Zone Natura 2000 : avant tout arrêté en matière de pêche à pied, s’impose, pour le Préfet, selon une intéressante décision du TA de Rouen, une analyse des risques ou une évaluation d’incidences.
Voici cette décision dudit TA de Rouen, précédée d’un entretien avec M. Romain ECORCHARD, juriste en ce domaine, qui en l’espèce intervenait pour le compte de l’association requérante, à savoir France Nature Environnement (FNE) :
1/ Pourquoi avoir engagé ce recours ?
M. Romain ECORCHARD (RE) : France Nature Environnement travaille depuis plusieurs années sur l’objectif d’améliorer le niveau de protection des sites Natura 2000 en mer. On avait identifié, en amont, un manque d’encadrement des activités de pêche maritime dans les zones Natura 2000 en mer, notamment avec une absence systématique d’évaluation d’incidences Natura 2000. La situation dans la baie de la Somme nous paraissait incohérente, avec des remontées d’informations de l’association régionale, Picardie Nature, qui nous signalait que dans cet espace la pêche à pied professionnelle de la coque y est exercée de manière assez importante, sans évaluation d’incidences Natura 2000.
2/ J’interprète cette décision comme posant qu’en zone natura 2000, avant tout arrêté en matière de pêche à pied, le préfet devra procéder à une analyse des risques ou à une évaluation d’incidences Natura 2000 ? Etes vous d’accord avec cette compréhension ?
M. Romain ECORCHARD (RE) : Oui, c’était le but poursuivi par notre action en justice. Le législateur a prévu depuis la loi biodiversité de 2016 l’obligation de procéder à une analyse des risques de la pêche maritime dans les zones Natura 2000 maritimes. Cette disposition législative doit permettre d’appliquer les obligations de la directive “Natura 2000” (92/43/CEE) relatives aux obligations d’évaluation d’incidences Natura 2000. Cependant, cette démarche d’analyse des risques est engagée par l’Etat français avec beaucoup de retard, et elle n’est encore réalisée dans aucun site Natura 2000 marin. Ce que dit le tribunal administratif de Rouen, et c’était bien le sens de notre demande, c’est qu’en l’absence d’analyse de risques, et ce afin de se conformer à la directive Natura 2000, il faut au moins réaliser une évaluation d’incidences Natura 2000, mais à condition qu’il existe un risque significatif.
3/ Est-ce que selon vous cela s’impose uniquement dans certains de ces sites littoraux et Natura 2000 ? ou dans tous ? Peut-on transposer cela pour d’autres espaces Natura 2000 que les espaces littoraux ?
M. Romain ECORCHARD (RE) : Je pense que cela s’applique à tous les sites Natura 2000 marins, pour les activités de pêche maritime, quelle qu’elles soient. Notre action concernait une activité de pêche à pied littorale, mais cela pourrait très bien s’appliquer également à des activités de pêche en mer plus au large, par exemple dans les très grandes zones Natura 2000 maritimes du Golfe de Gascogne.
4/ Que comptez vous faire en termes associatifs sur la base de cette décision ?
M. Romain ECORCHARD (RE) : On est encore dans la réflexion. Au final, si sur le plan du principe le tribunal administratif de Rouen valide notre analyse sur l’obligation d’évaluation d’incidences Natura 2000, il rejette notre demande sur le fond en estimant qu’il n’y avait pas de risque significatif causé par l’activité de pêche à pied professionnelle de la coque. On pourrait interjeter appel sur ce point là.
On peut envisager de demander d’autres annulations d’autorisations de pêche dans des sites Natura 2000 sur le fondement de cette décision. On reste quand même prudent sur la portée jurisprudentielle de cette décision, parce qu’elle n’émane que d’une juridiction de premier degré.
On espère également envoyer un signal fort au ministère de la mer, qui doit désormais accélérer et faire un travail approfondi d’analyse des risques sans quoi il peut provoquer une très grande insécurité juridique pour les activités de pêche maritime actuellement autorisées. On espère avancer concrètement sur les connaissances scientifiques concernant les incidences des activités de pêche maritime sur la biodiversité en mer. Je fais le rapprochement entre cette décision et les actions juridiques et médiatiques que l’on mène également pour demander une réduction des captures des cétacés par les engins de pêche. On obtient petit à petit des améliorations sur ces sujets, même si on est loin d’être satisfait. L’action juridique est ici au service de demandes d’ordre politique.
5/ Savez vous si l’Etat compte interjeter appel ?
M. Romain ECORCHARD (RE) : nous le savons pas encore.
Voici cette décision :
TA Rouen, 16 décembre 2021, FNE, n°1904172
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