TEOM : de l’excédent à la gratuité… quoique (le juge met de l’eau dans son lixiviat)

Schématiquement, en matière de fixation des taux de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), le juge estime :

  • que la TEOM est une ressource dédiée et affectée aux OM et qu’il est interdit d’avoir une TEOM trop excédentaire… ou plus précisément, pour reprendre la formulation du juge, dont le taux ne doit pas « être manifestement disproportionné » par rapport au montant des dépenses « tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux »
  • qu’il doit exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’équilibre du budget… erreur manifeste d’appréciation qui se trouve parfois constituée dans des cas qui sont pour le gestionnaire public loin d’être manifestes !
  • que loi impose de prendre en compte la notion de « dépense réelle d’investissement », mais sans que soit précisée par le législateur la faculté d’intégrer les provisions, les sommes conservées pour un futur autofinancement dans le cadre d’un plan pluriannuel d’investissement (PPI)
  • qu’il n’est pas légal (sauf pour des pourcentages très faibles) de prévoir un excédent de précaution
  • qu’il peut même en résulter la gratuité in fine pour le contribuable victorieux au contentieux… Voir :

Oui mais le droit évolue d’une manière générale dans un sens plus proche de ce qu’est la réalité des budgets locaux depuis 3 ans (I), et voici maintenant qu’au lieu d’imposer la gratuité pour le contribuable qui a eu gain de cause, le Conseil d’Etat vient d’imposer un mode d’emploi plus nuancé (II), qui était débattu au regard des formulations antérieures du juge. Le doute n’est désormais plus permis, la gratuité n’est plus obligatoire, et le juge a mis de l’eau dans son livixiat.

 

 

I. D’une manière générale, un régime strict, mais qui, depuis 3 ans, devient moins déraisonnable

 

A la suite du célèbre arrêt Auchan de 2014, les collectivités ont eu pendant 6 ou 7 ans à subir une avalanche de mauvaises nouvelles :

  • les TEOM excédentaires sont devenues vite illégales, même pour des débords fort limités
  • le juge a imposé des modes de calcul inquiétants
  • le contribuable requérant peut même y gagner une gratuité fiscale
  • la facture qui in fine reposait sur l’Etat incombe désormais aux collectivités
  • le juge a admis la possibilité d’actions en reconnaissance de droits (une des variantes des class actions à la française), en ce domaine.

Mais après 6 ou 7 ans de vaches maigres, voici que depuis deux ans un spectaculaire rééquilibrage est opéré par le juge administratif, au point que l’on peut penser que les jurisprudences en ce domaine sont maintenant non seulement stabilisées, mais aussi moins déséquilibrées :

Voici une vidéo à ce sujet faite au printemps 2022 et qui parcourt en 10 mn 25 ce sujet tout à fait passionnant si on tente de passer du contentieux à la prévention des contentieux, de l’attaque à la prévention des attaques :

https://youtu.be/aCaqgLChyLU

 

Sources citées au fil de cette vidéo par ordre d’apparition : CE, 31 mars 2014, Auchan, n°368111 ; TA Lyon, 9/1/2015, n°1402323 ; TA de Montreuil, 18 mai 2017, n°s 1434675 et 1439146, Groupe Auchan SA (voir cependant ensuite Conseil d’État, 11/07/2018, n° 412263) ; TA Lyon, 4 décembre 2017, n°1506949 et 1605089, n° 1507006 et 1507008, n°1507046, n°1507047, etc. ; CE 19/03/2018, n° 402946 ; CE, 25/06/2018, n° 414056 ; articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du CGCT ;  TA Montreuil, 8 octobre 2018, n°1643344 – 1643345 ; CE, 28 avril 2014, n°357090 ; Jugements rendus le 23 mai 2018 par le TA de Cergy-Pontoise ; conclusions de M. Toutée sur CE, 8 juin 1990, Assaupamar, n°93191, publié au rec. ; CE, 18 mai 2018, n° 411045 et 411583 ; CE, 24/10/2018, Casino, n°413895 ;  III de l’article 1639 A du CGI ; TA Lyon, 14 novembre 2018, n° 1702610 ; LFI 2019 n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ; art. L. 3662-2 et L. 5219-8-1 du CGCT ; CE, 20 septembre 2019, n° 419661 ; art. 1520 et 1521 du CGI ; CE, 13 février 1980, S.A. « Au Bon Marché », n° 10697, rec. T. p. 671 ; 
CE, 12 mars 2021, n° 442583, à publier aux tables du rec. ; CE, 1er juillet 2020, n° 424288 ; TA Lyon, n° 1803391-1803392, CANOL, 26 octobre 2020, C+ ; TA Lyon, n° 1904685, CANOL, 26 octobre 2020, C+ ; CE, 4 octobre 2021, n° 448651, à publier au recueil Lebon ; CE, 22 octobre 2021, N° 434900, à publier en intégral au recueil Lebon ; CE, 15 novembre 2021, n° 454125, à publier au recueil Lebon ; art. L. 2333-78 du CGCT ; CE, 29 novembre 2021, n° 454684.

Dans l’affaire « Auchan » concernant Lille Métropole, le juge avait tout de même censuré un excédent… de 2,5 % du budget ! Soit un niveau correspondant à une marge de sécurité…

De même un jugement  concernant cette fois le Grand Lyon portait sur un excédent de 15,5 % qui avait été considéré par le juge comme étant « manifestement disproportionné ». Voici ce jugement :

En revanche :

 

Puis, même si encore une fois le juge ne fixe en ces domaines absolument pas de pourcentage « légal ou illégal », car il privilégie une appréciation au cas par cas, et qu’à l’évidence la taille totale du budget compte (des pourcentages plus larges sont visiblement admis pour les budgets plus petits)… notons tout de même qu’en 2021 le Conseil d’Etat ait admis (pour une communauté d’agglomération) comme n’étant pas manifestement disproportionné un taux de… 14,6% (lequel selon nous n’eût pas manqué d’être censuré quelques années auparavant). Voir :

 

Dans la lignée de l’arrêt précité n° 438897, le TA de Versailles, s’agissant là encore d’une communauté d’agglomération, a même validé comme n’étant pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation un taux d’excédent de 14,58 %.

Fait intéressant, le juge déplore que » les documents budgétaires produits ne permettent pas d’identifier les seules dotations aux amortissements affectées au service des ordures ménagères». Mais (et cela s’avère très logique) il admet que la communauté d’agglomération, à la place, produise « l’inventaire des immobilisations affectées au seul service des ordures ménagères, qui indique le montant de l’amortissement pratiqué au titre de l’année 2018 pour chacune de ces immobilisations » (soit un montant de 962 153,75 euros au titre de l’année 2018). Cette acceptation de substitution est logique (voir ci-avant l’arrêt, précité, n° 424288).

Voici cette décision :

 

 

Le Conseil d’Etat a même rendu récemment une intéressante décision confirmant qu’il faut même alors prendre en compte les charges exceptionnelles de fonctionnement (hors dépenses d’ordre)…. avec un excédent admis de 13,84 % en 2019 et de 11,35 % en 2020… ce qui était peu imaginable au lendemain du funeste arrêt Auchan.

Conseil d’État, 14 avril 2023, n° 465403, aux tables du recueil Lebon

 

II. La gratuité, pour le contribuable victorieux, ne sera plus automatiquement la récompense

 

En cas de TEOM excédentaire, devait-on, ensuite d’une annulation, pour le litige en cause  (si le contentieux portait non sur la délibération initiale mais sur l’avis d’imposition lui-même) :

  • appliquer le taux n-1 si celui-ci n’a pas été attaqué (solution normale applicable par défaut en contentieux fiscal… III de l’article 1639 A du code général des impôts)
  • OU recalculer la somme due pour enlever juste la part excédentaire (après tout sinon il y a enrichissement sans cause du contribuable)
  • OU estimer qu’il y a en ce cas 0 euro à payer ?.

 

Les jurisprudences variaient sur ce point.

Le TA de Cergy-Pontoise avait ainsi opté pour cette dernière solution, au terme d’un raisonnement … comment dire… audacieux. Voir :

 

Le Conseil d’Etat lui avait, hélas, emboîté le pas  mais avec une position un peu plus nuancée. Le Conseil d’Etat prévoyait nous semble-t-il :

  1. par défaut une décharge TOTALE en cas de TEOM excédentaire (et non un recalcul)
  2. mais il réserve l’hypothèse où un retour au taux de l’année n-1 serait possible et légal

Il interdit en revanche un raisonnement de diminution au cas par cas pour revenir à ce qu’était l’équilibre de la TEOM.

 

Voir :

Pour une application sévère, voir par exemple TA Lyon, 14 novembre 2018, n° 1702610.

Cf. cette petite vidéo courroucée :

En 8 mn 24, Maîtres Yann et Eric Landot présentent conjointement l’état du droit à ce sujet… qui reste inquiétant pour les services financiers et les services en matière de déchets… surtout depuis des décisions rendues en 2019 et 2020.

https://youtu.be/NcKryBM6Vg0

 

Fort heureusement, le Conseil d’Etat vient de rendre une autre décision où il fait prévaloir l’interprétation la plus optimiste (du point de vue des acteurs publics, qui sont nos clients et qui représentent l’intérêt général).

La Haute Assemblée pose que; lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ne peut plus servir de fondement légal à l’imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l’année en litige, il appartient au juge de l’impôt, saisi d’une demande en ce sens :

  1. de rechercher s’il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l’année précédente.
  2. Tel n’est pas le cas lorsque le taux de l’année précédente est manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l’année en litige.

 

En de pareil cas, les jurisprudences à ce jour entre TA étaient tout à fait contradictoires.

Désormais, le point de principe posé par le Conseil d’Etat et qui sur ce point sera repris par toutes les juridictions, sauf très improbable rébellion, sera ainsi formulé :

« lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l’imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l’année en litige, il appartient au juge de l’impôt, saisi d’une demande en ce sens, de rechercher s’il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l’année précédente. Tel n’est pas le cas lorsque le taux de l’année précédente est manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l’année en litige.»

D’où le schéma suivant :

Voici cette décision :

Conseil d’État, 30 juin 2023, n° 448159, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de Mme Céline GUIBE, Rapporteure publique :