Le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », protégé par la Charte de l’environnement, est érigé en « Liberté fondamentale » ouvrant la voie à l’usage de référés libertés
Le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » est déjà :
- proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement :
- « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.»
(NB la CEDH et, même, l’ONU — voir ici —, avec des valeurs juridiques diverses, vont aussi dans ce sens).
- « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.»
- plus indirectement, défendu, protégé via divers principes ou objectifs de valeur constitutionnelle, eux aussi tirés de la Charte de l’environnement, tel celui de la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains (voir sur ce point par exemple C. const., décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020) ou encore celui selon lequel la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins (Décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022).
Autres sources : Cons. const., 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC ; CE, 30 juillet 2015, Section française de l’observatoire international des prisons (OIP-SF) et Ordre des avocats au barreau de Nîmes, n°s 392043 392044, rec. p. 305 ; CE, 19 octobre 2020, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Section française de l’observatoire international des prisons, n°s 439372 439444, rec. p. 351.
De cette charte de l’environnement, à la RFDC en 2005, Mme Amandine Capitani posait qu’il était « possible d’y voir un leurre constitutionnel » mais qu’elle préférait « y voir une lueur juridictionnelle…»
Cette jolie formule s’est révélée prophétique (avec certes la mesure toute en componction qui sied aux diverses juridictions du Palais Royal, lequel a cessé d’être bondissant de gaudrioles avec la mort du XVIIIe siècle de toute manière).
Dernière preuve en date : ce jour, le Conseil d’Etat a érigé ce droit en « liberté fondamentale » au sens du référé liberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
Il faut rappeler qu’en vertu de cet article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
Certes cela impose-t-il cumulativement :
- une atteinte grave et manifestement illégale, certes, à ladite liberté fondamentale (y compris en cas de carence de l’action de l’autorité publique oui bien sûr) ;
- qu’à très bref délai des mesures de sauvegarde nécessaire puissent être utilement prises (ce qui est conforme à l’office du juge en pareil cas).
Voici le point de principe de cette nouvelle ordonnance du Conseil d’Etat :
« 5. En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L.521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises. »
Voici le futur résumé des tables du rec. tel que préfiguré par celui de la base Ariane :
« 1) Pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement dont il n’est pas sérieusement contestable qu’elle trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique, le juge des référés peut, en cas d’urgence, être saisi soit sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA) ou, le cas échéant, sans qu’aucune condition d’urgence ne soit requise, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-16 du code de l’environnement, afin qu’il ordonne la suspension de la décision administrative, positive ou négative, à l’origine de cette atteinte, soit sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA, afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte. 2) a) En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA. b) i) Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. ii) Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. c) Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.»
Il s’agissait en l’espèce d’une affaire de destruction d’espèces protégées (après une première instance devant le TA de Toulon).
Source : CE, ord., 20 septembre 2022, n° 451129.
Conseil d’État
N° 451129
ECLI:FR:CECHR:2022:451129.20220920
Publié au recueil Lebon
2ème – 7ème chambres réunies
M. Clément Tonon, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SARL CABINET BRIARD ; SCP ZRIBI, TEXIER, avocats
Lecture du mardi 20 septembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B… C… et Mme A… C… ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au département du Var de suspendre les travaux de recalibrage de la route départementale n°29 au lieu-dit ” Les Martins “, sur le territoire de la commune de la Crau.
Par une ordonnance n° 2100764 du 25 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande.
Par un pourvoi, enregistré le 26 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme C… demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge du département du Var la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment la Charte de l’environnement à laquelle renvoie son Préambule ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,
– les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. et Mme C…, et à la SARL Cabinet Briard, avocat du département du Var ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que, par délibération du 27 octobre 2016, le conseil départemental du Var a décidé le recalibrage de la route départementale n° 29 au niveau de la commune de La Crau, avec création d’une voie cyclable au lieu-dit ” Les Martins “, et a entrepris les travaux correspondants au cours de l’année 2021. Par une ordonnance du 25 mars 2021, rendue sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté la demande de M. et Mme C… tendant, sur le fondement de l’article L. 521-2 du même code, à ce qu’il soit enjoint au département du Var de suspendre ces travaux. M. et Mme C… se pourvoient en cassation contre cette ordonnance.
2. D’une part, aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : ” Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) “. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : ” Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures “. Aux termes de l’article L. 521-3 du même code : ” En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative “.
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 122-2 du code de l’environnement : ” Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d’approbation d’un projet visé au I de l’article L. 122 1 est fondée sur l’absence d’étude d’impact, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée “. En vertu de l’article L. 123-16 de ce même code : ” Le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci. / Il fait également droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que l’enquête publique requise par le présent chapitre ou que la participation du public prévue à l’article L. 123-19 ait eu lieu. (…) “.
4. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement dont il n’est pas sérieusement contestable qu’elle trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique, le juge des référés peut, en cas d’urgence, être saisi soit sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ou, le cas échéant, sans qu’aucune condition d’urgence ne soit requise, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-16 du code de l’environnement, afin qu’il ordonne la suspension de la décision administrative, positive ou négative, à l’origine de cette atteinte, soit sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte.
5. En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.
6. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, pour rejeter la demande de M. et Mme C…, que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit. Les requérants sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Ainsi qu’il a été dit au point 5, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Pour justifier de l’urgence, les requérants, qui possèdent un laboratoire limitrophe de l’endroit où se déroulent les travaux contestés et où ils mènent depuis plusieurs années un travail de recensement et d’études des espèces protégées s’y trouvant, font valoir que la poursuite de ces travaux portera atteinte de manière irréversible à ces espèces protégées et entraînera la destruction de leur habitat. Toutefois, les travaux litigieux résultent d’un projet arrêté par une délibération du 27 octobre 2016 du conseil départemental du Var et ont notamment donné lieu, ensuite, à une déclaration au titre de la loi sur l’eau et à une autorisation de défrichement par arrêté préfectoral de décembre 2020, que les requérants n’ont pas contestées. Dans ces conditions, la condition d’urgence particulière requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie.
9. Au demeurant, il résulte du diagnostic environnemental préalable réalisé en janvier 2017 par le département du Var que la sensibilité du milieu naturel, notamment biologique, au projet envisagé est modérée, et qu’aucun enjeu de conservation notable n’a pu être identifié. Par ailleurs, la nature et l’ampleur limitée des travaux ont justifié que le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, par arrêté du 1er août 2018 portant décision d’examen au cas par cas en application de l’article R. 122-3 du code de l’environnement, dispense le projet d’étude d’impact. Les requérants se bornant à faire valoir, de façon générale, le risque d’atteinte irréversible aux espèces qu’ils étudient, il ne résulte pas de l’instruction que la poursuite des travaux contestés porterait une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
10. Il résulte de ce qui précède que la demande de suspension des travaux présentée par M. et Mme C… doit être rejetée.
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du département du Var, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département du Var au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’ordonnance n° 2100764 du 25 mars 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme C… devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B… C…, premier dénommé, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au département du Var.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des Outre-mer.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.