Dans le cadre des marchés passés selon la procédure adaptée (MAPA), après plusieurs décisions contradictoires des juridictions administratives inférieures, le Conseil d’Etat a tranché par une décision très attendue[1], surtout par les praticiens de l’achat public, en faveur de la formule « je me réserve le droit de négocier » : explications.
La Haute juridiction a été saisie à propos d’un marché de services lancé par l’Ecole du Louvre selon la procédure adaptée. Dans le cadre de ce marché, le pouvoir adjudicateur se réservait le droit de négocier avec les trois premiers candidats au classement. La société Axcess, candidat évincé, avait demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler le marché en cause en ce que la personne publique aurait notamment violé les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence en se réservant, dans le cahier des charges, la possibilité de négocier avec les 3 premiers candidats au classement sans réellement indiquer si elle entendait ou pas faire usage de cette faculté. Selon la requérante, les principes susmentionnés commandent que le pouvoir adjudicateur arrête à l’avance son choix de recourir ou non à la négociation et en informe les candidats. Le tribunal administratif ainsi que la cour administrative d’appel de Paris avaient rejeté ce moyen. La requérante déboutée s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.
Dans le cadre d’un MAPA, si le pouvoir adjudicateur décide de négocier, il doit l’indiquer dès le lancement de la consultation sans possibilité de renonciation ultérieure
Le premier enseignement important de cet arrêt se trouve dans la clarification des modalités de négociations dans le cadre des MAPA.
En effet, en vertu de l’article 28 du code des marchés publics (CMP), les modalités de passation des MAPA sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d’y répondre ainsi que des circonstances de l’achat. Dans ce cadre, toujours selon ce même article, le pourvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre et cette négociation peut porter sur tous les éléments de l’offre et notamment sur le prix.
Pour le Conseil d’Etat, si le pouvoir adjudicateur a décidé de faire usage de cette faculté de négociation, il doit l’indiquer dès le début de la procédure dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Il n’a alors plus la possibilité de renoncer à négocier en cours de procédure.
Les négociations peuvent, en revanche, n’être menées qu’avec certains des candidats ayant présenté une offre[2]. Naturellement, le pouvoir adjudicateur doit mener ces négociations dans le strict respect du principe d’égalité de traitement des candidats.
…mais il peut également juste indiquer « je me réserve le droit de négocier » sans forcément mettre en œuvre cette négociation
Toutefois le véritable apport de cet arrêt consiste en l’éclaircissement d’un débat qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a divisé les juridictions inférieures et la doctrine pendant plusieurs années.
En effet la Haute Assemblée a admis pour la première fois la possibilité d’indiquer dans les pièces de consultation d’un MAPA, la désormais célèbre phrase « je me réserve le droit de négocier » sans que le pouvoir adjudicateur soit obligé de réellement mettre en œuvre cette négociation ni d’informer, en cas de négociation, la totalité des candidats ayant participé à la procédure.
Les sages du Palais Royal ont suivi les conclusions de leur rapporteur public G. Pellissier qui les a invités à ne pas restreindre excessivement la liberté des pouvoirs adjudicateurs en les obligeant de faire un choix définitif sur le recours ou non à la négociation avant la réception des offres.
Ainsi, désormais, si la personne publique n’est pas certaine au moment du lancement de la procédure adaptée de l’utilité de la négociation, elle a la faculté d’indiquer simplement dans les pièces de la consultation qu’elle se réserve le droit de négocier. Après la remise des offres et en fonction du contenu de celles-ci, le pouvoir adjudicateur pourra ainsi définitivement décider si négociation doit avoir lieu ou non et avec quels candidats.
Nous ne pouvons de notre coté que saluer le sens de cette décision qui fait preuve d’une certaine souplesse à l’égard des acheteurs publics et qui prend réellement en compte leurs contraintes organisationnelles et financières.
Cela va aussi dans le sens de l’efficacité de la commande publique dans la mesure où le pouvoir adjudicateur jugera en fonction des offres reçues si négociation doit y avoir ou non.
Naturellement, si négociation il y a, lors de la mise en œuvre de celle-ci, le pouvoir adjudicateur doit être particulièrement vigilant afin de ne pas violer le sacrosaint principe de l’égalité de traitement des candidats ayant déposé une offre ainsi que celui de la transparence.
[1] CE, 18 septembre 2015, sté Axcess, n° 380821.
[2] CE, 30 novembre 2011, Min de la défense et des anciens combattants c/ sté Quaklitech, n° 353121, T, p. 1008