Indemnités de fonctions illégales et jurisprudence Ternon [suite]

Si une illégalité se glisse dans les indemnités de fonctions d’élus locaux, sauf fraude (pour schématiser), s’applique une alternative :

  • soit un recours recevable est déposé juste après la délibération indemnitaire… et il peut en résulter, parfois même pour des vétilles, une obligation pour les élus de rembourser les sommes reçues après annulation de la délibération par le juge (avec parfois des possibilités de se faire restituer une partie des sommes remboursées via l’enrichissement sans cause si les élus ont eu des frais inclus dans ce qui est couvert par les indemnités de fonctions).
    Pour un cas sévère, voir CAA de Marseille, 16 septembre 2019, 17MA02946 :

  • soit aucun recours n’est déposé après la délibération indemnitaire. Ce n’est qu’après que tel ou tel acteur local (souvent la CRC ou CTC…) se rend compte de l’illégalité ab initio de la délibération indemnitaire… et en ce cas, les sommes perçues dans le passé, sauf fraude et/ou faute pénale (pour schématiser), restent dues aux élus. Ce n ‘est que pour l’avenir qu’il faudra remettre les choses en conformité avec les canons de la beauté juridique.
    Les juristes publicistes auront là reconnu une application classique de l’arrêt Ternon (CE, Assemblée, 26 octobre 2001, Ternon, n° 197178, Rec. p. 497) et son application aux retraits de décisions accordant un avantage financier (CE, 25 juin 2012, n° 334544, rec. T. p. 534-567-818 ; CE, décision du même jour, n° 393467).
    Voir par exemple :

 

Une affaire devant le TA de Grenoble vient d’illustrer la seconde branche de cette alternative.

Passons sur l’irrecevabilité des requérants qui attaquent des années après des arrêtés de délégation de fonction du maire à ses adjoints, et qui :

  • sont évidemment irrecevables à ce faire puisque les délais de recours en ces domaines courent à compter de la publication ou de l’affichage de ces actes réglementaires (on peine d’ailleurs à comprendre pourquoi les requérants parlent de la décision Czabaj alors que nous sommes en présence d’actes réglementaires ?)
  • étaient hardis à penser qu’attaquer ces actes suffisait par exception d’illégalité à faire tomber les indemnités de fonctions…

 

Plus intéressante, car confirmative de l’arrêt précité du CE en date du 13 décembre 2017, dans un domaine où l’on note peu de jurisprudences, est la position du TA de Grenoble aux points 16 et 17:

« 16. En tout état de cause, une décision administrative explicite accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire, alors même que l’administration avait l’obligation de refuser cet avantage. Il en va de même, dès lors que le bénéfice de l’avantage en cause ne résulte pas d’une simple erreur de liquidation ou de paiement, de la décision de l’administration accordant un avantage financier qui, sans avoir été formalisée, est révélée par les circonstances de l’espèce, eu égard notamment à la situation du bénéficiaire et au comportement de l’administration.
« 17. Il ressort des pièces du dossier que les versements des indemnités de fonctions à Mme O…, à Mme K…, à M. D…, à M. H… et à M. C…, répétés mensuellement sur le fondement de la délibération du 22 avril 2014 du conseil municipal votant le montant des indemnités et des arrêtés de délégation de fonctions pris par le maire, ne peuvent être regardés comme une simple erreur de liquidation ou de paiement, mais comme résultant d’une volonté manifeste de la commune, de payer ces sommes. En l’absence de toute manœuvre frauduleuse pour les obtenir, ces versements doivent être regardés comme procédant de véritables décisions de l’administration, lesquelles ne pouvaient être retirées que dans le délai de quatre mois après être intervenues et ce, même si elles étaient illégales. En l’absence de tout retrait intervenu en temps utile, les droits ainsi acquis par ces conseillers municipaux font obstacle à ce que le maire émette des titres exécutoires en vue de recouvrer les indemnités qui leur ont été versées et, dès lors, à ce qu’ils soient condamnés à rembourser les indemnités qu’ils ont perçues.»

Source : TA Grenoble, 30 juillet 2021, n° 1803429

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