Inéligibilité en Guyane ou en Martinique faute de respect des règles de compte de campagne : à droit spécial, application spéciale

L’article L. 118-3 du code électoral permet au juge de déclarer inéligible le candidat qui n’a pas satisfait à ses obligations de dépôt du compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits, en cas de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales.

Voir :

 

Oui mais en Guyane et en Martinique, départements d’outre-mer qui ont opté pour une assemblée unique valant à la fois conseil régional et conseil départemental (pour schématiser), un article spécifique a été prévu : l’article L. 558-14 du code électoral, créé par l’article 8 de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011.

Cet article fixe spécialement les conditions dans lesquelles le juge de l’élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), peut déclarer inéligible un candidat à l’élection à l’assemblée de Guyane ou de Martinique, dérogeant ainsi aux règles de droit commun prévues à l’article L. 118-3, précité, du même code.

L’article L. 118-3 du Code électoral est ainsi rédigé depuis 2019 :

« Lorsqu’il relève une volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l’élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible :

« 1° Le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12 ;

« 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ;

« 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit.

« L’inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision.

« En cas de scrutin binominal, l’inéligibilité s’applique aux deux candidats du binôme.

« Si le juge de l’élection a prononcé l’inéligibilité d’un candidat ou des membres d’un binôme proclamé élu, il annule son élection ou, si l’élection n’a pas été contestée, déclare le candidat ou les membres du binôme démissionnaires d’office.»

L’article propre aux assemblées uniques de Guyane et de Martinique est plus concis :

« Article L558-14
Peut être déclaré inéligible pendant un an celui qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l’article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. »

Au delà du volume textuel, un article étant nettement plus prolixe que l’autre, on peut noter :

  • que dans un cas (le droit national) la peine maximale d’inéligibilité est de trois ans alors que pour les élus des assemblées uniques de Guyane et de Martinique (pas pour le élections municipales, seulement pour la CTG et la CTM) la peine est d’un an
  • que dans un cas (le droit national) la peine est modulable, alors que tel n’est pas le cas pour le droit martiniquais et guyanais.

 

C’est donc logiquement que le Conseil d’Etat a tenu compte de ces différences textuelles, et en limitant ses différences jurisprudentielles au strict minimum imposé par ces différences textuelles.

Le Conseil d’Etat vient en effet de donner un mode d’emploi applicable en ce domaine. Avec :

  • sur le fond, un régime comparable à celui applicable dans le reste du territoire national puisque la Haute Assemblée pose qu’il appartient au juge de l’élection, pour apprécier s’il y a lieu de faire usage à l’égard d’un candidat à l’élection aux assemblées de Guyane et de Martinique de la faculté ouverte par l’article L. 558-14 du code électoral en présence d’un manquement à une règle relative au financement des campagnes électorales :
    • d’examiner si la règle méconnue présente ou non un caractère substantiel (ce qui est le cas, notamment, de l’absence de dépôt du compte de campagne dans le délai prescrit par l’article L. 52-12)
    • et le cas échéant, de tenir compte des éléments suivants :
      • caractère délibéré ou non du manquement,
      • existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte,
      • montant des sommes en cause
      • circonstances pertinentes de l’espèce (élément balai commode pour permettre une adaptation au cas par cas donc ; c’est flou, c’est commode, mais c’est logique).
    • mode d’emploi qui n’a donc rien de très surprenant 
  • pour ce qui est de la sanction en revanche, ce texte spécial conduit à une sanction moins modulable que dans les autres départements, puisque le Conseil d’Etat pose en application de ce régime que si le juge de l’élection estime qu’il y a lieu de prononcer l’inéligibilité d’un candidat à l’élection des conseillers de l’assemblée de Guyane ou à celle des conseillers de l’assemblée de Martinique, une telle inéligibilité est d’une durée d’un an et ne vaut que pour l’élection considérée. Alors que pour le reste du territoire national (y compris en Guyane et en Martinique quand il s’agit des élections municipales) la durée n’est pas fixe (elle est modulable) et avec un plafond de trois ans (et non pas un an).

 

Sur ce second point, à savoir la sanction d’inéligibilité :

  • que cela ne vaille que pour l’élection considérée, c’est usuel,
  • mais que la durée d’un an soit fixe et non pas un plafond, c’est une vraie différence depuis l’application des « lois Richard ».
    C’est d’autant plus piquant que (mais en application du droit municipal qui en Guyane ou en Martinique est le même qu’ailleurs) c’est pour des élections guyanaises que le Conseil d’Etat avait fait une application importante (avec application « in mitius » de la loi nouvelle) de ce régime de possible modulation de la durée d’inéligibilité (CE, 9 juin 2021,Elections municipales et communautaires d’Apatou (Guyane), n° 447336 449019, à mentionner aux tables du recueil Lebon).

Le 9 novembre 2021, le Conseil d’Etat avait rendu toute une série de décisions importantes pour comprendre cette modulation de la durée d’inéligibilité (avec un mode d’emploi défiant un peu toute tentative de systématisation, cela dit) : CE, 9 novembre 2021, n° 448318 et n° 448221 [2 esp. différentes]. 

Mais cette souplesse n’a donc pas atteint le droit applicable aux élections des assemblées de la CTG et de la CTM.

Reste que sur ce point une modification législative pour aligner le droit de ces deux assemblées sur le droit national (oubli de la loi Richard ?) serait de bon aloi…

 

Source : Conseil d’Etat, 22 juillet 2022, n° 462037, à mentionner aux tables du recueil Lebon