Communes nouvelles et nombre de délégués pour les élections sénatoriales : le juge censure le calcul de l’Etat

article rédigé
par Anne-Lise Fischbach
et par Eric Landot.

 

Le TA de Caen vient d’apporter d’utiles précisions sur la désignation des délégués au collège électoral sénatorial d’une commune nouvelle créée sous l’empire de la loi n°2015-292 du 16 décembre 2010 ou de la loi n°2015-292 du 16 mars 2015, durant les deux phases de la période transitoire de composition de son conseil municipal. Et ce tribunal a censuré le mode de calcul opéré par l’Etat. 

 

Décidément, l’Etat a parfois du mal avec les communes nouvelles, par exemple en matière de :

 

A la décharge de l’Etat, reconnaissons qu’il n’est pas indécent de se noyer dans cet océan de règles parfois confuses.

Le TA de Caen vient de l’illustrer, censurant le mode de calcul fait par l’Etat qui avait attribué, à la commune nouvelle de Tinchebray-Bocage, un nombre insuffisant de délégués à l’élection sénatoriale.

Le nombre de grands électeurs d’une commune semble simple, établi en fonction de la taille de la commune, en fonction du nombre d’élus municipaux.

Mais dans le cas d’une commune nouvelle, le nombre d’élus municipaux n’est pas uniquement établi en fonction du nombre d’habitants. Lors du mandat en cours de la création de la commune nouvelle, des règles spécifiques s’appliquent. Le conseil municipal compte :

  • soit au maximum 69 membres ventilés en fonction de la population, avec des majorations possibles (pour ne pas exclure ceux qui étaient auparavant maire ou adjoint au maire)
  • soit, par accord unanime entre communes historiques, l’ensemble des anciens conseillers municipaux.

 

Puis, lors du mandat suivant,  la commune nouvelle bénéficie d’un surclassement. Et ce n’est qu’au mandat encore suivant que s’applique le droit commun.

 

Dès lors, pour les mandats en cours, le nombre de grands électeurs appelés à voter lors de l’élection sénatoriale a du être adapté par la loi. Et c’est là que l’Etat a commencé par avoir quelques difficultés de calcul…

 

Sur le calendrier de cette élection, voir : 

Le calendrier des élections sénatoriales au JO de ce week-end

Sur la circulaire relative à ces élections : 

Diffusion de la circulaire relative aux élections sénatoriales

 

 

La composition du collège électoral sénatorial d’une commune est, en principe, régie par les dispositions des articles L. 284 et L. 285 du Code électoral, selon lesquelles :

« Les conseils municipaux élisent parmi leurs membres dans les communes de moins de 9 000 habitants :

– un délégué pour les conseils municipaux de sept et onze membres ;

– trois délégués pour les conseils municipaux de quinze membres ;

– cinq délégués pour les conseils municipaux de dix-neuf membres ;

– sept délégués pour les conseils municipaux de vingt-trois membres ;

– quinze délégués pour les conseils municipaux de vingt-sept et vingt-neuf membres.

« Dans le cas où le conseil municipal est constitué par application des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 du code général des collectivités territoriales relatif aux fusions de communes dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, le nombre de délégués est égal à celui auquel les anciennes communes auraient eu droit avant la fusion ».

« Dans les communes de 9 000 habitants et plus, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.

En outre, dans les communes de plus de 30 000 habitants, les conseils municipaux élisent des délégués supplémentaires à raison de 1 pour 800 habitants en sus de 30 000 ».

 

Il en résulte notamment :

  • que, dans les communes de moins de 9 000 habitants (et tel est le cas de la commune nouvelle de Tinchebray-Bocage), le nombre de délégués est fonction de l’effectif du conseil municipal,
  • et qu’à partir de 9 000 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.

 

Mais comment déterminer alors le nombre de délégués sénatoriaux d’une commune nouvelle dont le conseil municipal est composé de 30 membres et plus, tandis que la population de celle-ci est inférieure à 9 000 habitants ?

 

Cette situation est loin d’être résiduelle. En effet, comme il l’a été signalé ci-avant, les conseils municipaux des communes nouvelles peuvent être composés par addition des conseils municipaux préexistants durant la première étape de la période transitoire, et excéder alors très largement les occurrences de l’article L. 284 du Code électoral.

 

Pour cette raison, le législateur a inséré, à l’article L. 290-2 du Code électoral, un régime spécifique de désignation des délégués sénatoriaux des communes nouvelles durant la période transitoire de composition de leur conseil municipal.

 

L’article L. 290-2 du Code électoral prévoit donc un I. relatif aux communes de moins de 9 000 habitants dont le conseil municipal est composé de moins de trente membres, qui ne pose pas difficultés.

 

Précisément, le II. de l’article L. 290-2 susvisé concerne le cas qui nous intéresse, soit une commune nouvelle comptant moins de 9 000 habitants mais dont le conseil municipal est composé de plus 30 membres.

 

Le régime proposé consiste à prévoir que tous les conseillers municipaux soient délégués de droit sous la réserve d’une double limite :

  • un plafond, le nombre de délégués ne pouvant pas excéder le nombre total de délégués auquel les anciennes communes avaient droit ;
  • un plancher, le nombre de délégués ne peut pas être inférieur à celui auquel aurait droit une commune comptant la même population.

 

Le mode de calcul suppose donc de partir du nombre de membres du conseil municipal de la commune nouvelle et d’écrêter ensuite ce nombre pour que celui-ci ne dépasse pas le plafond, soit le nombre total de délégués auxquelles les anciennes communes avaient droit avant le regroupement.

 

Le mode de calcul consistant à faire une moyenne entre le plancher et le plafond obtenu en application des dispositions de l’article L. 290-2 susvisé doit être écarté, à l’inverse de ce qui est préconisé par la circulaire ministérielle du 12 juin 2017, NOR/INTA/INTA1717222C (voir le lien ci-dessus vers cette circulaire).

 

Il y a plusieurs raisons à cela :

  • d’une part, les dispositions législatives ne comportent aucune indication en ce sens.
  • d’autre part, et surtout, le plancher a été prévu, non pas dans l’optique d’effectuer une moyenne mais, soit pour garantir un nombre de délégués sénatoriaux minimum aux communes nouvelles dont le conseil municipal aurait été frappé par des démissions en masse, soit, en cas de communes nouvelles de particulièrement grande taille (dans l’hypothèse du plafond à 69).

 

Enfin, ce régime spécifique de l’article L. 290-2 du Code électoral s’applique dans le cas de toutes les communes nouvelles créées à compter à compter de la loi n°2015-292 du 16 décembre 2010, qu’elles l’aient été sous l’empire de cette dernière ou de la loi n°2015-292 du 16 mars 2015…. de cette distinction la circulaire, précitée, avait fait une summa divisio… une summa divisio effectivement déterminante lorsqu’il s’agit de composer le conseil municipal… mais pas pour déterminer le nombre de grands électeurs.

 

Cette interprétation, celle de la commune nouvelle requérante, des dispositions de l’article L. 290-2 du code électoral a été confirmée, en tous ces points, par le Tribunal administratif de Caen, étant toutefois précisé que cette analyse n’a pas encore été définitivement consolidée.

 

En effet, le jugement du Tribunal administratif de Caen est encore susceptible d’appel devant le Conseil constitutionnel, et ce dans un délai de dix jours à compter de la proclamation des résultats des élections sénatoriales fixées au 24 septembre 2017 (LO 325, LO 180, LO 182, LO184, LO 188 et L. 292 du code électoral).

 

Voir ce jugement TA Caen, 12 juillet 2017, Election des délégués du conseil municipal de Tinchebray-Bocage aux élections sénatoriales (scrutin du 30 juin 2017), Mme Josette PORQUET, n° 1701256 :

 

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