Les recours des tiers contre les contrats (et contre les actes détachables de ceux-ci) correspondent à ce jour à des cas très résiduels (I) et il est donc logique que, dans le cas de l’autoroute A69, le recours contre la durée des concessions ait, pour les requérants, fini en tête-à-queue (II).

I. Rappels de base en ce domaine
Le recours des tiers sera, par défaut, limité à un recours Tarn-et-Garonne (I). Hors cette hypothèse, les recours de tiers contre les actes détachables des contrats, d’une part, et contre les contrats (hors régime « Tarn-et-Garonne » donc) sont devenus résiduels. S’agissant des recours contre les contrats, hors cas de demande de résiliation, hors contrat privé et hors clauses réglementaires, les tiers ne peuvent guère agir directement en Justice…

I.A. Le recours des tiers sera, par défaut, limité à un recours Tarn-et-Garonne
Les recours des tiers contre les contrats sont censés prendre la voie des contentieux Tarn-et-Garonne, sous certaines conditions.
Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici). N.B. : ceci dit, la révolution avait déjà été entamée par l’important arrêt CE, Ass., du 16 juin 2007, Société Tropic travaux signalisation, rec. 360…
Combiné avec d’autres jurisprudences (voir par exemple CE, 5 février 2016, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149) on sait que :
- le recours « Tarn-et-Garonne » est en effet ouvert :
- d’une part à
« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses »
-
- et d’autre part aux
« membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ; »
- mais avec une nuance de taille : selon que le recours est engagé par un candidat évincé ou par un membre de l’organe délibérant (ou par le préfet)… les moyens à soulever ne sont pas les mêmes. Le Préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent invoquer tout moyen alors que le candidat évincé ne peut invoquer que certains vices (en rapport direct avec l’intérêt lésé ou alors des moyens d’ordre public) :
« si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office »
Notamment si le tiers est un candidat évincé, les moyens qu’il peut soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat :
« le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;»
Voir aussi :
- Quels moyens un candidat évincé peut-il soulever dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne ?
- La jurisprudence Tarn-et-Garonne s’applique aussi aux déclarations de « sans suite »
- Jurisprudence Tarn-et-Garonne : est irrecevable un contentieux engagé par un EPCI contre la délibération d’une commune autorisant son maire à signer un contrat (ledit EPCI aurait du attaquer le contrat…)
- La jurisprudence Tarn-et-Garonne s’applique à un contrat entre un SDIS et l’organisateur d’une manifestation sportive
- L’Empire de Tarn-et-Garonne s’étend, s’étend…
- Contentieux entre une communauté et une commune membre à propos d’un contrat : la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » s’applique
- Contrats : le CE affine la notion de « tiers lesé » susceptible d’engager un recours « Tarn-et-Garonne »
- Arrêt Tarn et Garonne : un champ d’application toujours plus large
- Une vidéo sur la décision SMPAT et l’extension du recours des tiers aux actes d’exécution du contrat
- Les recours contractuels depuis l’arrêt Hérault Transport du 5 février 2016 : unité de recours ; diversité d’applications
- Quand Tarn-et-Garonne débouche le port de Marseille…
- Recours « Tarn et Garonne » : nouvelles précisions sur la recevabilité
- C’est par un recours pour excès de pouvoir (et non par un recours « Tarn-et-Garonne ») que peuvent, finalement, être attaqués les refus de subventions
- etc.

I.B. Hors régime « Tarn-et-Garonne », les recours de tiers contre les actes détachables des contrats, d’une part, et contre les contrats, d’autre part, sont devenus résiduels. S’agissant des recours contre les contrats, hors cas de demande de résiliation, hors contrat privé et hors clauses réglementaires, les tiers ne peuvent guère agir directement en Justice…
Symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ou contre le contrat lui-même hors recours Tarn-et-Garonne… ne sont plus que résiduels. A noter des reliquats de :
- recours contre les actes détachables du contrat pour leurs vices propres.
Par deux arrêts du même jour, en 2016, le Conseil d’Etat (23 décembre 2016, n°397096 et n°392815, rec. T. pp. 831-832-872) avait accepté que demeurent des recours contre les actes unilatéraux d’approbation lien contractuel, mais uniquement au titre de leurs vices propres.
Et encore… Seul sera attaquable un acte unilatéral d’approbation du contrat fait par autrui, et non une étape d’adoption de la décision de signer le contrat « en interne » à une même personne morale (CE, 2 décembre 2022, n° 454318, aux tables)
Avec déjà, le 27 janvier 2023, en matière autoroutière, une illustration intéressante. Le Conseil d’Etat avait alors, d’une part accepté que soit demandée l’annulation de l’acte d’approbation par voie de conséquence d’un recours contractuel « Tarn-et-Garonne » et il a, d’autre part, précisé, pour de tels recours pour excès de pouvoir, les vices de procédure qui peuvent être utilement soulevés. Cette affaire illustre aussi le contrôle de proportionnalité exercé par le juge entre hausse des tarifs et coût des nouvelles voies autoroutières à financer (arrêt n° 462752, aux tables). - recours relatifs à ces contrats ou avenants antérieurs au 4 avril 2014 : voir pour un cas combinant ceci avec la jurisprudence dite « Olivet ». CE, 20 novembre 2020, n° 428156 . Quel est le régime contentieux d’un avenant à un contrat, si le contrat est antérieur à 2014 (au regard tant des jurisprudences Tarn-et-Garonne qu’Olivet) ?
Là encore, cette exception avait vocation à connaître une extinction progressive… - recours contre certains actes d’exécution du contrat et/ou de refus de résiliation du contrat (mais vec un mode d’emploi restreint ; voir un arrêt du 30 juin 2017 (CE, 30 juin 2017, n° 398445, SMPAT, publié au recueil Lebon) le Conseil d’Etat a ouvert une nouvelle voie de recours aux tiers à un contrat administratif en opérant ainsi une extension de sa jurisprudence Tarn-et-Garonne aux actes concernant l’exécution du contrat dont particulièrement les décisions de refus de résiliation de celui-ci. Voir ici.
- recours d’un tiers contre la délibération autorisant la conclusion d’un contrat de droit privé (CE, 7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 417629 ; CE, 28 juin 2023, Société Voltalia, n° 456291, aux tables du recueil Lebon(voir ici notre article).
- recours au titre des clauses réglementaires insérées dans les contrats CE, 9 février 2018, Val d’Europe c/ SANEF, 404982, Publié au recueil Lebon ; voir : Contentieux et clauses réglementaires des contrats : et les 6 faces du Rubik’s cube apparurent… enfin homogènes et cohérentes ). Mais cette exception n’a rien de nouveau : il y a belle lurette que le juge admet les recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires même insérées dans les contrats (CE, Ass., 10 juillet 1996, Cayzeele : rec., p. 274).
Pour un exemple de clauses réglementaires ainsi attaquables insérées dans un Projet éducatif territorial (PEDT), voir CE, 9 octobre 2020, n° 422483, aux tables (voir ici cet arrêt et notre article).
De tout ceci peuvent résulter des situations d’une rare complexité. Ainsi, par exemple, les recours contre une convention de projet urbain partenarial (PUP) ont ainsi pu donner lieu à un peu de byzantinisme. Ce sont des contrats et on leur applique donc la jurisprudence Tarn-et-Garonne. Mais un recours contre une délibération approuvant un PUP sera recevable en tant que telle pour la partie qui ne porte pas approbation de la convention. Donc un recours contre une délibération portant PUP engagée par un tiers (un tiers mal informé… donc) sera rejeté en tant que ce recours vise la convention… et sera recevable (quitte à être rejeté, comme en l’espèce, au fond) pour la partie de la délibération de PUP qui « approuve le programme des équipements. Voir :
NB : pour une autre application, en matière de reconnaissance faciale dans les établissement d’enseignement, avec un juge acceptant dans une des deux affaires une interprétation extensive des actes unilatéraux attaquables, voir : TA Marseille, 27 février 2020, n° 1901249 et TA Marseille, ord., 11 mars 2020, n° 2001080 (voir ici ces décisions et notre article). Voir aussi un cas intéressant : TA Marseille, 2 juin 2023, n° 2009485

II. Il est donc logique que, dans le cas de l’autoroute A69, le recours contre la durée des concessions ait, pour les requérants, fini en tête-à-queue.
Trois associations ont demandé au Conseil d’État d’annuler le refus de l’État d’abroger l’article 29 de la convention passée entre l’État et la société Atosca pour la concession de l’autoroute A69, relatif à la durée de cette convention.
Le Conseil d’État juge que les recours en excès de pouvoir déposés par les trois associations sont irrecevables.
En effet, si un tiers à un contrat de concession peut demander l’annulation des clauses d’un contrat qui ont un caractère réglementaire, car portant notamment sur l’organisation du service public, il ne peut, en revanche, demander l’annulation de clauses qui ont simplement un caractère contractuel comme celles qui régissent uniquement les relations entre le concédant et le concessionnaire. Ainsi, la clause de durée des relations contractuelles ne relève pas de l’organisation du service public. Elle est de nature contractuelle et les tiers, comme les associations requérantes dans ce litige, ne sont pas recevables à en demander l’annulation :
« 3. Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, un tiers à un contrat est recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif qui portent une atteinte directe et certaine à ses intérêts.
« 4. S’agissant d’une convention de concession autoroutière, relèvent notamment de cette catégorie les clauses qui définissent l’objet de la concession et les règles de desserte, ainsi que celles qui définissent les conditions d’utilisation des ouvrages et fixent les tarifs des péages applicables sur le réseau concédé. En revanche, les stipulations relatives notamment au régime financier de la concession ou à la réalisation des ouvrages, qu’il s’agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette réalisation, sont dépourvues de caractère réglementaire et revêtent un caractère purement contractuel.
« 5. Il suit de là que la clause d’un contrat de concession fixant la durée d’une concession autoroutière et les conditions d’une résiliation par le concédant, qui n’a pour objet que d’organiser les relations entre le concédant et le concessionnaire et de participer à la détermination du régime financier de la concession, est dépourvue de caractère réglementaire. Dès lors, les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger ces stipulations sont irrecevables.»
D’où le futur résumé des tables du rec. que voici :
« Le tiers à une convention de concession autoroutière n’est pas recevable à demander l’annulation des clauses de ce contrat fixant la durée de la concession et les conditions d’une résiliation par le concédant, qui n’ont pour objet que d’organiser les relations entre le concédant et le concessionnaire et de participer à la détermination du régime financier de la concession, et sont dépourvues de caractère réglementaire. »
Source :


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