Le malheur des uns fait le bonheur des autres dit l’adage. Tel est ce qu’illustre parfois l’implacable logique juridique. Par un arrêt M. D… c/ collectivité territoriale de Corse en date du 14 février 2022 (req. n° 431760), le Conseil d’État a considéré que lorsqu’un agent est illégalement évincé de ses fonctions, l’obligation pour son administration de le réintégrer dans son emploi implique, lorsque cet emploi est unique, de retirer la nomination de celui qui l’avait remplacé, étant précisé que ce retrait, faute de constituer un licenciement, n’implique pour l’administration aucune obligation de reclassement. Seule une nouvelle décision d’éviction prise légalement est susceptible de faire obstacle à la réintégration effective dudit agent dans son emploi unique.
Les faits de l’espèce requièrent de ne pas perdre son fil d’Ariane. Par un arrêté du 23 janvier 2014, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a mis fin aux fonctions de directeur de l’agence du tourisme de la Corse, exercées par M. C…. Par un arrêté du 24 janvier 2014, cette autorité a nommé M. D… directeur de cet établissement à compter du 27 janvier suivant.
Or, par un jugement du 14 janvier 2016, le tribunal administratif de Bastia a annulé l’arrêté du 23 janvier 2014 et a enjoint à la collectivité territoriale de Corse et à l’agence du tourisme de la Corse de procéder à la réintégration juridique de M. C…. En exécution de ce jugement, le président du conseil exécutif de la collectivité a, par un arrêté n° ARR1600525 du 8 mars 2016, retiré son arrêté du 24 janvier 2014 portant nomination de M. D… et a mis fin aux fonctions de ce dernier à compter du 14 mars 2016. Par un arrêté n° ARR1600526 du même jour, il a réintégré M. C… dans ses fonctions de directeur de l’agence du tourisme de la Corse à compter du 14 mars 2016.
Goûtant peu le statut de victime collatérale, M. D… a demandé au tribunal administratif de Bastia d’annuler, d’une part, l’arrêté n° ARR1600525 du 8 mars 2016 par lequel le président de la collectivité territoriale de Corse a retiré son arrêté de nomination en qualité de directeur de l’agence de tourisme de la Corse et a mis fin à ses fonctions à compter du 14 mars 2016, et d’autre part, l’arrêté n° ARR1600526 du 8 mars 2016 par lequel M. C… a été réintégré dans ses fonctions de directeur de l’agence du tourisme de la Corse à compter du 14 mars 2016.
Par un jugement du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Bastia a annulé l’arrêté n° ARR1600525 du 8 mars 2016 et a enjoint à la collectivité territoriale de Corse de réintégrer M. D… Le soulagement de M. D… fut toutefois de courte durée car, à la demande de la collectivité territoriale de Corse, la cour administrative d’appel de Marseille a, par un arrêt du 23 avril 2019, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. D… tendant à l’annulation de l’arrêté n° ARR1600525 du 8 mars 2016.
M. D… s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État. En vain…
Car la Haute Assemblée a considéré que « lorsque le juge administratif annule une décision ayant évincé un agent occupant un emploi unique, l’intéressé bénéficie, en exécution de cette annulation, d’un droit à réintégration dans l’emploi unique dont il a été écarté, au besoin après retrait de l’acte portant nomination de l’agent irrégulièrement désigné pour le remplacer. Seule une nouvelle décision légalement prise par l’autorité compétente mettant fin, sans effet rétroactif, aux fonctions de l’agent illégalement évincé est susceptible de faire obstacle à sa réintégration effective dans les fonctions relevant de cet emploi unique. »
Il en résulte « que l’exécution du jugement du 14 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia avait annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 23 janvier 2014 mettant fin aux fonctions de M. C… comme directeur de l’agence du tourisme de la Corse impliquait non seulement la réintégration juridique de M. C… mais également sa réintégration effective dans l’emploi même qu’il occupait, cet emploi étant unique et M. C… n’ayant pas fait l’objet d’une nouvelle mesure d’éviction légalement prise par la collectivité de Corse. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour […] aurait méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 14 janvier 2016 en jugeant que l’exécution de ce jugement impliquait non seulement la réintégration juridique de M. C… mais également sa réintégration effective dans l’emploi même qu’il occupait doit être écarté. »
En outre, le Conseil d’État a précisé que « le retrait de l’acte portant nomination de l’agent désigné pour remplacer un agent illégalement évincé et réintégré dans l’emploi unique qu’il occupait, prononcé pour l’exécution d’un jugement d’annulation, ne constitue pas une mesure de licenciement et peut intervenir sans que soit recherché au préalable le reclassement de l’intéressé. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que le retrait de l’arrêté portant nomination de M. D… comme directeur de l’agence du tourisme de la Corse ne pouvait être regardé comme une mesure de licenciement et pouvait être prononcé sans préavis et sans que soit recherché au préalable son reclassement doit être écarté. »
Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :