La saga des décisions de Justice concernant la TEOM continue… avec des nouvelles plus ou moins bonnes pour les collectivités (souvent mauvaises depuis 2014…) :
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Avec d’ailleurs des évolutions notables dans la loi de finances pour 2019 :
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Schématiquement, le juge estime :
- que la TEOM est une ressource dédiée et affectée aux OM et qu’il est interdit d’avoir une TEOM trop excédentaire… ou plus précisément, pour reprendre la formulation du juge, dont le taux ne doit pas « être manifestement disproportionné » par rapport au montant des dépenses « tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux »
- qu’il doit exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’équilibre du budget.
- que loi impose de prendre en compte la notion de « dépense réelle d’investissement », mais sans que soit précisée par le législateur la faculté d’intégrer les provisions, les sommes conservées pour un futur autofinancement dans le cadre d’un plan pluriannuel d’investissement (PPI)
- qu’il n’est que très peu possible, pour caricaturer ce qui est déjà parfois caricatural au naturel, de prendre en compte des dépenses indirectes portées par le budget général (comme on l’impose inversement, pourtant, en matière scolaire pour le forfait élève aux écoles privées !)
-
qu’il n’est pas légal (sauf pour des pourcentages très faibles) de prévoir un excédent de précaution
- que dès lors cette erreur manifeste d’appréciation… se trouve parfois constituée dans des cas qui sont pour le gestionnaire public loin d’être manifestes !
Le Conseil d’Etat vient de trancher un point complémentaire.
Pour apprécier de la légalité ou non d’une TEOM d’une communauté d’agglomération, un tribunal administratif s’était fondé sur la comparaison :
- du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères
- au montant estimé des dépenses non couvertes par des recettes non fiscales, à l’exclusion des montants se rapportant aux opérations d’ordre.
Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement.
Comparer recettes et dépenses, montant de TEOM et dépenses non couvertes par des recettes non fiscales, OUI nous confirme le CE.
Mais la Haute Assemblée persiste en posant qu’on ne peut exclure par principe du calcul des recettes non fiscales l’ensemble des recettes d’ordre de la section de fonctionnement.
Re-jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a ensuite rétabli le bon mode d’emploi, selon lui :
- le montant des dépenses du budget annexe de collecte et de traitement des déchets, tel qu’il ressortait du rapport annuel sur le prix et la qualité du service, auquel il convient de se référer en l’absence de données d’une précision suffisante dans les documents relatifs au budget primitif du service de collecte et de traitement des déchets figurant au dossier (point important mais non nouveau), qui inclut les dépenses réelles de fonctionnement et les dotations aux amortissements (mais uniquement les dotations, et non les provisions pour Investissements nouveaux, ce qui là encore est conforme à la jurisprudence classique hélas pour les services des OM…), s’élevait à 9 494 418 euros
- le montant des dépenses spécifiques afférentes aux déchets non ménagers se montait à 384 482 euros, et le CE a estimé que ces montants n’étant pas efficacement contestés par les allégations de la requérante.
- le Conseil d’Etat rappelle ensuite que les recettes non fiscales ne doivent pas inclure le report de l’excédent de la section de fonctionnement de l’exercice précédent. En l’espèce, ces recettes s’élevaient, en prenant donc en compte la totalité des recettes d’ordre, qui sont de 62 070 euros, à 1 926 768 euros, dont 374 995 euros de redevance spéciale et 11 555 euros de redevances pour l’enlèvement de déchets industriels.
- Le montant des dépenses de fonctionnement relatives aux déchets ménagers non couvertes par des recettes non fiscales, compte non tenu de ces deux redevances, s’élevait ainsi au minimum à 7 569 718 euros.
- Il en résultait que le produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui se montait à 8 042 253 euros, excédait au maximum de 6,2 % le montant des charges qu’elle avait pour objet de couvrir.
- et le CE a validé un tel excédent en estimant que ce taux de cette taxe ne pouvait être regardé comme manifestement disproportionné. Alors qu’il avait censuré dans le passé des excédents bien moindres en pourcentages.
Voici cet arrêt important :
Conseil d’État
N° 419661
ECLI:FR:CECHR:2019:419661.20190920
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
8ème – 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Vié, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
lecture du vendredi 20 septembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégralVu la procédure suivante :
La société anonyme (SA) Sogefimur a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 2013 à raison d’un immeuble dont elle est propriétaire à Cholet (Maine-et-Loire). Par un jugement n° 1506599 du 8 février 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 avril 2018, 27 septembre 2018 et 6 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Sogefimur demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :– le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Sogefimur ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Sogefimur se pourvoit en cassation contre le jugement du 8 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation de taxe d’enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 2013 dans les rôles de la commune de Cholet.
2. Aux termes du I de l’article 1520 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur au titre de l’année d’imposition en litige : ” I. – Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal. (…) “. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires de la commune mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu’elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de ces dépenses, tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.
3. Pour apprécier la légalité de la délibération du 17 décembre 2012 de la communauté d’agglomération du Choletais et du taux qu’elle fixait, le tribunal administratif de Nantes s’est fondé sur la comparaison du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères au montant estimé des dépenses non couvertes par des recettes non fiscales, à l’exclusion des montants se rapportant aux opérations d’ordre. En excluant ainsi par principe du calcul des recettes non fiscales l’ensemble des recettes d’ordre de la section de fonctionnement, qu’il a regardées comme des jeux d’écriture entre sections, il a commis une erreur de droit. Il en résulte que son jugement doit être annulé pour ce motif, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il résulte de l’instruction que le montant des dépenses du budget annexe de collecte et de traitement des déchets, tel qu’il ressort du rapport annuel sur le prix et la qualité du service, auquel il convient de se référer en l’absence de données d’une précision suffisante dans les documents relatifs au budget primitif du service de collecte et de traitement des déchets figurant au dossier, qui inclut les dépenses réelles de fonctionnement et les dotations aux amortissements, s’élève à 9 494 418 euros et que le montant des dépenses spécifiques afférentes aux déchets non ménagers s’élève à 384 482 euros, ces montants n’étant pas efficacement contestés par les allégations de la requérante. Il résulte également de l’instruction que les recettes non fiscales, qui ne doivent pas inclure le report de l’excédent de la section de fonctionnement de l’exercice précédent, s’élèvent, en prenant en compte la totalité des recettes d’ordre, qui sont de 62 070 euros, à 1 926 768 euros, dont 374 995 euros de redevance spéciale et 11 555 euros de redevances pour l’enlèvement de déchets industriels. Le montant des dépenses de fonctionnement relatives aux déchets ménagers non couvertes par des recettes non fiscales, compte non tenu de ces deux redevances, s’élève ainsi au minimum à 7 569 718 euros. Il en résulte que le produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui s’élève à 8 042 253 euros, excède au maximum de 6,2 % le montant des charges qu’elle a pour objet de couvrir. Il suit de là que le taux de cette taxe ne peut être regardé comme manifestement disproportionné. La demande de la société doit ainsi être rejetée.
6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 février 2018 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Sogefimur devant le tribunal administratif de Nantes et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Sogefimur ainsi qu’au ministre de l’action et des comptes publics.