Repas sans porc et travail juridique de cochon (suite et pas fin)

La commune de Morières-les-Avignon (Vaucluse) alimente les gros titres de la presse, ces jours-ci, par sa décision de mettre fin à ses repas sans porc, et ce pour motif économique, ce qui tranche avec d’autres municipalités qui en ce domaine avaient parfois fait un travail juridique de cochon.

Nous y voyons surtout l’occasion de vous resservir nos anciennes vidéos et articles à ce propos.

 

1e partie — VIDEO de 2018

 

Commençons par notre vidéo (de 5 mn 48) de fin 2018 qui reste, à ce sujet, d’actualité, conforme au droit actuel :

2nde partie — REDIFFUSION DE NOTRE ARTICLE DE FÉVRIER 2021 À CE SUJET

Nombre d’édiles, plus ou moins adroitement, sur fond de surf médiatique sur la vague populiste, prennent des décisions de suppression des menus de substitution en restauration scolaire. Bref, suppression du porc en cantine à l’école.

Ce dossier vient de connaître un nouvel épisode caricatural concernant la commune de Beaucaire.

Voyons tout ceci en détails :

  • I. Peut-on prévoir des repas sans porc ? des repas vegan ? ou autres ?
  • II. Peut-on dans son principe faire évoluer les repas en restauration scolaire ?
  • III. Que nous apprend sur ce point la jurisprudence « Chalon-sur-Saône » ?
    • III.A. Censure devant le TA
    • III.B. Position confirmative de la CAA, mais sur d’autres moyens pour des raisons de procédure
    • III.C. Le Conseil d’Etat censura lui aussi la position de la ville de Chalon-sur-Saône, via une décision posant (ou rappelant) quelques principes importants . 
  • IV. Que nous apprend, dans ce cadre, la nouvelle affaire concernant, cette fois, la commune de Beaucaire ? 
    • IV.A. En 2018, un travail juridique de cochon 
    • IV.B. En 2021, un paravent de laïcité qui ne peut pas, ou plus, fonder à elle seule une telle décision 
  • V. Comment (pour ceux qui ne sont pas intéressés que par le battage politico-médiatique…) sortir de l’alternative pour ou contre les repas sans porc ?
  • VI. L’affaire de Morières-les-Avignon
  • VII. Voir aussi notre vidéo à ce sujet 

 

 

I. Peut-on prévoir des repas sans porc ? des repas vegan ? ou autres ?

 

La réponse est OUI. Mais ce n’est pas obligatoire.

Cela est possible et n’est pas contraire au principe de laïcité ni à celui de neutralité du Service Public (voir par exemple TA Grenoble, 7 juillet 2016, n° 1505593 ; CAA Lyon, 23 octobre 2018, 16LY03088)

Inversement, ce n’est pas obligatoire que de prévoir des repas sans porc ou de répondre aux diverses demandes religieuses sur ce point (voir par exemple, et par analogie, TA Cergy-Pontoise, 30 septembre 2015, n° 1411141 et TA Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590).

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II. Peut-on dans son principe faire évoluer les repas en restauration scolaire ?

 

Oui en tous cas si les enfants ont alors d’autres choix que le porc pendant les repas (voir TA Toulon, 2 décembre 2014, n° 1404254). Idem pour les repas végétariens Tribunal administratif de Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590).

Le principe est en effet qu’un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).

NB sur le caractère facultatif de ce service, voir :

 

 

 

III. Que nous apprend sur ce point la jurisprudence « Chalon-sur-Saône » ?

 

Une affaire, devenue célèbre, résultait de la décision de la ville de Chalon-sur-Saône de mettre fin à ses menus de substitution. Ce dossier a récemment connu son épilogue par une décision du Conseil d’Etat fixant pour partie, mais pour partie seulement  le droit à ce sujet.  Voyons ce dossier étape par étape, au TA (III.A), puis en CAA (III.B) avant que d’aborder l’arrêt du Conseil d’Etat qui mit fin à ce dossier (III.C).

 

III.A. Censure devant le TA

 

Le  28 août 2017, le TA de Dijon avait annulé la décision de la ville de Chalon-sur-Saône de ne plus proposer de menu de substitution dans les cantines scolaires quand du porc est servi.

Il a en effet estimé, au terme d’une instruction ayant associé le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, que cette décision n’avait pas accordé, au sens de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, une attention primordiale à l’intérêt des enfants.

Il s’est ainsi prononcé, sans prendre aucune position de principe à caractère général, au regard du seul cas particulier des cantines scolaires de Chalon-sur-Saône :

  • un menu de substitution y avait été proposé, sans jamais faire débat, depuis 1984,
  • la ville n’a pas motivé la suppression de ce menu par une contrainte technique ou financière,
  • si, lorsque par le passé un menu de substitution était proposé, les enfants étaient fichés et regroupés par tables selon leurs choix, la ville n’a pas démontré l’impossibilité d’une méthode alternative (recours à des questionnaires anonymisés, mise en place d’un self-service).

Compte tenu de la solution ainsi retenue, le Tribunal n’a pas eu à examiner l’autre argument des requérants, tiré de la violation de la liberté de conscience et de culte.

La décision du Tribunal ne préjuge donc évidemment absolument pas de la solution qu’il adopterait en cas de litige relatif à une cantine scolaire où aucun repas de substitution n’a jamais été proposé.

 

Voici ce jugement : TA, 28 août 2017, LIGUE DE DEFENSE JUDICIAIRE DES MUSULMANS et autres, n° 1502100 et 1502726 :

 

III.B. Position confirmative de la CAA, mais sur d’autres moyens pour des raisons de procédure

 

A hauteur d’appel, la solution juridique fut la même, mais pour des considérations qui ont évolué.

Le recours juridique à l’article 1 de l’article 3 de la convention signée à New York le 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant a été rejetée’ par la CAA… mais non pas pour inopérance juridique : juste parce que les requérants en première instance n’avaient pas soulevé ce moyen eux-mêmes(ce moyen avait été soulevé par la seule Commission nationale consultative des droits de l’homme dans les observations qu’elle avait produites en réponse à l’invitation que lui a adressée le tribunal sur le fondement des dispositions de l’article R. 625-3… cela dit, on aurait pu débattre du point de savoir si ce n’est pas là un droit fondamental pouvant fonder un moyen d’ordre public).

La commune appelante était donc fondée à soutenir qu’en annulant les actes administratifs qui lui étaient déférés sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la convention de New York, qui n’est pas d’ordre public, le tribunal avait entaché son jugement d’irrégularité.

D’un point de vue opérationnel, ce moyen reste solide pour d’autres instances. Mais à la condition que les requérants naturellement l’aient soulevé à temps… 

Mais il n’en est que plus intéressant de voir comment la CAA a déployé son argumentation conduisant à confirmer l’annulation (par d’autres moyens donc) de première instance.

La CAA commence par poser un principe intéressant (qui rejoint les données de base que l’on retrouve en détournement de pouvoir)  :

« Le gestionnaire d’un service public administratif facultatif, qui dispose de larges pouvoirs d’organisation, ne peut toutefois décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement que pour des motifs en rapport avec les nécessités de ce service.»

Et l’application en l’espèce prouve qu’il y avait en fait détournement de pouvoir mais comme d’habitude le juge censure le détournement de pouvoir via d’autres causes d’annulation (en l’occurence une « erreur de droit » sur le fait que l’annulation n’était pas motivée par les nécessités de ce service ; ce qui selon nous cache mal la censure  d’un — réel —  détournement de pouvoir) :

« 12. Les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques.

« 13. Il est constant que, depuis 1984, les restaurants scolaires des écoles publiques de Chalon-sur-Saône proposaient à leurs usagers des menus alternatifs leur permettant de bénéficier de repas répondant aux bonnes pratiques nutritionnelles sans être contraints de consommer des aliments prohibés par leurs convictions religieuses. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, pendant les trente et une années qu’elle a duré, cette pratique aurait provoqué des troubles à l’ordre public ou été à l’origine de difficultés particulières en ce qui concerne l’organisation et la gestion du service public de la restauration scolaire. Il suit de là qu’en se fondant exclusivement sur les principes de laïcité et de neutralité du service public pour décider de mettre un terme à une telle pratique, le maire de Chalon-sur-Saône et le conseil municipal de Chalon-sur-Saône ont entaché leur décision et délibération attaquées d’erreur de droit.»

 

Source : CAA Lyon, 23 octobre 2018, n° 17LY03323 et 17LY03328 :

17LY03323et17LY03328

 

III.C. Le Conseil d’Etat censura lui aussi la position de la ville de Chalon-sur-Saône, via une décision posant (ou rappelant) quelques principes importants .

 

Le Conseil d’État juge tout d’abord qu’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer aux élèves des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses.

Le principe de laïcité, inscrit à l’article premier de la Constitution, interdit en effet à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers.

Voir déjà, en ce sens, : TA Cergy-Pontoise, 30 septembre 2015, n° 1411141 et TA Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590.

 

Le Conseil d’Etat juge en revanche que ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public n’interdisent aux collectivités de proposer des menus desubstitution, au contraire de ce qu’était la pétition de principe sur laquelle tentait de fonder son raisonnement cette commune.

NB : voir déjà en ce sens : TA Grenoble, 7 juillet 2016, n° 1505593 ; CAA Lyon, 23 octobre 2018, 16LY03088. 

Dès lors, il confirme l’annulation de la décision du conseil municipal de Chalon-sur-Saône, qui n’était fondée que sur les principes de laïcité et de neutralité du service public.

Nous nous permettrons de souligner que d’un strict point de vue contentieux, la position de la commune n’était pas habile (mais des raisons politiques conduisaient sans doute à avoir choisi un positionnement idéologique, de principe).

Car un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).

Et sur cette base, par exemple, peut être supprimé un repas de substitution sans porc, en tous cas si les les enfants ont alors d’autres choix que le porc pendant les repas (voir TA Toulon, 2 décembre 2014, n° 1404254). Idem pour les repas végétariens Tribunal administratif de Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590).

Mais revenons au Conseil d’Etat : ce dernier précise à cette occasion que lorsque les collectivités qui ont fait le choix d’assurer le service public de la restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent accéder à ce service public, en tenant compte des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont elles disposent.

Ce qui ne revient pas totalement à internaliser, en droit national, sous forme de principe général du droit, le contenu de la convention de New-York sur les droits de l’enfant (et dont les formulations sont plus impérieuses d’ailleurs), mais on s’en rapproche un peu…

Source : CE, 11 décembre 2020, n° 426483 :

426483_ Décision

 

 

IV. Que nous apprend, dans ce cadre, l’affaire concernant, cette fois, la commune de Beaucaire ?

 

Dans ce cadre, la commune de Beaucaire a décidé d’apporter elle aussi sa pierre à l’édifice. Mais en contrepoint, sur un mode comique. Avec un travail juridique de cochon qui ne manquera pas d’apporter un peu de délassement en ces temps gris et confinés. Avec deux sketches à la suite : un premier en 2018 (IV.A.) et un second,  jugé en 2021 (IV.B.).

 

IV.A. En 2018, un travail juridique de cochon

 

Dans un premier temps, la commune en question n’avait même pas travaillé assez la légalité de ses actes pour la question ait pu être posée au fond !

Le TA de Nîmes avait été saisi de quatre requêtes présentées par la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, l’association « rassemblement citoyen de Beaucaire » et le préfet du Gard, tendant à l’annulation de la décision du maire de Beaucaire, révélée dans le bulletin municipal de la commune de novembre 2017, portant suppression des repas de substitution jusqu’alors proposés aux élèves fréquentant les cantines scolaires de la commune et ne mangeant pas de viande de porc.

Soyons clairs : un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif comme nous l’avons évoqué ci-dessus en I. et en II. (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).

Mais encore faut-il que (comme dans l’affaire jugée par le TA de Dijon) l’affaire ne soit pas évidemment fondée sur une pure et simple stigmatisation.

Mais dans ce dossier, en 2018, le TA n’a même pas eu à étudier le fond.

Les décisions du maire (FN) en ce sens avaient été annoncées par voie de presse puis par le bulletin municipal… sans même qu’une délibération ait été adoptée en ce sens (en dépit des compétences du conseil en ce domaine ; art. L. 2121-29 du CGCT…) ni que le maire ait eu délégation en ce domaine à supposer que celle-ci eût pu s’appliquer en ce domaine (art. L. 2122-22 du CGCT).

Du grand art.

Alors pour ce maire, était-ce  du lard ou du cochon ? En tous cas, c’était un travail juridique de cochon.

Voir TA Nîmes, 9 octobre 2018, n° 1800342, 1800350, 1801251 et 1801601 :

 

 

IV.B. En 2021, un paravent de laïcité qui ne peut pas, ou plus, fonder à elle seule une telle décision

 

Dès juin 2018, la commune avait corrigé son erreur et adopté une délibération.

C’est cette délibération qui a donné lieu à un nouveau contentieux puis, en 2021, à une nouvelle annulation.

Le travail juridique de la commune était plus sérieux… mais avec un seul angle d’attaque, fragile déjà en 2018, et à l’évidence aujourd’hui totalement inopérant.

Le tribunal administratif de Nîmes a tout d’abord rappelé les principes énoncés récemment par le Conseil d’Etat dans sa décision « commune de Chalon-sur-Saône » rendue le 11 décembre 2020 sous le n° 426483 (voir ci-avant III.C.).

En l’espèce, le tribunal a constaté que la commune avait fondé sa décision de supprimer les repas de substitution sur la seule atteinte aux principes de laïcité et de neutralité du service public sans prendre en compte l’intérêt général s’attachant au maintien de l’organisation précédente, et au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont la commune dispose.

Le tribunal a retenu que le conseil municipal de Beaucaire avait ainsi entaché sa décision d’une erreur de droit et a fait droit à la demande d’annulation des requérants.

 

TA Nîmes, 9 février 2021, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen LDH (n° 1900310) et Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme LICRA (n°1902318) :

 

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VI. L’affaire de Morières-les-Avignon

 

La commune de Morières-les-Avignon dans le Vaucluse a procédé à cette annonce (source Facebook de la FCPE locale) :

L’argumentation très clairement s’avère plus solide en droit que celles des exemples précités. Mais nous n’avons vu sur le site de cette commune (https://www.ville-moriereslesavignon.fr) ni délibération ni arrêté à ce sujet, ce qui peut surprendre. Ce qui pourrait ressembler à la situation susmentionnée en IV.A. alors que cela relève selon nous du règlement de service. Et qu’il faut voir si certains moyens d’une possible requête, notamment tirés de la convention de New York précitée, pourraient ou non prospérer.

A suivre…

 

VII. Comment (pour ceux qui ne sont pas intéressés que par le battage politico-médiatique…) sortir de l’alternative pour ou contre les repas sans porc ?

 

Nombre de communes et d’intercommunalités sortent de cette alternative en multipliant les repas végétariens en repas alternatif, tout en tentant de maintenir un équilibre en protéines. La loi EGALIM va dans ce sens… qui impose une expérimentation obligatoire en restauration scolaire publique ou privée d’un repas végétarien par semaine, voir :

 

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Voir aussi plus largement cet article :