Expropriation des SAFER : la motivation de la décision de rétrocession notifiée au candidat évincé doit permettre à celui-ci de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales, vient de juger la Cour de cassation. Quelques jours après un autre tour de vis, décrétal celui-là, sur les délais pour motiver de telles décisions. Il n’en demeure pas moins que le contrôle juridictionnel au fond de ces décisions demeure limité. En attendant une autre (r)évolution ?
Un décret est récemment venu préciser que les SAFER avaient un mois pour se justifier de leurs décisions de refus, opposées à des candidats à la rétrocession d’un bien attribué par une SAFER. Voir :
Autre tour de vis : la Cour de cassation vient d’imposer un minimum de contenu s’agissant de cette décision de refus de rétrocession, opposée au candidat évincé. Ce dernier, en effet, selon cette Haute Juridiction, doit pouvoir à la lecture de cette motivation savoir s’il y aura réalité des objectifs poursuivis fondant cette décision de refus.
Rappelons ensuite qu’en aval de tout ceci, le niveau de contrôle sur la légalité et — désormais donc pour schématiser — l’opportunité desdites décisions reste assez limité… Mais comme le demande parfois la doctrine, le juge judiciaire pourrait encore faire évoluer sa jurisprudence sur ce point pour lui faire ressembler un peu plus (horresco referens pour le monde judiciaire !?) au contrôle du juge administratif dans des domaines comparables…
NB : pour en savoir plus sur ce point, voici un excellent article de Mme Lebel sur LexRadio (voir ici). Voir aussi pour un angle différent et complémentaire selon nous, l’article de M. Prigent sur Dalloz (voir ici).
Voici cet arrêt :
Arrêt n° 1 du 18 janvier 2018 (16-20.937) – Cour de cassation – Troisième chambre civile
Cassation
Demandeur(s) : le GFA du Moulin de l’ Humeau, groupement foncier agricole
Défendeur(s) : M. Christian X…, et autre
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 141-1 et R. 142-4 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction applicable au litige ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que, dans leur mission d’amélioration des structures foncières par l’installation ou le maintien d’exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent acquérir des biens ruraux en vue de les vendre à des candidats capables d’en assurer la gestion et doivent motiver leurs décisions de rétrocession ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Limoges, 4 mai 2016), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 12 mai 2015, pourvoi n° 14-11.231), que, par acte du 15 février 2010, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural Poitou-Charentes (la SAFER) a acquis un ensemble de bois et taillis ; qu’à l’issue des formalités de publicité en vue de la rétrocession des parcelles, elle a retenu la candidature de M. X… et informé le groupement foncier agricole du Moulin de l’Humeau (le GFA) du rejet de la sienne ; que le GFA a assigné la SAFER et M. X… en nullité de cette décision et réparation de ses préjudices ;
Attendu que, pour rejeter les demandes, l’arrêt relève que, par lettre du 14 juin 2010 notifiant sa décision de rétrocession, la SAFER a informé le GFA que sa candidature n’avait pas été retenue et que le bien avait été « attribué à M. X… dans le cadre de son projet de gestion et d’exploitation forestière, en lien avec la coopérative Coforouest » et retient que ce motif, tiré de la gestion et de l’exploitation d’un bien forestier, entre dans la mission de la SAFER définie au I de l’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la motivation de la décision de rétrocession notifiée au candidat évincé doit permettre à celui-ci de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 mai 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;
Président : M. Chauvin
Rapporteur : M. Barbieri, conseiller
Avocat général : M. Bailly, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Odent et Poulet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano