Ce n’est pas le droit européen qui peut fonder une responsabilité indemnitaire de l’Etat vers des victimes de pollutions atmosphériques, vient de poser la CJUE (I).
Mais… est-ce que cela change quoi que ce soit aux divers contentieux en ces domaines ?
A cette question simple, s’impose une réponse contrastée :
• non cela ne change rien pour ce qui est de l’illégalité de la situation française et de la condamnation de la France, par le juge européen et par le juge français, pour irrespect du droit européen (II.A)
• sur les contentieux individuels, ceux de victimes de pollution demandant indemnisation à la France pour irrespect de ses obligations, cela en droit, selon moi, ne devrait pas changer non plus le principe de base de cette responsabilité. Cependant, le simple fait qu’une Cour administrative d’appel se soit posé la question conduit à devoir s’interroger sur ce point. Ce sujet s’avère cependant tout à fait théorique, puisque justement ladite responsabilité indemnitaire a été pour l’instant conçue en termes si restrictifs qu’elle ne trouvera que fort rarement à s’appliquer (II.B.).
I. La décision de ce jour de la CJUE
NB : ce qui suit dans ce « I » mêle des pans entiers du communiqué de la CJUE à ma propre analyse. Je tenais à le signaler.
Les directives européennes fixant des normes pour la qualité de l’air ambiant n’ont pas, comme telles, pour objet de conférer des droits aux particuliers dont la violation serait susceptible de leur ouvrir un droit à réparation, vient de poser la CJUE. Les particuliers doivent néanmoins pouvoir obtenir des autorités nationales, en saisissant éventuellement les juridictions compétentes, qu’elles adoptent les mesures requises en vertu de ces directives (certes) et la question de l’indemnisation n’est pas fermée en droit européen : simplement elle ne passe pas par par un raisonnement pouvant fonder une obligation en ce sens dans le droit européen. Il y a inconventionnalité à ne pas respecter une directive de l’Union, et donc illégalité des actes ou des absences d’actes en droit français, ce qui est distinct des réflexions en droit de la responsabilité où une victime demande indemnisation à l’Etat.
Dans un arrêt du 19 novembre 2014, ClientEarth C-404/13, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la portée des obligations fixées par cette directive n° 2008/50/CE.
Dans cet arrêt, la CJUE juge :
- d’une part, que la directive ne fixe pas une simple obligation de moyen mais une obligation de résultat et que, en conséquence, le seul fait d’établir un plan relatif à la qualité de l’air conforme à l’article 23 de la directive ne permet pas de considérer que l’Etat satisfait aux obligations de l’article 13, c’est-à-dire au respect des valeurs limites de concentration de polluants dans l’atmosphère.
- d’autre part, elle indique que lorsqu’un Etat membre n’a pas assuré le respect de ces valeurs limites, il appartient à la juridiction nationale compétente, éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire, telle une injonction, afin que cette autorité établisse le plan exigé par ladite directive dans les conditions que celle-ci prévoit.
On le voit, ce cadre, souple, fondant une obligation de résultat et donc d’atteindre des objectifs européens, n’était pas rédigé comme pouvant fonder une obligation indemnitaire puisque l’angle pris par le droit européen n’est pas celui de la responsabilité vis-à-vis d’éventuelles victimes, mais l’obligation d’atteindre un niveau de qualité de l’air extérieur avec au besoin une responsabilité à défaut, mais une responsabilité de la France vis-à-vis de l’Union, par une très classique action en manquement. C’est exactement ce que vient, sans surprise, de rappeler le juge européen.
En l’espèce, M. JP, résidant en région parisienne, estime que l’État français n’a pas veillé à ce que les niveaux de dioxyde d’azote (NO2) et de microparticules (PM10) dans l’air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites uniformément applicables dans l’ensemble de l’Union européenne. Il a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Val-d’Oise aurait refusé de prendre les mesures de nature à résoudre ses problèmes de santé liés à la pollution environnementale. Il réclame également à l’État français une indemnisation d’un montant total de 21 millions d’euros : il estime en effet subir un préjudice en raison de la détérioration de son état de santé à compter de 2003, qui serait causée par la dégradation de la qualité de l’air ambiant dans l’agglomération de Paris. Cette dégradation est, selon lui, due au fait que les autorités françaises ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union.
Le recours de JP a été rejeté et, désormais saisie du litige, la cour administrative d’appel de Versailles demande à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), par une question préjudicielle, si les particuliers peuvent solliciter une indemnisation de l’État pour des préjudices de santé résultant de dépassements des valeurs limites de concentration en NO2 et en PM10 fixées par les normes du droit de l’Union, et dans quelles conditions.
Selon une jurisprudence bien établie, lorsqu’un État membre méconnaît l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit de l’Union impose un droit à réparation (CJUE, 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, point 39). Cette responsabilité peut être engagée par les particuliers lésés lorsque trois conditions sont réunies : i) la règle du droit de l’Union violée a pour objet de leur conférer des droits ; ii) la violation de cette règle est suffisamment caractérisée ; iii) il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le dommage subi par ces particuliers.
En l’espèce, en ce qui concerne la première de ces conditions, la Cour, réunie en grande chambre, considère que les obligations résultant des directives en cause (l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008) n’ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particuliers susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l’égard d’un État membre.
Les directives en matière de qualité de l’air prévoient certes des obligations claires et précises quant au résultat que les États membres doivent veiller à assurer. Cependant, ces obligations poursuivent un objectif général de protection de la santé humaine et de l’environnement dans son ensemble. Elles ne comportent aucune attribution explicite de droits aux particuliers et ne permettent pas de considérer que des particuliers ou des catégories de particuliers se seraient, en l’occurrence, implicitement vu conférer des droits individuels dont la violation permettrait d’engager la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers.
La Cour rappelle que les particuliers doivent néanmoins pouvoir obtenir des autorités nationales, en saisissant éventuellement les juridictions compétentes, qu’elles adoptent les mesures requises en vertu des directives européennes, telles qu’un plan relatif à la qualité de l’air.
Par ailleurs, cela n’exclut pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée sur le fondement du droit interne, dans des conditions moins restrictives.
La Cour relève enfin que les juridictions d’un État membre peuvent éventuellement prononcer des injonctions assorties d’astreintes visant à assurer le respect, par cet État, des obligations découlant du droit de l’Union (voir par exemple les décisions du CE, n° 428409 du 4 août 2021et n° 428409 du 17 octobre 2022).
Voir cette décision de la CJUE :
II. L’impact possible de cette décision sur les contentieux en cours en France
II.A. Cela ne change rien pour ce qui est de l’illégalité de la situation française et de la condamnation de la France, par le juge européen et par le juge français, pour irrespect du droit européen
II.A.1. Rappel du droit européen, des condamnations de la France au niveau européen, et de difficultés persistantes
Mais la France a continué d’être en retard en ce domaine. Il existe deux catégories de polluants atmosphériques :
- les polluants primaires, émis directement : monoxyde d’azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, particules (ou poussières), métaux lourds, composés organiques volatils, hydrocarbures aromatiques polycycliques…
- les polluants secondaires issus de transformations physico-chimiques entre polluants de l’air sous l’effet de conditions météorologiques particulières : ozone, dioxyde d’azote, particules)…
Les valeurs limites de concentration en particules fines et en dioxyde d’azote ont été dépassées de manière récurrente dans diverses régions, notamment en Ile-de-France.
Des actions en justice portant sur le NO2 ont été engagées contre 12 États membres, qui faisaient ainsi en 2017 l’objet de procédures d’infraction, à savoir l’Autriche, la Belgique, la République tchèque, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni. Une action pourrait être engagée contre d’autres États membres.
Voir :
- Pollution atmosphérique : la Commission européenne adresse, à la France, un dernier avertissement avant poursuites
- http://www.avere-france.org/Site/Article/?article_id=7678&from_espace_adherent=0
Donc, en raison des dépassements des valeurs limites annuelles de dioxyde d’azote dans de nombreuses zones du territoire français depuis le 1er janvier 2010, la Commission a engagé, en 2014, une procédure en manquement contre la France.
Puis, le 19 juin 2015, la Commission a estimé que la France n’avait pas observé les valeurs limites applicables pour le dioxyde d’azote (prévues à l’article 13 de la directive) et que, bien qu’ayant adopté des plans relatifs à la qualité de l’air et/ou d’autres mesures visant à réduire les émissions de dioxyde d’azote, elle avait manqué à l’obligation de faire en sorte que la période de dépassement soit la plus courte possible (prévue à l’article 23 de la directive).
La Commission a donc invité la France à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire à ses obligations et, faute pour celle-ci d’avoir pris ces mesures, a introduit un recours en manquement contre la France devant la Cour de justice.
La France ne conteste pas l’existence persistante des dépassements des valeurs limites horaires et annuelles de dioxyde d’azote dans les zones et agglomérations 2 faisant l’objet du recours introduit par la Commission. Cependant, elle conteste le caractère prétendument systématique de ces dépassements.
Dans son arrêt du 24 octobre 2019, la CJUE souligne que le fait de dépasser les valeurs limites pour le dioxyde d’azote dans l’air ambiant suffit en lui-même pour pouvoir constater un manquement à l’obligation prévue à l’article 13 de la directive.
La Cour rappelle, en réponse à l’argument de la France selon lequel le retard dans l’application de la directive doit être apprécié au regard des difficultés structurelles rencontrées lors de la transposition de celle-ci, que la date à partir de laquelle les valeurs limites pour le dioxyde d’azote devaient être respectées était fixée au 1er janvier 2010. Or, poursuit la Cour, dès lors que le constat objectif du non-respect par un État membre des obligations que lui imposent les traités a été établi, il est sans pertinence que le manquement résulte de la volonté de l’État membre auquel il est imputable, de sa négligence ou bien encore de difficultés techniques ou structurelles auxquelles celui-ci aurait été confronté.
En outre, la Cour indique que la directive prévoit que, lorsque le dépassement des valeurs limites pour le dioxyde d’azote a lieu après le délai prévu pour leur application, l’État membre concerné est tenu d’établir un plan relatif à la qualité de l’air qui répond à certaines exigences. Ce plan doit prévoir les mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible, et peut comporter des mesures additionnelles spécifiques pour protéger les catégories de population sensibles, notamment les enfants. Il doit être transmis à la Commission sans délai, et au plus tard deux ans après la fin de l’année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté.
La Cour souligne que le fait qu’un État membre dépasse les valeurs limites pour le dioxyde d’azote dans l’air ambiant ne suffit pas, à lui seul, pour considérer qu’il a manqué à l’obligation résultant de l’article 23 de la directive. Néanmoins, selon la directive, si les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible.
Or, la Cour constate que la France n’a manifestement pas adopté, en temps utile, des mesures appropriées permettant d’assurer un délai de dépassement qui soit le plus court possible. Ainsi, le dépassement des valeurs limites en cause durant sept années consécutives demeure systématique et persistant dans cet État membre malgré l’obligation pour la France de prendre toutes les mesures appropriées et efficaces pour se conformer à l’exigence selon laquelle le délai de dépassement doit être le plus court possible.
La Cour conclut qu’une telle situation démontre par elle-même que la France n’a pas mis à exécution des mesures appropriées et efficaces pour que la période de dépassement des valeurs limites pour le dioxyde d’azote soit la plus courte possible, au sens de la directive.
NB : ce qui ne veut pas dire, pas avec certitude, que la France est aujourd’hui « en dehors des clous » (il y a de forts risques que ce soit le cas, mais ce n’est pas posé avec certitude dans le dispositif, dans la conclusion, de l’arrêt).
La Cour fait donc droit au recours de la Commission et condamne la France pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air.
Pour lire cet arrêt, voir :
A noter : la circulation routière est responsable d’environ 40 % des émissions d’oxyde d’azote (NOx) dans l’UE. Au niveau du sol, la part relative de la circulation est beaucoup plus élevée (étant donné que les émissions des hautes cheminées industrielles sont diluées avant d’atteindre le sol). Sur le total des émissions de NOx provenant de la circulation, 80 % environ sont dues aux véhicules à moteur diesel.
C’est encore plus vrai en France qu’en moyenne européenne.
En fait la France a peu d’émissions d’usines (et celles-ci ont de bonnes normes et se dispersent plutôt… et nous n’en avons plus beaucoup sur notre sol hélas ; nous importons notre pollution) et sa production d’énergie, nucléaire, n’entraîne ni coût carbone ni pollution de l’air (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de de coût environnemental)...
Notre pollution industrielle est donc faible sauf accident bien sûr comme pour l’usine Lubrizol, mais … surtout… la France a un parc diesel considérable qui fut (pour des raisons largement visant à favoriser nos constructeurs automobiles nationaux…) financé par le contribuable.
Voir à ce sujet :
II.A.2. Les condamnations françaises par le Conseil d’Etat
Puis vint le tour au Conseil d’Etat d’agir pour respecter le droit européen. Voir :
L’arrêté du 17 juillet 2019 modifiant l’arrêté du 19 avril 2017 relatif au dispositif national de surveillance de la qualité de l’air ambiant (NOR: TRER1916991A) était censé clore cette transposition, mais ce point de vue optimiste est discuté. Voir :
Voici une vidéo pédagogique, par mes soins, qui, en à peine plus de 13 mn fait le point sur qui faisait quoi, dans le monde public, en matière de qualité de l’air, en matière de pollution atmosphérique en 2018. Cette vidéo peut encore être regardée car le droit a depuis assez peu changé :
NB : cette vidéo, mise en ligne le 2 octobre 2019, présentait déjà l’essentiel de ce qui est devenu depuis la loi énergie-climat (les points concernés n’ayant pas été modifiés). Cette vidéo anticipait déjà ce qui allait devenir l’arrêt C‑636/18, de la CJUE, en date du 24 octobre 2019, mais sans l’annoncer naturellement (faute de boule de cristal). Ce n’est donc que sur ce dernier point (plutôt de détail, en fait) que cette vidéo peut être considérée comme n’étant plus à jour dans les sources juridiques. De même les avancées de la loi d’orientation des mobilités (LOM) sont-elles trop limitées pour changer le contenu de ce qui a été présenté dans cette vidéo. Donc, à ce niveau de présentation rapide, le fond du droit, au sein de cette vidéo, est à jour.
Voir aussi l’accélération des plans de protection de l’atmosphère (PPA) :
La France s’est ensuite dotée de divers outils, dont la LOM, ou encore la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039355955&dateTexte=&categorieLien=id
Nous avons dans des articles du présent blog souvent détaillé ces outils, fait des vidéos (notamment sur les ZFEm), etc.
Mais en tous cas à la date de 2019 – 2020 sur les années précédentes, ce n’était pas encore assez… et force fut au Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux (sa formation la plus solennelle), de constater que les valeurs limites de pollution restent dépassées dans 9 zones en 2019 (dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’Etat des chiffres complets) : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines.
Le Conseil d’État releva que le plan élaboré en 2019 pour la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) comportait des mesures précises, détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l’air et assure un respect des valeurs limites d’ici 2022. En revanche, les « feuilles de route » élaborées par le Gouvernement pour les autres zones ne comportaient ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs. Enfin, s’agissant de l’Ile-de-France, le Conseil d’État releva que si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles, la date de 2025 qu’il retenait pour assurer le respect des valeurs limites était, eu égard aux justifications apportées par le Gouvernement, trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une correcte exécution de la décision de 2017.
Le Conseil d’État en déduisit que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’a pas pris des mesures suffisantes dans les 8 zones encore en dépassement pour que sa décision de juillet 2017 puisse être regardée comme pleinement exécutée.
En conséquence, la plus haute juridiction administrative décida d’infliger à l’État une astreinte de 10 M€ par semestre tant qu’il n’aura pas pris les mesures qui lui ont été ordonnées
Afin d’assurer sur l’État une contrainte suffisante, le Conseil d’État décida de lui infliger une astreinte si celui-ci ne justifie pas avoir pris d’ici six mois les mesures demandées.
Le Conseil d’État fixa cette astreinte à 10 millions d’euros par semestre, soit plus de 54.000 euros par jour, compte tenu du délai écoulé depuis sa première décision, de l’importance du respect du droit de l’Union européenne, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l’urgence particulière qui en résulte.
Il jugea pour la première fois que, si l’État ne prenait pas les mesures nécessaires dans le délai imparti, cette somme pourrait être versée non seulement aux associations requérantes mais aussi à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine.
Il précisa enfin que ce montant, le plus élevé jamais retenu par une juridiction administrative française à l’encontre de l’Etat, pourra être révisé par la suite, y compris à la hausse, si la décision de 2017 n’a toujours pas été pleinement exécutée.
Source : CE, 10 juillet 2020, n° 428409. Voir à ce sujet :
Rappelons que :
1/ l’astreinte n’est pas d’un versement automatique. Il faut saisir de nouveau le juge d’autant que celui-ci n’a pas fixé les bénéficiaires de cette astreinte (qui ne sont pas nécessairement à 100 % les primo-requérants)
2/ en plus la formulation retenue par le Conseil d’Etat ne permet pas de savoir si la somme n’est due qu’au terme du second semestre ou (moins probable) si c’est un quantum par jour. Le juge a donc à ce stade une marge de manoeuvre. Si l’Etat est jugé comme ne s’étant pas exécuté dans plus de six mois, nul doute qu’il devra l’astreinte. Mais si cela est jugé par exemple dans trois mois, l’astreinte serait-elle alors au prorata des jours entre la fin de ces 6 mois et la date où le CE rendra sa décision ? sans doute… au choix du juge cela dit.
3/ le juge s’accorde de toute manière une marge de manœuvre à ce stade (pour un cas manifeste : CE, 4 juillet 2001, n° 225740).
4/ le point de connaître même les bénéficiaires de l’astreinte n’est pas chose aisée quand, comme en l’espèce, cela n’est pas fixé dès la première décision, le juge pouvant décider de ventiler cette somme par exemple entre les requérants et d’autres personnes morales indépendantes de lui en charge d’agir en ce domaine.
Voir aussi à ces sujets deux articles :
- un de M. Alain Gioda : https://blogs.futura-sciences.com/gioda/2021/01/03/monde-3-chronologie-changement-climatique-cop-et-action-climat-2019/
- un, bien fait, par une société : https://www.r-pur.com/blogs/air/comprendre-facilement-la-pollution-air-les-particules-fines-pm-2-5?utm_source=google&utm_medium=cpc&gclid=EAIaIQobChMI1ZKF9uKY7gIVI-LmCh24iAMBEAAYASAAEgJAwPD_BwE
Puis en 2019, 5 zones ont encore enregistré un taux de dioxyde d’azote supérieur aux seuils limites (Paris, Lyon, Marseille-Aix, Toulouse et Grenoble) et une concernant les particules fines (Paris). Les données provisoires fournies par les parties pour 2020 indiquent que les dépassements persistent pour Paris et Lyon et que les taux ne sont que légèrement inférieurs aux seuils limites pour les trois autres zones, alors même que plusieurs sources de pollution, notamment la circulation routière, ont été très fortement diminuées avec les mesures prises pour faire face à la crise sanitaire.
Les mesures prises ne permettront pas d’améliorer la qualité de l’air dans le délai le plus court possible
Le Gouvernement a alors indiqué avoir pris plusieurs mesures de réduction de la pollution de l’air depuis juillet 2020 : lancement d’une procédure d’évaluation des politiques publiques en matière de qualité de l’air, instauration de nouvelles zones à faible émission (ZFE), encouragements à la conversion du parc automobile national vers des véhicules moins polluants, interdiction progressive des chaudières à gaz ou à fioul…
Si le Conseil d’État a alors estimé que ces mesures devraient avoir des effets positifs sur la qualité de l’air, il a relevé que des interrogations demeurent pour plusieurs d’entre-elles sur leurs effets concernant le retour sous les valeurs limites comme sur le délai de ce retour. Le Conseil d’État a en outre noté qu’aucun nouveau plan de protection de l’air n’avait été adopté pour les zones concernées, alors que ces plans constituent aujourd’hui un outil connu et adapté pour préciser les actions à mener et évaluer dans quel calendrier elles permettront de repasser sous les valeurs limites.
Pour ces raisons, le Conseil d’État a condamné l’état à 10 millions d’euros d’astreinte pour la période allant de janvier à juillet 2021.
Source : Décision n° 428409 du Conseil d’État – 10 juillet 2020
Cette fut répartie entre l’association Les Amis de la Terre qui a saisi initialement le Conseil d’État et plusieurs organismes et associations engagés dans la lutte contre la pollution de l’air pour le surplus.
Mais une partie importante de ces structures sont des structures de l’Etat. C’est d’ailleurs un des apports de cette décision que de l’autoriser et de le cadrer.
Car sauf les 100 000 euros attribués à l’association requérante, au surplus, tous les bénéficiaires furent des structures de l’Etat (Ademe ; Cerema ; Anses ; Ineris) ou des ATMO associatifs mais proches du monde public (Air Parif ; Atmo Auvergne Rhône-Alpes ; Atmo Occitanie ; Atmo Sud).
Associations agréées appartenant au réseau Atmo France (fédération des associations de surveillance de la qualité de l’air) remplissant des missions de surveillance de l’air et de l’atmosphère ainsi que d’aide à l’évaluation des actions de lutte contre la pollution de l’air dans les régions encore concernées par les dépassements en cause.
NB : l’ADEME, le CEREMA et l’ANSES (voire l’INERIS) sont des structures également importantes et indépendantes, mais ce sont tout de même des structures relevant juridiquement et financièrement de l’Etat, ce qui conduit à relativiser la gêne pour l’Etat de cette astreinte qui, outre son montant qui reste faible au niveau de ce qu’est le budget de l’Etat; finit par financer des structures financées par l’Etat. La situation est un peu différente pour les ATMO dont le régime juridique et le financement sont très différents.
ON peut rire de cette amende en (partie en) circuit fermé, comme si ma poche droite était condamnée à verser un billet à ma poche gauche (ou réciproquement).
Mais la réalité est plus subtile car l’Etat se trouve obligé de verser plus que prévu à ces structures là… enfin… enfin… sauf si les dotations pour ces structures diminuent d’autant lors des lois de finances, mais pour l’instant il semble que cela n’aie pas été le cas.
N.B. : il s’est trouvé des observateurs pour dire, mais sans doute était-ce au second degré, voire au 4e (l’hypothèse de l’ignorance ne pouvant être supposée n’est ce pas ?) que cette décision posait problème car le Conseil d’Etat faisait plus confiance aux associations environnementales qu’à l’Etat ou aux autres personnes publiques en termes d’action pour l’environnement. Voir par exemple ici . Si on enlève les structures parapubliques que sont AirParif et autres ATMO, cette assertion s’avère incontestable, mathématiquement, pour… exactement 1% de la somme. Sic.
Ensuite, entre 2021 et 2022, nous noterons :
- l’OMS qui renforce ses lignes directrice en ce domaine. Mais cela n’est ni imputable à la France, ni juridiquement contraignant. Voir :
-
été publié l’arrêté du 22 décembre 2021 établissant les listes d’agglomérations de plus de 100 000, 150 000 et 250 000 habitants conformément à l’article R. 221-2 du code de l’environnement et à l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (NOR : TRER2137357A) qui remplace un arrêté précédent qui, lui, était du 28 juin 2016.
L’essentiel de cet arrêté réside dans ses annexes, ci-dessous reproduites. Mais voici aussi un accès intégral à ce texte en version pdf : - grosse évolution pour ce qui est de la pollution dans les métros et autres réseaux ferroviaires souterrains (décret n° 2021-1763 du 23 décembre 2021) :
- arrêté du 11 avril 2022 modifiant l’arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d’émission de polluants atmosphériques en application de l’article R. 318-2 du code de la route et rejet par le Conseil d’Etat du recours en référé suspension sur ce point (CE, 1er septembre 2022, n° 466453). Voir notre article :
- arrêté du 22 décembre 2021 (NOR : TRER2137357A) et décret n° 2022-99 du 1er février 2022 en matière de ZFE (voir ici notre article et un lien vers une de nos vidéos à ce sujet : https://blog.landot-avocats.net/2022/02/04/les-zfe-lancees-avant-la-loi-climat-resilience-peuvent-continuer-leur-chemin-procedural/).
- plus récemment, Adoption du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) pour la période 2022-2025
Récemment, le Conseil d’Etat a réitéré sa décision, pour deux semestres à 10 M € chacun. Ce qui sanctionne la faiblesse des politiques de ces dernières années et, avant, de ces dernières décennies :;
Mais rappelons, qu’à chaque fois que des taxes carbones sont créées, le Peuple est dans la rue… Ou un fragment petit, mais bruyant et fluo, du peuple.
II.A.3. Ce régime évoque certes une et, même, des condamnations de l’Etat. Mais ce ne sont pas les mêmes condamnations que celles évoquées par la décision de ce jour de la CJUE. Ce régime (tant celui des actions en manquement que de l’illégalité des actions de l’Etat consistant à ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour respecter la directive 2008/50/CE précitée) est distinct de celui traité ce jour par la CJUE.
Ce régime évoque certes une et, même, des condamnations de l’Etat. Il s’agit des condamnations de la France :
- par l’Union Européenne pour avoir manqué de respecter le droit européen en ce domaine (action en manquement). Voir par exemple la décision C‑636/18, précitée
- par la justice administrative française, voir par exemple les décisions précitées CE, ord., 17 octobre 2022, n°428409 (à publier au rec.), CE, 10 juillet 2020, n° 428409 et CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n° 394254)
Mais ce ne sont pas les mêmes condamnations que celles évoquées par la décision de ce jour de la CJUE.
Ce régime (tant celui des actions en manquement que de l’illégalité des actions de l’Etat consistant à ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour respecter la directive 2008/50/CE précitée) est distinct de celui traité ce jour par la CJUE.
La décision de ce jour porte sur le fait que le droit européen n’impose pas ensuite une indemnisation pour faute vis-à-vis de victimes, individuelles, pour faute de l’Etat dans cette transposition.
II.B. Sur les contentieux individuels, ceux de victimes de pollution demandant indemnisation à la France pour irrespect de ses obligations, cela en droit, selon moi, ne devrait pas changer non plus le principe de base de cette responsabilité. Cependant, le simple fait qu’une Cour administrative d’appel se soit posé la question conduit à devoir s’interroger sur ce point. Ce sujet s’avère cependant tout à fait théorique, puisque justement ladite responsabilité indemnitaire a été pour l’instant conçue en termes si restrictifs qu’elle ne trouvera que fort rarement à s’appliquer
II.B.1. Le contentieux de la responsabilité a déjà commencé d’exister virtuellement en contentieux administratif français. Mais sans en passer par le droit européen pour fonder une telle action.
Les habitants, eux, commencent à agir en Justice, avec des recours recevables mais avec des préjudices à ce jour trop peu spécifiques pour donner lieu à indemnisation par l’Etat (TA Montreuil, 25 juin 2019, n° 1802202 ; TA de Paris, 4 juillet 2019, n°1709333, n°1810251 et n°1814405 ; TA Lyon, 26 septembre 2019, n° 1800362).
Sources
- Pollution atmosphérique : l’Etat peut être condamné (en responsabilité administrative cette fois)
- > Lire le jugement n°1709333
- 1709333
- > Lire le jugement n°1810251
- 1810251
- > Lire le jugement n°1814405
- 1814405
- Pollution atmosphérique : le juge constate le manque d’air sans en manquer lui-même
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Pour des illustrations très récentes, où à chaque fois de toute manière le préjudice du requérant n’est pas considéré comme assez direct et certain, voir ces trois décisions qui viennent de m’être signalées par mon excellent confrère Me Emmanuel Wormser :
- CAA Paris, 21 décembre 2022, 19PA02869
- CAA Paris, 21 décembre 2022, n° 19PA02873
- CAA Paris, 21 décembre 2022, n°19PA02868
A chaque fois, le raisonnement a été semblable :
- il existe des pourcentages maxima (en droit européen et national)
- ceux-ci sont violés
- si une victime a un préjudice direct et certain résultant de cette faute, cette victime peut en obtenir réparation
- mais en l’espèce le préjudice n’est pas assez direct et certain pour qu’il y ait réparation
Conclusions provisoires de ces premiers jugements :
- 1/ l’ère de l’impunité et des demies mesures est finie
- 2/ le juge pose un principe mais exige encore à ce jour des preuves quant au préjudice indemnisable qui rendent ces jurisprudences plus virtuelles que réelles… Mais le principe est posé
- 3/ reste que le contraste entre les principes posés et une application timorée au cas par cas reste bien classique en contentieux administratif français… D’une certaine manière, le juge constate le manque d’air sans en manquer lui-même.
- 4/ mais c’est aussi aux requérants de bien, mieux, bâtir leurs dossiers et ne sous-estimons pas la potentialité de ces jurisprudences.
- 5/ in fine, l’Etat va sans doute finir par faire ce qu’il sait si bien faire ; décentraliser la responsabilité d’agir en ces domaines plus encore (mais y compris certains pouvoirs de police ?).
Sur de tels contentieux individuels, ceux de victimes de pollution demandant indemnisation à la France pour irrespect de ses obligations, cela en droit, selon moi, ne devrait pas changer le principe de base de cette responsabilité. La majeure du raisonnement (le non respect de maxima en termes de pollution) est inchangée. Elle fait certes intervenir le droit européen, mais en tant que point de départ du raisonnement.
Ensuite (décision de ce jour) le droit européen ne s’ingère pas dans les questions d’indemnisation. Certes. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas indemnisation. Car il n’y a pas besoin du droit européen pour qu’en droit français il y ait indemnisation par l’Etat pour faute, pour illégalité d’une décision ou absence de protection.
Une illégalité (ou comme en l’espèce une inconventionnalité doublée d’une illégalité) peut être source d’indemnisation sans qu’à cette occasion on revienne sur le débat relatif à ladite illégalité ou inconventionnalité (voir par exemple, certes de manière un peu cursive : CE, 1er juillet 2019, n° 427067, arrêt que nous avions commenté ici ; voir aussi CAA Bordeaux, 13 janvier 2020, n° 18BX00332 ou encore CAA de LYON, 30/03/2021, 19LY02883).
Ensuite il y a indemnisation s’il y a un préjudice direct et certain, qu’en l’espèce le juge ne verra que rarement vu le caractère multifacteur et difficile à prouver des atteintes en ce domaine..
Sauf que… sauf que le simple fait que la CAA se soit posé la question interroge, justement.
II.B.2. Cependant, le simple fait qu’une Cour administrative d’appel se soit posé la question conduit à devoir s’interroger sur ce point. Ce sujet s’avère cependant tout à fait théorique, puisque justement ladite responsabilité indemnitaire a été pour l’instant conçue en termes si restrictifs qu’elle ne trouvera que fort rarement à s’appliquer
Cependant, le simple fait qu’une Cour administrative d’appel se soit posé la question conduit à devoir s’interroger sur ce point :
- soit la CAA aurait considéré que cette question n’est pas nécessaire à la résolution du litige, et elle n’aurait pas du la poser
- soit elle le considère, et en ce cas on craint de comprendre que selon cette CAA, il pourrait ne pas y avoir responsabilité pour faute parce que le droit européen ne l’aurait pas prévu ? Alors que le droit européen ne fait que fixer des normes dont la violation entraîne un risque, identifié, que l’Etat doit respecter. Si même ces normes n’existaient pas, l’absence de protection peut engager la responsabilité de l’autorité administrative qui pêche dans ses meures de police.
Explication : toute illégalité est fautive (CE, S., 26 janvier 1973, Ville de Paris c. Driancourt, n° 84768, rec. p. 7) même dans des cas difficiles (pour les perquisitions, voir CE, avis ctx, n° 398234, 399135 du 6 juillet 2016). Et qu’il y ait inconventionnalité ou illégalité est une distinction de peu d’effet. Que la directive directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 prévoie un volet responsabilité ou non, cela ne compte pas. En effet, l’Etat doit garantir un niveau de norme égal à ce que prévoit cette directive. Cela s’applique. Et ensuite, l’illégalité qui en résulte doit entraîner une indemnisation en cas de préjudice direct et certain. Même pour la responsabilité (certes dans un autre cadre) du fait des lois, le juge ne distingue plus selon qu’il y a responsabilité de l’Etat pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l’application d’une loi contraire aux engagements internationaux ou responsabilité du fait d’une inconstitutionnalité (CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522, Gardedieu, p.78 ; CE, Ass., 24 décembre 2019, Sté Paris Clichy ; Sté hôtelière Paris Eiffel Suffren, nos 428162 ; 425981 ; 425983).
Mais le risque semble donc grand que la CAA tranche en posant pour des raisons d’absence d’obligation en droit européen d’avoir un volet responsabilité… une irresponsabilité de principe en ce domaine de l’Etat. Ce qui serait à tout le moins très très contestable et, même, novateur.
Alternative insatisfaisante mais en droit plus défendable me semble-t-il ; la CAA pourrait poser que ne s’applique pas alors de responsabilité pour illégalité mais pour mauvais exercice du pouvoir de police, avec une responsabilité alors possiblement limitée à une responsabilité pour faute lourde ? Mais ce serait selon nous une erreur considérable car passant outre le fait que la directive est maintenant d’application immédiate, et qu’elle fixe une norme, et que la violation de cette norme est fautive quel que soit ce qu’en dit le droit européen en termes de responsabilité (droit européen qui ne régit pas ces aspects du droit interne).
Cependant trève de glose et de projections car quoi qu’il en soit, ce sujet reste tout à fait théorique, puisque justement ladite responsabilité indemnitaire a été pour l’instant conçue en termes si restrictifs qu’elle ne trouvera que fort rarement à s’appliquer.
Mais bon tout de même… On va se réveiller de ce possible cauchemar. Et quand on se réveillera, dites moi que la CAA n’aura pas commis cela (mais en ce cas pourquoi cette question ?). Dites le moi. S’il vous plaît…