Inacceptable occupation du TA de Bastia, laquelle est un acte violent et antidémocratique par nature

Il y a quelques jours, le TA de Bastia jugeait que la CTC (Collectivité territoriale de Corse) ne pouvait prévoir dans son règlement intérieur l’usage de la langue corse à parité avec le français.

J’attendais d’avoir le texte de ce jugement pour le commenter.

Mais en droit, l’illégalité de ce règlement intérieur était certaine et nul doute que les rédacteurs du projet soumis au vote des élus le savaient pertinemment. Ainsi, sans doute, que les élus eux-mêmes.

Le recours au français s’impose aux termes de la loi « Toubon » n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, précisant elle-même l’article 2 de la Constitution qui, par certains côtés, réactivait elle-même l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 aout 1539.

Voir aussi : C. Const., décision 99-412 DC – 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – Non conformité partielle. Voir plus récemment la décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021, avec un important volet sur les langues régionales. Voir :

Voir aussi du côté du Conseil d’Etat :

Voir aussi ma courte vidéo faite en mars 2022 à ce sujet (4 mn 11) : https://youtu.be/8ddUF0y8gj8

 

Avec un cas à part pour les traductions (laquelle n’est pas interdite par la loi) en sus du français : CE, 22 juillet 2022, n°455477 ; Conseil d’État, 31 octobre 2022, n° 444948, aux tables du recueil Lebon.
De même faut-il traiter séparément les textes écrits en allemand et qui s’imposent encore parfois en Alsace-Moselle (voir : CAA Nancy, 9 juillet 2020, n° 18NC01505; arrêt que nous avons diffusé et commenté ici : Alsace-Moselle : quand un texte de droit local, en allemand, remontant à la période 1871-1918, est-il encore applicable ? )

Une traduction simultanée, par exemple, en corse des propos tenus en français ne serait pas illégale. Mais, à cette solution légale, d’autres ont préféré la provocation et, accessoirement, l’exclusion impolie des non-bilingues s’il s’en trouve sur place. Soit.

Passons sur les propos aussi lénifiants que répétitifs, en ligne, sur le fait que cette situation serait la conséquence supposée funeste de l’absence d’adoption de la charte des langues régionales par la France… Car la situation en droit s’avère bien plus subtile que cela.

 

Bref :

  • politiquement, et juridiquement au sens où l’on peut vouloir changer le droit (« de lege feranda »)… un débat existe et pourquoi pas
  • juridiquement au sens du droit tel qu’il est (« de lege lata »), la censure était certaine

 

pour en savoir plus sur le fond du droit, voir La langue française ne peut, en droit, être en tout ou partie remplacée par une autre dans les débats des assemblées locales : retour sur les jugements du TA de Bastia 

 

Donc une assemblée de notre pays adopte un texte illégal pour alimenter le débat et provoquer.

Cela arrive. Je connais une foultitude d’élus qui dans le passé ont agi ainsi, adoptant tel ou tel acte illégal et dont on savait qu’il allait être censuré par un juge… et ce juste pour porter haut leurs combats (arrêtés anti-expulsions, arrêtés anti-linky, délibérations sur des questions de politique internationale, etc.).

MAIS quand on prend un acte illégal et qu’on sait qu’il sera censuré… on n’organise pas ensuite (ou on ne laisse pas organiser) l’occupation du TA qui n’a fait que rappeler le droit. Car figurez-vous que c’est ce que certains ont osé faire. Une grande partie de cette journée.

NOUS SOMMES DANS UN ÉTAT DE DROIT ET NON ON NE VA PAS SÉQUESTRER DES JUGES OU OCCUPER LEURS LOCAUX JUSTE PARCE QUE L’ON N’EST PAS SATISFAIT DE TELLE OU TELLE DÉCISION.

C’EST CONTRAIRE À LA SÉPARATION DES POUVOIRS.

C’EST CONTRAIRE AUX RÈGLES DE BASE DE LA DÉMOCRATIE EN FAISANT PRÉVALOIR LA FORCE SUR LE DROIT.

C’EST UN ACTE DE BRUTALITÉ ET DE MÉPRIS DES RÈGLES DU VIVRE EN COMMUN DANS UN RÉGIME DÉMOCRATIQUE.

ET EN PLUS QUAND ON SAVAIT QUE L’ACTE ALLAIT ÊTRE CENSURÉ.. C’EST AUSSI IDIOT QU’HYPOCRITE .

Et le pire est de voir ceux qui occupent le TA de Bastia prétendre qu’il s’agirait là d’une « occupation pacifique ». Comment dit-on « Tartuffe » en langue corse ? Car c’est ce dont il s’agit :

 

Non une occupation d’un tribunal est dans son essence même un acte violent, antidémocratique et, partant, anti-pacifique. En langue corse comme en français, les mots ont un sens.

C’est un jour à mettre les drapeaux en berne. Le français comme celui à la tête de maure.

 

NB : voir aussi : Communiqué de presse : l’USMA condamne fermement l’occupation du tribunal administratif de Bastia