Peut-on rejouer le calcul des AC ? Ou est-ce se mettre hors jeu ?

Tant le principe de sécurité juridique que les règles mêmes de l’article 1609 nonies C du CGI s’opposent à ce que l’on recalcule une attribution de compensation au motif que l’on aurait, initialement, oublié telle ou telle dépense dans le calcul des charges transférées au stade de la CLECT. 

  • I. Les règles du jeu 
  • II. Recalculer l’AC… ce n’est « pas du jeu »
  • III. Tricher n’est plus de mise
    (avec notamment présomption de complétude des premiers calculs et une application en l’espèce du principe de confiance légitime)
  • IV. Voici ce jugement mettant hors-jeu le recalcul a posteriori des AC même au nom d’un prétendu oubli

 

Bref, respecter la règle du jeu vaut mieux que tenter d’en changer ou de renverser les équilibres après coup :

 

I. Les règles du jeu

 

En intercommunalité à fiscalité professionnelle unique (FPU), la communauté perçoit des impôts en lieu et place des communes, la communauté gère des compétences en lieu et place des communes… et les communes reçoivent une attribution de compensation qui, très schématiquement, et sauf accord dérogatoire, est égale à :

  • la recette des impôts de l’année n-1 avant passage en FPU
  • moins les charges transférées qui par défaut sont calculées comme étant la moyenne des dépenses antérieures pour la part fonctionnement (à calculer sur un nombre de comptes administratifs que l’on peut fixer librement depuis 2004), d’une part, et le coût annuel moyen pour la part investissement, d’autre part.

Le tout étant mis en musique par le très fameux et très difficilement lisible article 1609 nonies C du CGI, que j’ai tenté d’expliquer mille fois, de mille manières différentes, depuis… 1994.

Ce régime de la fiscalité professionnelle unique (FPU ; ex-TPU), propre à l’immense majorité des EPCI à fiscalité propre, commence à donner lieu à d’assez nombreuses jurisprudences, dont certaines surprennent les praticiens.

J’avais même fait une petite vidéo à ce sujet en en 9 mn 30, que revoici

https://youtu.be/Bh05WAytu3M

 

Une de ces jurisprudences vient d’être rendue et elle mérite qu’on s’y attarde un peu.

 

II. Recalculer l’AC… ce n’est « pas du jeu » (avec notamment présomption de complétude des premiers calculs et une application en l’espèce du principe de confiance légitime)

 

Un conseil métropolitain avait fixé le montant des attributions de compensation (AC) définitives de communes membres au titre de l’année 2018 et le montant des acomptes provisoires au titre de l’année 2019, ce qui a été contesté par la ville centre. 

Le litige portait notammentsur les calcul des AC relatives à la compétence voirie, laquelle avait été intégralement transférée… en 2015.

La commission locale d’évaluation des charges transférées (CLECT, ou parfois CLETC) avait rendu son rapport en novembre 2015, avec une estimation fixée alors à un certain montant.

Et puis… voici qu’en 2018 ladite CLECT opère un nouveau calcul de ces mêmes charges :

« transférées relatives à la compétence transférée ” voirie ” au motif que les ’ contrôles d’accès (bornes/barrières électriques ou mécaniques, potelets, etc.) ’ [n’auraient] pas été pris en compte dans l’évaluation initiale de 2015. »

 

On le voit, la question est donc de savoir si une CLECT dispose d’une session de rattrapage pour corriger ses erreurs initiales, au motif que les charges ont été transférées mais non calculées. Or :

  • à la date des faits comme à celle de ce jour, la CLECT n’avait et n’a que l’année suivant le transfert pour faire ses calculs (cf. les dispositions du IV de l’article 1609 nonies C du CGI), avec renvoi de la balle au Préfet, à défaut, avec d’ailleurs un mode de calcul un peu différent. On voit mal que ce cadre temporel permette ces corrections de bourdes après coup pour la métropole, en général sur fond de tensions à la fois politiques et budgétaires. 
  • une AC ne peut être indexée et, sauf AC libre (désormais fixe par une majorité qualifiée de l’organe délibérant avec l’accord des communes intéressées, notion qui elle-même donne lieu à moult débats…)… elle est calculée de manière fixe du point de vue des charges tant dans le mode de calcul que dans son évolution temporelle.

 

 

Face à ceci, l’EPCI à fiscalité propre avait-il un raisonnement juridiquement sophistiqué (en général ceux-ci tentent de trouver qu’il y a eu AC libre avec un renvoi, libre donc, vers une définition ultérieure de tel ou tel point… accepté ab initio donc….) ? Citons ledit raisonnement tel que traduit par le TA de Grenoble :

« 4. Pour justifier de la diminution de l’attribution de compensation (AC) versée à la commune de G. au titre de l’année 2018, la métropole […]  fait valoir que les dispositifs des contrôles d’accès et bornes électriques n’avaient pas été pris en compte en 2015 par la CLECT dans le calcul des charges transférées et qu’en conséquence, en présence d’un oubli de comptabilisation qui doit être assimilé à un nouveau transfert de charges, elle a pu légalement recalculer l’attribution de cette compensation dans les conditions prévues au 2° du V de l’article 1609 nonies C du CGI après avoir fait appel à nouveau à la CLECT pour procéder aux évaluations de ces charges conformément aux modalités prévues au IV du même article. »

Donc le raisonnement n’était que fondé sur une sorte de droit à l’erreur ou de droit à procéder en plusieurs fois pour corriger une omission. Une telle ligne de défense est rafraichissante tant elle parie sur la bonne volonté que l’on espère être celle du juge. Bref, l’avocat en défense manquait de jeu…

Mais il n’est pas de miracle. On ne peut demander au juge de tordre le texte au point de faire dire à celui-ci autre chose que ce qu’il pose nettement. Le juge n’a donc pu que constater que… ce qui a été dit, calculé, défini… et qui devait l’être dans un cadre technique et temporel donné… a été dit, calculé, défini. Avec une présomption de complétude ab initio :

« il est constant que le transfert de la compétence voirie effectué au 1er janvier 2015 a entrainé à cette date le transfert effectif à [la] Métropole de l’intégralité des moyens humains et matériels nécessaires à l’exercice de cette compétence dont font partie les dispositifs accessoires de « contrôles d’accès et bornes électriques ». Après ce transfert, la [CLECT] a remis son rapport le 26 novembre 2015 qui est censé comprendre le coût de l’ensemble des charges de voirie transférées à [la] Métropole en 2015.»

 

Ce point d’ailleurs découle aussi, et c’est tout à fait intéressant, selon le tribunal, du principe de sécurité juridique (lequel repose sur de nombreuses jurisprudences, à commencer par la célèbre décision Czabaj du 13 juillet 2016, n°387763) :

« En tout état de cause, à le supposer établi, l’oubli de comptabiliser une charge au moment du transfert de compétence ne peut s’analyser, notamment au regard du principe de sécurité juridique qui inspire les dispositions de l’article 1609 nonies C du CGI, comme un nouveau transfert de charge justifiant une nouvelle saisine de la CLECT et une révision du montant de l’attribution de compensation des communes »

 

 

Pire encore : les points 6 et suivants du jugement démontrent que ces coûts semblent bien avoir été pris en compte par la CLECT. Ce qui fait passer la nouvelle correction de l’AC, en 2018, non plus comme étant une tentative de correction maladroite mais repentante… mais au contraire comme étant une bonne et grosse tentative de double jeu.

 

Bref, le jeu de l’AC s’apparente à celui de la roulette au casino.

 

Une fois que chacun a fait ses jeu… rien ne va plus pour qui voudrait changer les mises :

 

 

III. Tricher n’est plus de mise

 

Les leçons à en retenir sont donc que :

  • il est illégal de recalculer une attribution de compensation au motif que l’on aurait, initialement, oublié telle ou telle dépense dans le calcul des charges transférées au stade de la CLECT… et ce :
    • tant en raison du principe de sécurité juridique
    • qu’en application du texte même de l’article 1609 nonies C du CGI
  • les seuls cas où il pourrait en aller autrement seraient peut être :
    • soit une AC libre avec renvoi à plus tard, expressément, du calcul de telle ou telle charge
    • soit une AC fixe avec renvoi à plus tard, expressément, du calcul de telle ou telle charge avec versement d’une AC provisoire sur ce seul point (et même là le cadre temporel d’intervention de la CLECT puis du vote de l’AC, tel que prévu par l’article 1609 nonies C du CGI, pourrait rendre cette solution fragile)
  • tricher en ces domaines pouvait se pratiquer sans trop de contentieux en d’autres temps, ceux de l’abondance financière généreusement répartie et des accords politiques très unanimistes, qui marquèrent la vie de tant d’intercommunalités pendant des décennies. Maintenant que l’on ne peut plus acheter la paix, d’une part, et que les intecommunalités sont, souvent, qu’on le regrette ou non, sorties de l’unanimisme total de leurs débuts… tricher n’est tout simplement plus de mise. C’est vieux jeu.

 

 

IV. Voici ce jugement mettant hors-jeu le recalcul a posteriori des AC… même au nom d’un prétendu oubli

 

Voici cette décision :

 

Bravo à notre consœur !