Par delà des formulations un brin différentes, la notion « d’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » est un élément déterminant pour certaines infractions, dont certaines tout à fait déterminantes dans le monde public.
Voyons ce à quoi correspond réellement cette notion, au fil d’une vidéo et d’un article.
I. VIDEO
Voyons avec cette vidéo de 12 mn 04, avec nombreuses jurisprudences à l’appui, comment cela se concrétise et le calibrage à adopter en matière de mesures de sécurité.
II. ARTICLE
Par delà des formulations un brin différentes, la notion « d’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » est un élément déterminant pour certaines infractions, dont certaines tout à fait déterminantes dans le monde public.
Les principales sont :
- l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui prévue à l’article 223-1 du code pénal, infraction qui peut être commise même si nulle mort ni nulle blessure n’est commise concrètement (c’est l’exposition au risque qui est sanctionnée) :
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.» - les diverses infractions d’homicides ou de blessures involontaires (HBI) relevant de divers articles du code pénal (art. 221-6 s., 222-19 s., R. 622-1, R. 625-2 s.)… auquel cas OUI il y a une une victime réelle ou — au moins — prétendue telle au contraire de l’infraction précédente. Idem pour quelques autres infractions dites « involontaires » (certaines pollutions, etc.)
NB : cette notion se retrouve aussi, sous diverses formes, dans d’autres régimes (article L. 231-1 du code de l’environnement, articles L. 232-1 et s. du code de la route…).
Dans le cas de ces infractions involontaires, s’applique la loi Fauchon avec ce mode d’emploi :
DANS LES DEUX CAS, notament, (article 223-1 du code pénal pour la mise en danger délibérée d’autrui et article 121-3 du même code pour les autres infractions de négligence ou d’imprudence, dont les HBI donc), l’infraction ne sera donc constituée que si l’on a — par delà certes des différences de rédaction — la violation délibérée d’une :
« obligation particulière de prudence ou de sécurité [imposée ; prévue] par la loi ou le règlement »
D’où les critères suivants :
- 1/ Il faut qu’il y ait loi ou règlement… pas des normes moindres. Pas de vagues guides de bonnes pratiques (ou alors, pour les infractions de négligence ou d’imprudence, on sera jugé à l’aune de la commission ou non d’une faute caractérisée… on passe alors du haut à gauche au bas à droite de la grille que je vous affiche de nouveau)
- 2/ ET SURTOUT le critère est donc le point de savoir si l’obligation particulière de prudence et de sécurité, imposée par la loi ou le règlement, est, ou n’est pas de celles « qui s’apprécie[nt] de manière objective et abstraite, [qui est] immédiatement perceptible et clairement applicable, sans possibilité d’appréciation personnelle par la personne qui y est tenue.»
Citons quelques jurisprudences qui montrent à quel point nous ne serons que dans ce cadre que si la mesure de sécurité, outre qu’elle est créée par la loi ou le règlement, impose une logique binaire sans marge d’appréciation (ou alors très très limitée).
Voyons, pour ce qui est de la mise en danger délibérée de la vie d’autrui :
- au titre de la pandémie de Covid-19, dans une affaire où il s’agissait de poursuivre, ou non, l’ancienne ministre de la Santé, la Cour de cassation avait déjà rejeté toute une série de textes en posant qu’ils ne fondaient pas non plus une obligation législative ou réglementaire « qui s’apprécie de manière objective et abstraite, [qui est] immédiatement perceptible et clairement applicable, sans possibilité d’appréciation personnelle par la personne qui y est tenue.»
Source : Cour de cassation, Assemblée plénière, 20 janvier 2023, 22-82.535, Publié au bulletin - voir en matière de droit du travail :
- face à un agent cancérogène, mutagène et toxique pour la reproduction (CMR) : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 novembre 2019, 18-82.718, Publié au bulletin
- pour d’autres cas, voir Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 octobre 2020, 19-85.037
- est une telle obligation, univoque donc, susceptible de fonder cette responsabilité, l’obligation « de remettre au locataire un logement décent, ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, [notamment lorsque le propriétaire est] tenu de s’assurer à cette fin que les menuiseries extérieures et la couverture, avec ses raccords et accessoires, assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation pour le maintien en état et l’entretien normal de laquelle il est tenu de faire toutes les réparations, autres que locatives »
Source : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 février 2024, 23-82.428. A comparer, antérieurement, s’agissant des conditions s’imposant aux propriétaires qui mettent leur appartement en location, en matière de plomb au regard du risque de saturnisme Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 novembre 2012, 11-88.059. - sur le fait qu’à cette aune, l’obligation de remise en état du site d’exploitation édictée par l’article L.511-1 du Code de l’environnement n’a jamais été ni circonstanciée, ni précise, voir Cour d’appel de Toulouse, CT0028, du 6 décembre 2005
- non application pour le rôle du préfet qui expulse un étranger malade, voir Cass. crim., 5 mars 2024, n° 22-86.972.
Citons aussi pour ce qui est de l’application de la loi Fauchon, précitée, pour savoir si est, ou non, violée « de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » (art. 121-3 du code pénal) :
- non obligation fixée par la loi et le règlement, en droit scolaire, consistant à vérifier si un enfant de 10 ans, autorisé à aller aux toilettes et y restant longtemps, n’est pas en réalité en train de se tuer 😱 en jouant au « jeu du foulard » ou équivalent :
- « l’enfant, qui avait souffert d’une occlusion intestinale, bénéficiait d’une permission de se rendre sans autorisation préalable aux toilettes pendant les cours, énoncent que l’institutrice, qui ignorait qu’il se livrait depuis peu au jeu dangereux dont il a été victime, n’a pas violé d’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les dispositions invoquées des lois du 18 septembre 1937 et du 10 juillet 1989 alors en vigueur ne prescrivant aucune obligation de cette nature, et qu’elle n’a pas commis de faute caractérisée exposant la victime à un risque qu’elle ne pouvait envisager ;»
Source : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 10 décembre 2002, 02-81.415, Publié au bulletin
- ne constitue pas une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, susceptible d’engager leur responsabilité pénale, au regard des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal qui résultent de la loi du 10 juillet 2000, l’absence de concertation entre deux responsables de sociétés de chasse ayant organisé une traque sans avoir pris de mesure spécifique pour coordonner leurs actions de manière à éviter toute erreur de tir, de placement ou tout risque d’accident.
Source : Cour d’appel de Paris, du 11 avril 2002, 2000/01662 - Voir pour une règle fondant une telle obligation de prudence ou de sécurité fixée par la loi ou le règlement, en matière de sécurité alimentaire :
- « constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 aux termes desquels notamment, d’une part, lorsqu’une denrée alimentaire dangereuse fait partie d’un lot ou d’un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu’il n’y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d’autre part, dans une telle situation l’exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.»
Source : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 31 mars 2020, 19-82.171, Publié au bulletin - dans ma pratique les risques les plus nets à ce sujet, non pas de « faute caractérisée » au sens de la loi Fauchon, mais de violation d’une telle règle de sécurité imposée par la loi ou le règlement, avec le mode d’emploi que nous venons de décrire… sont le non respect des règles, précises en droit, en matière de :
- cages et paniers de sports collectifs
- ralentisseurs au sols (risque pour les motos notamment)
- « constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 aux termes desquels notamment, d’une part, lorsqu’une denrée alimentaire dangereuse fait partie d’un lot ou d’un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu’il n’y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d’autre part, dans une telle situation l’exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.»
- « l’enfant, qui avait souffert d’une occlusion intestinale, bénéficiait d’une permission de se rendre sans autorisation préalable aux toilettes pendant les cours, énoncent que l’institutrice, qui ignorait qu’il se livrait depuis peu au jeu dangereux dont il a été victime, n’a pas violé d’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les dispositions invoquées des lois du 18 septembre 1937 et du 10 juillet 1989 alors en vigueur ne prescrivant aucune obligation de cette nature, et qu’elle n’a pas commis de faute caractérisée exposant la victime à un risque qu’elle ne pouvait envisager ;»
NB pour l’affaire du DRAC et les sorties scolaires, voir Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 18 juin 2002, 01-85.537, Publié au bulletin
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D’où la conclusion opérationnelle suivante :
- si la loi vous laisse une marge de manœuvre, un espace d’appréciation, il faut être prudent, mais en cas de difficulté, il est possible de hiérarchiser, d’opter pour une solution alternative qui ne serait pas une « faute caractérisée »
- si la loi ou le règlement impose un respect univoque, sans marge d’appréciation, de telle ou telle norme… alors le risque 0 s’impose.
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