et donc l’appréciation de l’urgence puisqu’à ce stade le juge met en balance les intérêts en cause et étend donc son contrôle aux dépenses envisagées et à leur irréversibilité, ou non.
    Un exemple récent (qui nous a donné l’envie d’écrire cet article en fait…) illustre cette hypothèse.

    Par une ordonnance du 6 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté les requêtes tendant à la suspension de l’exécution du contrat de délégation de service public pour la conception architecturale et technique, la réalisation et l’exploitation de Grand Nancy Thermal.
    Le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a été saisi par plusieurs conseillers de la métropole du Grand Nancy et par plusieurs contribuables et usagers des piscines de Nancy-Thermal de deux requêtes tendant à la suspension de l’exécution du contrat de délégation de service public pour la conception architecturale et technique, la réalisation et l’exploitation de Grand Nancy Thermal.
    Pour justifier l’urgence, les requérants invoquaient une atteinte au patrimoine, aux finances de la collectivité et à la qualité du service public. Le juge des référés a considéré que ni l’atteinte au patrimoine, ni l’atteinte au service public n’était démontrée. S’agissant plus particulièrement de l’atteinte aux finances publiques — et c’est là que l’ordonnance est intéressante — le juge des référés a jugé qu’en se bornant à invoquer d’une part l’augmentation de l’enveloppe budgétaire du projet, d’autre part le montant total de la participation financière de la Métropole sur trente ans et enfin les incidences financières de la possible annulation du contrat, les requérants n’apportaient aucun élément de nature à établir que l’ensemble des charges financières liées à l’exécution du contrat en litige sont susceptibles d’affecter, au jour où il est statué, de façon substantielle les finances de métropole du Grand Nancy (mais le moyen n’est pas rejeté par principe).

    Source :  TA Nancy, ord., 6 juillet 2020, n° 2000773 et 2000869,  voir :