Principe d’impartialité et inévitable entre-soi au Conseil d’Etat : suite et pas fin avec, cette fois, la question des nominations passant du CSTA-CAA à une décision prise par le VP du CE, siégeant au CSTA-CAA

Les principes d’indépendance et d’impartialité ne sont pas méconnus par la présence du VP du CE, du président de la MIJA et du secrétaire général du Conseil au CSTA-CAA… en amont des nominations faites par le VP du CE. 


 

En termes contentieux, le principe d’impartialité n’est pas d’application toujours aisée. Voir par exemple :

 

Ainsi en 2018 le Conseil d’Etat avait-il rappelé qu’il

« résulte de l’article L. 821-2 du code de justice administrative (CJA) que la formation de jugement appelée à délibérer à nouveau sur une affaire à la suite d’une annulation par le Conseil d’Etat de la décision précédemment prise sur cette même affaire ne peut comprendre aucun magistrat ayant participé au délibéré de cette décision »
… Mais il avait pris grand soin de préciser que ce beau principe s’applique :
« sauf impossibilité structurelle pour la juridiction à laquelle l’affaire a été renvoyée de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l’affaire.»

 

Le principe d’impartialité s’impose même hors contentieux.

Ainsi un appel à projets doit-il être traité avec impartialité par les administrations (TA Grenoble, 25 février 2021, n°1703926). Il en va de même des jurys de concours dans la fonction publique (CE, 17 octobre 2016, Université de Nice-Sophia Antipolis, n° 386400), ou encore lors des décisions en matière d’octroi de la protection fonctionnelle (CAA Douai, 3 février 2022, n° 20DA02055). Voir par exemple, pour une décision de la Commission Mixte Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP) viciée parce qu’un de ses membres, éminent, s’était auparavant exprimé au sujet d’une future décision de ladite commission : TA Paris, ord., 13 janvier 2023, n°2226512/5). Voir, en marchés publics, Conseil d’État, 7ème / 2ème SSR, 14/10/2015, 390968 puis CE, 25 novembre 2021, Corsica Networks a c/ collectivité de Corse et NXO France, n° 454466, à publier au rec. ; Impartialité et mise en concurrence [VIDEO et article] ). Voir pour une impartialité lors d’une défusion de communes : CAA Bordeaux, 8 octobre 2020, n° 18BX04361. Reste que tout ceci s’apprécie avec prudence, au cas par cas (voir par exemple CE, 18 novembre 2022, n° 457565).

Oui mais comment gérer l’impartialité quand il n’est pas facile de se dissocier ? En contentieux, on a vu que la limite de ce principe était l’éventuelle « impossibilité structurelle pour la juridiction à laquelle l’affaire a été renvoyée de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l’affaire » ( CE, 26 mars 2018, M. , n° 402044, rec. T. pp. 750-948 ; CE, 5 juillet 2022, n° 449112, à mentionner aux tables du recueil Lebon).

Le petit monde du Conseil d’Etat et de ses institutions satellitaires illustre à l’excès les limites de cette interdiction de l’entre-soi.

Déjà, dans le passé, le Conseil d’Etat s’estimait bien compétent en premier et dernier ressort pour connaître de la délibération du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTA, ou CSTACAA ou CSTA-CAA…) établissant, en application des articles L. 234-2 et L. 234-2-2 du code de justice administrative (CJA), un tableau d’avancement au grade de président du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Source : CE, 24 janvier 2022, n° 445786, à mentionner aux tables du recueil Lebon. NB : sur les compétences du CSTA-CAA, voir CE, 5 mars 2020, n°427737, au recueil Lebon. 

Sauf que quand on sait le poids du CE dans les décisions du CSTA-CAA…. c’est un peu amusant. Comme si on pouvait être à la fois DRH et juge de ce qu’a fait le DRH.

Un peu comme si le Conseil d’Etat était compétent pour être juge des actes de son patron (i.e. son Vice-Président). Ooups. C’est justement le cas… Voir :

NB : pour le judiciaire, c’est le Conseil d’Etat qui est compétent en premier et dernier ressort pour connaître du refus du garde des sceaux de proposer au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) la promotion d’un magistrat ( CE, 29 mars 2017, n° 397724, rec. T. pp. 528-656).

Au total, voir ma petite vidéo : Juge administratif : qui gardera le gardien ? (Quis custodiet ipsos custodes ?) [VIDEO] 

Dès lors, nul ne sera surpris de voir que le Conseil d’Etat a posé que (ce qui suit reprend fidèlement les futures tables du rec. telles que préfigurées par celles de la base Ariane ; il est des humours ciselés qu’il n’est pas question de dévoyer par des citations tronquées) : 
« Les attributions et la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), résultant des dispositions des articles L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative (CJA) concourent à garantir l’indépendance et l’impartialité de la juridiction administrative. La circonstance que l’article L. 232-4, relatif à la composition du CSTACAA, prévoit qu’il comprend, parmi ses treize membres, le vice-président du Conseil d’Etat, en qualité de président, le conseiller d’Etat, président de la mission d’inspection des juridictions administratives (MIJA) et le secrétaire général du Conseil d’Etat, alors qu’ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, n’est en rien de nature à porter atteinte à l’indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Au demeurant, ainsi que l’a d’ailleurs jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’Etat sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du CJA assurent leur indépendance, en particulier à son égard. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les principes d’indépendance et d’impartialité indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789 ne soulève pas une question sérieuse. »
En l’espèce, la partie requérante s’est vue refuser par le Conseil d’Etat la transmission d’une QPC sur ce point, dans le cadre d’un litige portant sur la nomination du président du tribunal administratif de Paris par le Vice-Président du Conseil d’Etat… lequel avait donc siégé avec quelques proches en CSTA-CAA.
Citons le résumé des tables sur l’affaire précitée CE, 17 octobre 2016, Université de Nice-Sophia Antipolis, n° 386400) :
« La seule circonstance qu’un membre du jury d’un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu’il s’abstienne de participer aux délibérations de ce concours. En revanche, le respect du principe d’impartialité exige que, lorsqu’un membre du jury d’un concours a avec l’un des candidats des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s’abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l’ensemble des candidats au concours. En outre, un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l’impartialité requise, doit également s’abstenir de prendre part à toutes les interrogations et délibérations de ce jury en vertu des principes d’unicité du jury et d’égalité des candidats devant celui-ci.»
Mais tout ceci relève d’une appréciation au cas par cas. Ainsi :

« […] la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline susceptibles de participer au comité de sélection doivent être pris en considération pour l’appréciation de l’intensité des liens faisant obstacle à une participation au comité de sélection.»(Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 12/06/2019, 409394)

Or, en l’espèce, certes le CSTA-CAA est certes le royaume de l’entre-soi mais :
  • « […] la nature hautement spécialisée du recrutement [doit…] être pris en considération »
  • et pour importer au procédures administratives non contentieuses un raisonnement tenu ci-avant en pur contentieux, il faut aussi prendre en compte l’ « impossibilité structurelle » de ne pas avoir les grands dirigeants du Conseil d’Etat au CSTA-CAA (CE, 26 mars 2018, M. , n° 402044, rec. T. pp. 750-948) 

 

Donc une fois de plus triomphe l’entre-soi au détriment d’une vision très stricte de l’impartialité… mais une telle vision très stricte, en l’espèce, serait très difficile à mettre en oeuvre et ne serait pas, non plus, sans inconvénients.