Législatives 2024 : diffusion de l’instruction de nuançage (avec sans doute un débat à venir du côté du NFP)

Les résultats des élections législatives que nous vivons avec une certaine intensité… seront faits selon une grille de nuances qui a été fixée par une instruction du 11 juin 2024… et qui n’a été mise en ligne qu’hier tardivement !

Explorons-en le contenu (II.), avec notamment :

  • une absence du Nouveau front populaire en tant que tel. Mais sur ce point le Ministre a prévu une qualification « UG » qui lui donnerait une ligne de défense bien plus forte que quand, en 2022, il refusait de reconnaître la NUPES comme une appellation en soi. 
  • et une sortie du RN de la qualification d’extrême-droite (plus précisément il n’est ni qualifié ni NON qualifié comme tel, à l’instar de LFI de l’autre côté)… 

Le premier de ces deux choix est, en droit, osé, si l’on appréhende le cadre juridique de ce « nuançage » qui, dans le passé, a donné lieu à de net camouflets contentieux pour les gouvernements successifs (I.). Au point qu’au moins deux réformes semblent à envisager (III.).

Il faut dire que parfois certaines candidatures sont délicates à classer… 

 

I. Rappel du cadre juridique de ces « nuançages » 

 

Le décret 2014-1479 du 9 décembre 2014 distingue l’étiquette politique, librement choisie par le candidat, de la nuance politique, attribuée par l’administration.

D’où à chaque élection la sortie de circulaires sur les nuances à apporter par les Préfets à ceux qui aspirent à la fonction de député et dont ils enregistrent les candidatures. Avec notamment un effet médiatique important.

Avec le mode d’emploi que voici :

  • A/ Si le candidat est investi ou soutenu par une seule formation politique disposant d’une nuance propre : le préfet attribue la nuance propre à cette formation
  • B/ en cas d’absence d’investiture ou de soutien : attribution d’une nuance de sensibilité – idem pour les dissidents… sachant qu’à chaque fois une nuance « DIV » est prévue.
  • Si le candidat bénéficie de l’investiture ou du soutien de plusieurs formations politiques : attribution selon les cas d’une nuance correspondant à une formation (cas 1) ou à une sensibilité (cas 2).

 

Et le Conseil d’Etat a montré dans le passé qu’il était sourcilleux en la matière. Et les ministres successifs ont assez souvent tenté de calibrer ces nuançages pour améliorer leur communication au soir des élections. Surtout pour les élections territoriales diverses (pour les élections nationales, les apparentements sont plus nets en général et validés par les groupes parlementaires au lendemain des élections, à quelques cas individuels près).

Or, déterminer les couleurs des animaux politiques est un art tout en délicatesse.

A preuve la saga des nuançages lors des élections municipales de 2020, avec à la manoeuvre le Ministre C. Castaner.

Il se trouve à l’époque que les maires ruraux demandaient depuis des décennies pour les municipales à ce que l’on n’impose plus de nuançages aux petites communes. En réponse à cette demande, le Ministre avant les municipales de 2020 remonté le seuil de nuançages de 1000 à 9000 habitants, seuil élevé (mais demandé) et qui pouvait aussi être vu comme un calcul politique (une partie de ceux qui râlaient le plus alors étaient les mêmes que ceux qui râlaient contre le nuançage imposé aux maires de petites communes antérieurement… le calcul politique était en l’espèce clair de part et d’autre).

Le Conseil d’Etat avait sèchement censuré le Ministre en référé liberté par une censure partielle, certes, mais nette (CE, 31 janvier 2020, 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933).

… Conduisant le Ministre à revoir sa copie et à porter ce seuil, désormais, à 3500 habitants pour les municipales.

 

Voir :

 

 

Puis l’affaire revint, cette fois pour les législatives de 2022, avec désormais le Ministre Darmanin.

A l’époque, des différences entre NUPES et ENSEMBLE ! venaient selon le Ministère de moindres intégrations financières et de plus grande liberté dans les étiquettes pour les candidats… conduisant à ce que les deux alliances soient traitées différemment dans l’énoncé des résultats des élections, selon cette circulaire. Ce raisonnement avait été censuré par le juge des référés du Conseil d’État, lequel avait enjoint en effet le 7 juin 2022 au ministre de l’Intérieur de prendre en considération la NUPES comme une nuance politique à part entière (en dépit du fait, donc, que les partis correspondant ne faisaient pas pot commun en termes financiers) dans la présentation des résultats qui devait être faite des élections législatives des 12 et 19 juin 2022.

L’universitaire R. Rambaud avait examiné de manière intéressante cette ordonnance, au scalpel :

Nous le rejoignons en ce qu’il :

  • constatait que le Conseil d’Etat imposait juridiquement, via une censure fondée sur l’erreur manifeste d’appréciation, un travail de politologue que de juriste aux futurs rédacteurs de ces arrêtés. On va moins chercher le point de savoir si ces blocs sont homogènes, s’ils en forment réellement en termes financiers ou d’étiquettes, que s’ils sont vécus politiquement comme tel en termes d’offre politique, de médias, de dynamiques partisanes… Même si cet auteur conçoit et formule ceci différemment de nous.
  • liait cette problématique avec celle de la création, ou non, d’une autorité administrative indépendante pour toute une série de matières électorales.

Source :

 

NB : sur le lien avec les rebonds judiciaires de l’accord PS / NUPES et avec les pratiques médiatiques, voir dans un premier temps TJ Créteil, ord., 7 juin 2022, X c./ Parti socialiste PS, n° RG 22/00753, Portalis DB3T-W-B7G-TPCC ; NAC 00A-9A) puis CA Paris, pôle 1, ch. 2, appel sur ord., 10 juin 2022, RG 22/09719, Portalis 35L7-V-B7G, CF262 (voir ici notre article et cette décision : PS / NUPES : invalidation par la CA de Paris de la décision du TJ de Créteil (MISE À JOUR AVEC LADITE DÉCISION D’APPEL EN TEXTE INTÉGRAL) 

Puis était venue la circulaire relative aux nuançages propres à l’élection sénatoriale de 2023 (voir ici pour accéder à cette circulaire et à notre article), le Conseil d’Etat a, en référé, rendu une intéressante ordonnance.

Il n’agréait pas au Rassemblement National d’être classé comme étant d’extrême-droite. Vaste sujet.

Puisque dans les deux décisions précédentes, surtout celle sur la NUPES, le Conseil d’Etat se faisait politologue, allait-il là aussi couronner le travail de è dédiabolisation » de ce parti ?

Le juge des référés du Conseil d’Etat a répondu par la négative, avec sa concision légendaire :

«3. A ce titre, le ministre de l’intérieur a adressé aux préfets et hauts-commissaires la circulaire contestée du 16 août 2023 relative à l’attribution des nuances aux candidats aux élections sénatoriales du 24 septembre 2023, qui prévoit qu’est attribuée une nuance, lors de l’enregistrement des candidatures, à chaque candidat ou liste de candidats, sur la base de deux grilles de nuances politiques qui figurent en annexes 1 et 2, une grille de 21 nuances pour les candidats et une grille de 22 nuances pour les listes. Ces nuances sont regroupées en six blocs de clivages, lesquels sont destinés à agréger les résultats des différentes nuances, dénommés  » extrême gauche « ,  » gauche « ,  » autres « ,  » centre « ,  » droite « ,  » extrême droite « .

« 4. L’association Rassemblement National demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de cette circulaire en tant qu’elle prescrit le rattachement de la nuance politique  » Rassemblement National  » au bloc de clivages  » extrême droite « .

« 5. A l’appui de sa demande, l’association requérante soutient que la circulaire contestée est entachée d’incompétence et ne satisfait pas aux exigences de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, que le rattachement de la nuance politique  » Rassemblement National  » au bloc de clivages  » extrême droite  » méconnaît le principe d’égalité devant la loi et entre les candidats, qu’il porte atteinte à la sincérité du scrutin, qu’il est entaché de détournement de pouvoir et d’erreur manifeste d’appréciation.

« 6. En l’état de l’instruction, aucun de ces moyens n’est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.»

Fermez le ban, donc. Au stade notamment de l’erreur manifeste d’appréciation en référé, il n’est pas erroné de classer le RN à l’extrême-droite, selon le Conseil d’Etat. Alors que LFI n’était pas classée à l’extrême-gauche.

 

Lors des débats de ce printemps-été de 2024, il a beaucoup été question de ce classement, certains tentant de faire dire rétrospectivement au Conseil d’Etat que celui-ci n’aurait par là-même PAS classé LFI à l’extrême-gauche. Ce qui est erroné (et malhonnête) car ce n’est pas là ce qu’était l’office du juge. Celui-ci n’avait qu’à regarder s’il y avait ou pas erreur manifeste d’appréciation à traiter différemment RN et LFI. Ce qui n’est vraiment pas la même chose. 

 

Quant au RN, en 2023, vu ce qu’est un contrôle en référé et les décisions précédentes du Conseil d’Etat, à vrai dire, il est un peu surprenant que ce parti politique ait tenté cette aventure contentieuse avec le risque ensuite qu’un vernis juridictionnel magnifie les attaques de ses adversaires.

Source :

 

Sur tout ceci voici une vidéo de 7 mn 34 que j’avais faite à l’époque :

https://youtu.be/PstQN5QULj0

 

II. La nouvelle instruction. Avec une absence du Nouveau front populaire en tant que tel (quoique…) et une sortie du RN de la qualification d’extrême-droite (plus précisément il n’est ni qualifié ni NON qualifié comme tel, à l’instar de LFI de l’autre côté)

 

A donc le 27 juin 2024, tardivement, été diffusée :

  • l’instruction du Ministre de l’Intérieur relative à l’attribution des nuances aux candidats aux élections législatives de 2024, en date du 11 juin 2024 (NOR : IOMA2415630C), que voici :
Or, le contexte n’est pas aisé puisque :

 

Une des questions qui se posaient était de savoir si le Nouveau front populaire (NFP), qui est a priori uni comme l’était la NUPES en son temps (point qui avait donc donné lieu à censure par le juge des référés du Conseil d’Etat en 2022 ; voir ci-avant I.), allait ou n’allait pas être considéré comme une identité unique dans ce classement.

Or, pour des raisons que l’on peut comprendre en opportunité mais qui interrogent en droit, ce n’est pas le choix qui a fait. Le Ministre G. Darmanin a préféré estimer qu’il y avait un émiettement et que l’on allait présenter de manière morcelée les résultats électoraux. Avec le mode d’emploi que voici :

 

Puis l’application de la grille que voici :

 

Ce qui frappe, dans cette grille, c’est :

  • 1/ une absence du Nouveau front populaire en tant que tel… De ce point de vue, le choix du Ministre est audacieux car le raisonnement du juge des référés du Conseil d’Etat, s’il est saisi, pourrait en 2024 être analogue à ce qu’avait été le sien en 2022 pour l’alliance de la NUPES.Mais sur ce point le Ministre a prévu une qualification « UG » qui lui donnerait une ligne de défense bien plus forte que quand, en 2022, il refusait de reconnaître la NUPES comme une appellation en soi.  

    Les esprits chagrins penseront que la diffusion très tardive de cette instruction, le jeudi 27 juin, pourrait avoir été conçue pour rendre moins probable une censure avant le dimanche 30 juin 2024, date du premier tour des élections. Mais :

    • loin de nous d’accréditer de telles mauvaises pensées à un Ministre, d’une part,
    • et surtout loin de nous de lui supposer la maladresse de vouloir permettre au NFP de se poser en victime un samedi soir veille d’élection, à la faveur d’une ordonnance du Conseil d’Etat, d’autre part.
      Car là, ce serait joindre la maladresse juridique à l’erreur politique.
  • 2/ une sortie du RN de la qualification d’extrême-droite (plus précisément il n’est ni qualifié ni NON qualifié comme tel, à l’instar de LFI de l’autre côté)…
    Mais les autres nuances à part d’extrême-droite étant prévues, le RN pourrait utiliser cette instruction pour se prétendre comme n’étant pas, ou plus, à classer dans cette famille politique.
    Ce qui n’est pourtant pas ce que dit cette instruction. 

 

 

 

III. Suggestions de réformes  

 

Sur l’ensemble de ces points, je me permets de rappeler qu’il me semblerait logique de procéder à deux réformes  :

  • 1/ les nuançages et les pourcentages de présence à l’écran devraient être ajustés entre eux, sans doute par le transfert à l’ARCOM des pouvoirs en la matière (l’effet sur ce point étant largement médiatique, faire rentrer cette compétence dans le giron de l’ARCOM ne serait guère hérétique…).
  • 2/ ce réajustement serait l’occasion de confier aussi plus de pouvoirs à l’ARCOM en matière d’équilibre dans les médias du traitement de l’actualité en amont de la campagne officielle.
    Les écarts importants entre les traitements de l’information sur certains médias, d’une part, et les représentations en sondages ou en résultats d’élections des partis politiques concernés, d’autre part, démontrent (au détriment de nombreuses formations partisanes, de diverses tendances) en effet les limites du régime actuel.

 

Car dans l’art délicat de donner la couleur d’un caméléon, un peu d’indépendance et de cohérence ne peuvent nuire.

 


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