« Name & shame » : le pilori oui, mais pas sans tri

L’exposition publique était une peine afflictive et infamante de l’Ancien Régime qui se manifestait, notamment, par le pilori ou le carcan. 

Une des versions contemporaines de cette mise au pilori consiste à mettre en ligne (« name and shame ») des délinquants, notamment des fraudeurs fiscaux…. ou ceux qui sont en retard face à telle ou telle obligation.

En France, la CNIL a ainsi adopté une délibération rendant publique le fait que 22 communes ont été mises en demeure de se doter d’un délégué à la protection des données (dpo ; pour « Data Protection Officer ») :

La Hongrie s’y est essayée… et la Cour européenne des droits de l’homme (institution siégeant à Strasbourg et dépendant du Conseil de l’Europe) a commencé en 2020 par estimer (non sans nuances) qu’il n’est pas contraire à en soi à la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme).

CEDH, 12 janvier 2020, L.B. v. HUNGARY, no. 36345/16 :

 

… OUI. Mais pas trop tout de même, vient de tempérer la même CEDH trois ans après.

Dans son arrêt de Grande Chambre1 rendu le 9 mars 2023, dans l’affaire L.B. c. Hongrie (requête no 36345/16), la CEDH dit, par quinze voix contre deux, que trop de name and shame pouvait violer l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile) de la Convention européenne des droits de l’homme..

L’affaire concernait la politique législative hongroise de publication de données à caractère personnel des contribuables débiteurs. Le requérant se plaignait en particulier qu’en vertu d’une modification apportée en 2006 à la législation fiscale applicable, son nom et l’adresse de son domicile avaient été publiés dans une liste des « principaux contribuables débiteurs », consultable sur le site internet de l’Autorité fiscale.

La Cour constate qu’en application de ce régime, la publication était systématique, sans aucune mise en balance de l’intérêt public à assurer la discipline fiscale, d’une part, et du droit au respect de la vie privée de la personne concernée, d’autre part.

Elle observe, en particulier, que le Parlement ne s’est livré à aucune appréciation des effets des régimes de publication antérieurs sur les contribuables ou de la complémentarité potentielle de la réforme de 2006. Par ailleurs, les considérations relatives à la protection des données, au risque d’usage impropre de l’adresse du domicile du contribuable débiteur par d’autres membres du public ou à la portée mondiale d’internet n’ont guère, voire pas du tout, été prises en compte.

La Cour n’est ainsi pas convaincue, malgré l’ample marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, que les motifs avancés par le législateur hongrois lors de la réforme du régime de publication en cause, bien que pertinents, étaient suffisants pour démontrer que l’ingérence dans l’exercice de ses droits par le requérant était « nécessaire dans une société démocratique ».

Source :

CEDH, Grande Chambre, 9 mars 2023, AFFAIRE L.B. c. HONGRIE, Requête no36345/16