Quel est le régime contentieux d’un avenant à un contrat, si le contrat est antérieur à 2014 (au regard tant des jurisprudences Tarn-et-Garonne qu’Olivet) ?

 

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision répondant à deux questions :

  • Quel est le régime contentieux des avenants aux contrats publics postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date ?Réponse : les recours Tarn-et-Garonne s’appliquent aux avenants postérieurs au 4 avril 2014, même si le contrat est, lui, antérieur à cette date. 

    Cet apport en contentieux des contrats publics intervient en marge d’un long contentieux, qui vient de rebondir, et qui lui porte sur l’application de la jurisprudence « Olivet » (délégations de service public de plus de 20 ans dans divers services publics environnementaux).

  • Faut-il faire prévaloir une interprétation large de la notion d’avenant conduisant illégalement à porter la durée d’un contrat de délégation de service public (DSP) environnementale au delà de la durée plafond de 20 ans ?Réponse : les contentieux dits Olivets s’appliquent bien dès qu’un avenant a pour conséquence de prolonger la durée d’une DSP, même conclue avant 1995, au delà des 20 ans qui forment un plafond pour de tels contrats dans les secteurs environnementaux. 

 

D’une pierre, deux coups : le Conseil d’Etat précise à la fois le régime des recours Tarn-et-Garonne dans le cas des avenants à des contrats antérieurs à 1994 ; et le régime des avenants dans le cadre des contentieux « Olivet ». Tarn-et-Garonne… Olivet… Cette histoire qui vient d’être tranchée à Paris commence à… Bordeaux. Revenons en détail sur les étapes de ce petit tour de France juridique qui glisse vers le tour de force juridique…

  • I. Un long litige dans le cadre plus large d’un contentieux portant notamment sur la durée des DSP et de leurs avenants en matière de services publics environnementaux (jurisprudence « Olivet »)
  • II. Un débat, en TA et en CAA, sur la recevabilité même des requêtes (tardiveté ou non ; possibilité ou non d’attaquer directement la délibération)
  • III. Le Conseil d’Etat précise le régime contentieux des avenants postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date, d’une part, et impose une interprétation large du régime des contentieux « Olivet », d’autre part.

 

I. Un long litige dans le cadre plus large d’un contentieux portant notamment sur la durée des DSP et de leurs avenants en matière de services publics environnementaux (jurisprudence « Olivet »)

 

Le contrat de concession du service public des eaux de la Communauté urbaine de Bordeaux signé en 1991 a fait l’objet de nombreux avenants dont un signé suite à une délibération du 21 décembre 2012, maintenant la durée initiale de la concession, à échéance de 2021. L’association Trans’cub et 4 habitants de Bordeaux métropole ont, après en avoir demandé le retrait auprès du président de Bordeaux métropole,  demandé l’annulation de cette délibération ainsi que d’une autre du 8 juillet 2011 et de déclarer illégales deux autres délibérations de 2006 et 2009.

Les amateurs de droit contractuels auront donc reconnu une demande, par les requérants, de l’application du célèbre arrêt « Olivet ». 

N.B. : la loi Barnier du 2 février 1995 prévoit une durée maximale de vingt ans pour certaines DSP. Le juge administratif en a alors déduit que les contrats de DSP conclu avant l’entrée en vigueur de la loi Barnier devaient s’arrêter, sauf exceptions, au 3 février 2015 au plus tard (CE, 8 avril 2009, Commune d’Olivet, n°271737).

En fait, il convient pour l’essentiel de retenir par son fameux arrêt « Commune d’Olivet », le Conseil d’Etat est intervenu afin de rendre applicable les dispositions législatives relatives à l’encadrement de la durée des délégations de service public aux conventions de délégation de service public en cours lors de la publication de ces dispositions.

Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé qu’une délégation de service public  dans les domaines environnementaux (et donc d’une durée plafonnée à 20 ans), conclue avant l’entrée en vigueur de ces lois, ne peut plus être régulièrement exécutée au-delà de 20 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi n°95-101 du 2 février 1995 dite « loi Barnier ».

Ainsi, il résulte de cet arrêt que :

  • une délégation de service public conclue avant l’entrée en vigueur de la loi Barnier du 2 février 1995 ne peut être régulièrement exécutée plus de vingt ans après l’entrée en vigueur de ladite loi, soit après le 3 février 1995,
  • néanmoins, il en va différemment en cas de justifications particulières soumises à l’examen préalable du directeur départemental des Finances publiques (DDFIP) (remplaçant le trésorier payeur général dans la nouvelle rédaction de l’article L.1411-2 du CGCT).

… Avec diverses difficultés. Voir par exemple :

 

II. Un débat, en TA et en CAA, sur la recevabilité même des requêtes (tardiveté ou non ; possibilité ou non d’attaquer directement la délibération)

 

Le Tribunal administratif de Bordeaux avait fait en première instance une analyse intéressante sur ce point :

  • 1/ le TA de Bordeaux avait jugé le recours recevable contre la délibération. Ces recours ont été engagés avant l’arrêt CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 (sinon les requérants eussent été irrecevables pour avoir attaqué la délibération et non le contrat, schématiquement).
  • 2/  passé les délais de recours pour excès de pouvoir (REP), le TA de Bordeaux avait estimé qu’il n’était pas possible de demander l’abrogation d’une délibération non réglementaire (ce qui n’est pas nouveau)… et il avait posé que n’était pas une telle délibération réglementaire une délibération approuvant un avenant entraînant des investissements nouveaux sans changement de tarif ni de durée du contrat (ce qui était très discutable puisque les tarifs en résultent. Notons par ailleurs que le recours en annulation direct fait par les requérants était tardif, mais que le TA avait accepté de les examiner sous l’angle de la demande d’abrogation les conclusions dirigées contres les délibérations de 2006, 2009 et 2011).
  • 3/ si un organe délibérant décide de maintenir une durée de concession en dépit de l’arrêt Olivet, l’avis du DDFIP (ou DRFIP) peut n’être que partiellement communiqué aux élus dès lors que la partie utile dudit avis a été transmise sans tromperie

 

Source : TA Bordeaux, 9 mai 2016, n° 1302295 que nous avions en son temps :

 

Par un arrêt n° 16BX02303 du 18 décembre 2018, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel que les requérants avaient formé contre ce jugement. Voir cet arrêt :

 

La CAA fut même plus dure puisqu’elle n’a pas rattrapé la tardiveté de la requête via la même méthode que celle susmentionnée au point 2/.

 

III. Le Conseil d’Etat précise le régime contentieux des avenants postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date, d’une part, et impose une interprétation large du régime des contentieux « Olivet », d’autre part.

 

C’est cet arrêt de CAA que le Conseil d’Etat vient de censurer par un arrêt du 20 novembre 2020. Non pas sur le fond : à ce titre, la lutte entre requérants et défendeurs continue (l’affaire est, au fond, renvoyée à la CAA de Bordeaux).

 

III.A. Rappelons ce qu’est un recours Tarn-et-Garonne

 

Ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne » (capitale Montauban, qu’il est malsain de quitter même au contentieux), depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat.

Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).

En 2014, cette faculté a retenti comme un coup de tonnerre. Longtemps, la vulgate ainsi enseignée dans les facultés de Droit avait été que dans sa grande sagesse le Conseil d’Etat avait décidé que l’on ne pouvait attaquer directement le contrat dans sa légalité mais que le requérant pouvait contourner l’obstacle  en attaquant les actes détachables du contrat (la délibération, la décision de signer)… au besoin en demandant (avec astreinte et injonction) à l’administration de saisir le juge du contrat.

Et les étudiants d’ânonner ces jurisprudences byzantines (CE, 4 août 1905, Epoux Martin, rec. 749 ; CE 1er octobre 1993, Yacht club de Bormes-les-Mimosas, rec. T. 874 ; CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez, rec. p. 430)… en se demandant pourquoi le juge avait voulu tant de complexité, si ce n’était pour le bonheur des esprits pervers et des juristes tordus (au point que le juge dut parfois se déjuger : CE, 30 octobre 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, rec. 375).

Puis vint LA grande simplification, celle qui supprime d’un coup nombre de pages inutiles dans les traités de contentieux administratif : la possibilité pour les tiers au contrat d’engager un recours direct contre le contrat. C’est ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne », depuis l’arrêt du même nom (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Combiné avec d’autres jurisprudences (voir par exemple CE, 5 février 2016, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149) on sait que :

  • le recours « Tarn-et-Garonne » est en effet ouvert :
    • d’une part à

« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses »

    • et d’autre part aux

« membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ;  »

  • mais avec une nuance de taille : selon que le recours est engagé par un candidat évincé ou par un membre de l’organe délibérant (ou par le préfet)… les moyens à soulever ne sont pas les mêmes. Le Préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent invoquer tout moyen alors que le candidat évincé ne peut invoquer que certains vices  (en rapport direct avec l’intérêt lésé ou alors des moyens d’ordre public) :

«  si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office »

Notamment si le tiers est un candidat évincé, les moyens qu’il peut soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat :

« le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;»

Voir aussi :

 

Ajoutons que :

  • par un arrêt du 30 juin 2017 (CE, 30 juin 2017, n° 398445, SMPAT, publié au recueil Lebon) le Conseil d’Etat a ouvert une nouvelle voie de recours aux tiers à un contrat administratif en opérant ainsi une extension de sa jurisprudence Tarn-et-Garonne aux actes concernant l’exécution du contrat dont particulièrement les décisions de refus de résiliation de celui-ci. Voir ici.
  • deux arrêts du Conseil d’Etat (CE, 23 décembre 2016, n°397096 et n°392815 [deux espèces distinctes])…  continuent d’autoriser des recours contre les actes unilatéraux préalables à la formation du lien contractuel, mais uniquement au titre de leurs vices propres. Mais avec une portée limitée (voir par exemple CAA Douai, 18 mai 2017, CC de la Côte d’Albâtre, n°16DA01411; pour un commentaire de cette dernière décision, voir ici).
  • qu’il il existe une importante dérogation à l’empire, large, de « Tarn-et-Garonne » : le cas des clauses réglementaires insérées dans les contrats CE, 9 février 2018, Val d’Europe c/ SANEF, 404982, Publié au recueil Lebon ; voir : Contentieux et clauses réglementaires des contrats : et les 6 faces du Rubik’s cube apparurent… enfin homogènes et cohérentes ).
  • les recours contre les contrats antérieurs au 4 avril 2014 continuaient de relever du régime antérieur 

 

C’est sur ce tout dernier point que le Conseil d’Etat vient de préciser sa jurisprudence. 

 

 

III.B. L’apport de ce tout nouvel arrêt du point de vue du régime contentieux

 

Rappelons donc une partie des épisodes précédents. En vertu de la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux :

  • la contestation de la validité des contrats administratifs par les tiers doit faire l’objet d’un recours de pleine juridiction dans les conditions définies par cette décision.
  • MAIS le recours ainsi défini ne trouve à s’appliquer qu’à l’encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, date de sa lecture, la contestation des contrats signés antérieurement à cette date continuant d’être appréciée au regard des règles applicables avant cette décision.

Là, en l’espèce, le contrat était antérieur à 2014.

Le Conseil d’Etat pose donc que dans le cas où est contestée la validité d’un avenant à un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature de l’avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 doit être contesté par un recours « Tarn-et-Garonne » (recours contre l’avenant ou contre le contrat, et non contre la délibération autorisant à signer le contrat), et ce quand bien même cet avenant modifie un contrat signé antérieurement au 4 avril 2014.

III.C. Application au cas d’espèce avec une application extensive de la jurisprudence Olivet pour un des avenants, au contraire de ce qu’avait apprécié le juge du fond

En l’espèce, les délibérations du 22 décembre 2006, du 10 juillet 2009 et du 21 décembre 2012 sont relatives à des avenants au contrat de concession antérieurs au 4 avril 2014. Eu égard à la date de conclusion de ces avenants, elles constituent, avec la décision refusant de les retirer, des actes détachables du contrat de concession susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’Etat estime comme la CAA que ces clauses n’étaient pas réglementaires (ce qui vraiment se discutait selon nous…) : il en résulte un rejet de la requête (tardiveté du recours non rattrapable par une demande d’abrogation d’un règlement illégal, pour schématiser).

Sur le pourvoi en tant qu’il concernait la délibération du 21 décembre 2012, en revanche, l’histoire est différente. Le Conseil d’Etat rappelle ses règles de l’arrêt Olivet (voir ci-avant en I.) .

Sur ce point, la CAA avait rejeté l’application de l’arrêt Olivet au motif que l’avenant n’aurait pas eu pour objet de prolonger la DSP au delà du délai de 20 prévu par la loi. Ce n’était pas le cas et le Conseil d’Etat sur ce point censure l’arrêt de la CAA.

Les contentieux dits Olivets s’appliquent donc bien lato sensu, plus que ne l’avait posé la CAA, dès qu’un avenant a pour conséquence de prolonger la durée d’une DSP, même conclue avant 1995, au delà des 20 ans qui forment un plafond pour de tels contrats dans les secteurs environnementaux. 

 

Voici cette décision

 

CE, 20 novembre 2020, n° 428156, à publier aux tables du recueil Lebon :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-11-20/428156