Le principe général du droit (PGD) « non bis in idem » fait obstacle à ce qu’une autorité inflige deux fois des sanctions pour les mêmes faits.
Sauf qu’en en perd :
- littéralement son latin, puisque le débat fait rage entre les tenants de la formulation « non bis in idem » et les défenseurs du « ne bis in idem ».
- juridiquement son latin puisque ce principe pluriséculaire ne cesse de se réinventer.
Voici quelques exemples récents des évolutions et circonvolutions de cet auguste principe, se frayant un chemin renouvelé dans notre XXIe siècle :
- Le juge administratif réinvente le « non bis in idem »… avec un principe selon lequel il ne peut y avoir de seconde sanction… même s’il n’y a pas eu de première sanction !
- Cumul CDBF/pénal/disciplinaire : le Conseil constitutionnel en accepte le principe, moyennant deux limites (et non plus une seule)
- Etre trop coulant dans la récupération des sommes dues par son Président peut exposer un DG à la CDBF
La CJUE n’est pas la dernière à tâtonner en ce domaine, puisqu’elle avait refusé toute sanction administrative répressive (i.e. sanction telle que la répression des infractions financières devant la Cour de discipline budgétaire et financière ou encore les contraventions de grande voirie, certaines sanctions d’autorités de régulation…) se cumulant à une sanction pénale (CJUE, 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, aff. C-617/10). Naturellement, les sanctions administratives non répressives (contentieux disciplinaire, par exemple) restent, quant à elles, cumulables aux sanctions pénales.
Sauf que la Cour européenne des droits de l’homme avait été quant à elle plus souple, admettant des procédures mixtes conduisant à un tel cumul (CEDH, 15 novembre 2016, A. et B. c/ Norvège, n° 24130/11 ).
La CJUE vient donc d’assouplir sa jurisprudence sur ce point, la Cour du Luxembourg n’allant tout de même pas être plus royaliste que la Cour reine en ce domaine, siégeant quant à elle à Strasbourg.
Ladite CJUE admet donc un tel cumul entre sanctions administratives répressives et sanctions pénales si le droit national le prévoyant contient :
« des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d’un cumul de procédures et prévoit des règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée. »
Citons sur ce point un extrait des conclusions de l’avocat général M. Manuel Campos Sànchez-Bordona dans l’affaire C-524/15 (voir la pièce jointe correspondante pour accéder aux arrêts cités par cet avocat général) :
A. La jurisprudence de la Cour sur l’application de l’article 50 de la Charte dans les situations de cumul des sanctions fiscales et pénales
27. Le principe non bis in idem apparaît dans le droit de l’Union sous différentes variantes (12) dont le traitement n’a pas encore été homogénéisé par la Cour, en dépit des appels en ce sens émis par certains avocats généraux (13). Je ne m’arrêterai pas sur l’analyse de la jurisprudence plus restrictive qui l’interprète dans le cadre des règles de protection de la libre concurrence ni sur la jurisprudence afférente à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, qui est plus large et protège davantage les droits des personnes inculpées.
28. La jurisprudence de la Cour sur l’application du principe non bis in idem au cumul des sanctions fiscales et pénales présentée par l’État comme une réponse au non-paiement des impôts (concrètement, de la TVA) a été fixée dans l’arrêt du 26 février 2013,Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105) (ci-après « arrêt Åkerberg Fransson »). Après avoir utilisé les critères dégagés dans l’arrêt Engel (ci-après « les critères Engel ») pour déterminer à quel moment une sanction fiscale possédait réellement un « caractère pénal », en dépit de son appellation la désignant comme étant de nature administrative, la Cour s’est explicitement référée au caractère efficace des sanctions, dont le lien avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme peut être difficile à établir.
29. Dans l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (14), après s’être déclarée compétente pour répondre à la question préjudicielle (15), la Cour a affirmé que le principe non bis in idem « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier » (16). La liberté de choix des sanctions par les États membres est justifiée par la nécessité de garantir la perception de l’intégralité des recettes provenant de la TVA et, ce faisant, la protection des intérêts financiers de l’Union (17).
30. Cependant, la Cour a fixé une limite au cumul des sanctions fiscales et pénales : « [C]e n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne. » Partant, s’il est possible d’infliger simultanément des sanctions fiscales et pénales, il n’est pas possible d’infliger à la fois une sanction nominalement administrative, qui est en réalité de nature répressive, et une sanction pénale (18).
31. Afin de déterminer, à son tour, dans quelles circonstances une sanction fiscale revêt un caractère pénal, la Cour a utilisé, comme nous l’avons précédemment indiqué, les critères Engel qu’elle s’était au préalable appropriés dans l’arrêt Bonda (19). Cependant, au lieu d’appliquer elle-même ces critères à une législation telle que la législation suédoise, elle a confié cette tâche à la juridiction de renvoi (20), en l’assortissant du caveat selon lequel elle ne pourrait conclure que le cumul des sanctions fiscales et pénales était contraire à l’article 50 de la Charte qu’à la condition que les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives (21).
32. L’efficacité de la poursuite de la fraude et de la protection des intérêts financiers de l’Union apparaissent donc comme des contrepoids dans le cadre de l’évaluation de l’incompatibilité du cumul des sanctions fiscales et pénales avec le principe non bis in idem, lorsque les impôts en cause affectent les intérêts précités.
33. L’exigence d’efficacité des sanctions devient une condition, selon l’arrêt Taricco e.a. (22), qui module la liberté de choix des États membres étant donné que « des sanctions pénales peuvent cependant être indispensables pour combattre de manière effective et dissuasive certains cas de fraude grave à la TVA ». Cette limite est également fondée sur l’article 325 TFUE, en vertu duquel les États membres sont tenus de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives et, en particulier, les oblige à prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils adoptent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers (23).
34. En définitive, par l’intermédiaire des arrêts Bonda (24) et Åkerberg Fransson, la Cour a interprété l’article 50 de la Charte de manière conforme (25) à la jurisprudence jusqu’alors dominante de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’application du principe non bis in idem (26). Cette convergence était logique, compte tenu de la similitude entre la réglementation du principe non bis in idem prévue à l’article 4, du protocole no 7 et la réglementation figurant à l’article 50 de la Charte (27).
B. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au principe non bis in idem et au cumul des sanctions fiscales et pénales
35. La protection conférée par le principe non bis in idem dans le cadre du Conseil de l’Europe n’est pas dépourvue de complications. Ce droit a été inscrit dans la CEDH, signée à Rome le 4 novembre 1950, et sa protection a ensuite été mise en œuvre par l’intermédiaire du protocole no 7, ratifié par 44 des 47 États membres du Conseil de l’Europe. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne l’a pas signé et la République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays‑Bas sont réticents à sa ratification. La République fédérale d’Allemagne a formulé des réserves lors de sa signature, tout comme d’autres pays ont formulé des réserves ou des déclarations dans leurs instruments de ratification lors de la conclusion du protocole (la République française, la République italienne, la République d’Autriche ou la République portugaise), et ce dans le but de restreindre la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme au domaine exclusivement pénal et pouvoir maintenir un cumul de sanctions administratives et pénales pour les mêmes faits (28).
36. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a limité les effets de ces réserves ou déclarations en exigeant, conformément à l’article 57 de la CEDH, que les conditions suivantes soient respectées pour que ces réserves ou déclarations soient déclarées valides. Elles doivent tout d’abord être formulées au moment de la signature du protocole ; ensuite, elles doivent renvoyer à des règles en vigueur à la date de la ratification ; de plus, elles doivent avoir un caractère général et contenir une brève exposition des règles visées (29). Dans l’arrêt Grande Stevens e.a. c. Italie (30), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que ces conditions n’étaient pas remplies et partant, elle a estimé que la déclaration de l’Italie dans l’instrument de ratification du protocole no 7, qui avait pour objectif de réduire son application uniquement aux sanctions et procédures qualifiées de pénales par le droit italien, était invalide.
37. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le principe non bis in idem interdit l’ouverture de deux procédures ou plus de caractère pénal (double accusation), ainsi que l’application de deux condamnations pénales définitives ou plus (double sanction) à une même personne pour les mêmes faits. L’objectif de ce principe est d’interdire la répétition de procédures pénales déjà achevées et de garantir la sécurité juridique de l’individu en le protégeant contre l’incertitude d’une éventuelle double poursuite, double procédure ou double condamnation. Une bonne partie de cette jurisprudence porte concrètement sur la double imposition de sanctions fiscales et pénales.
38. L’application du principe non bis in idem par la Cour européenne des droits de l’homme exige la réunion de quatre conditions : il faut qu’il y ait 1) identité de la personne poursuivie ou sanctionnée ; 2) identité des faits visés par la procédure (idem), 3) cumul des procédures de sanctions (bis) et 4) que l’une des deux décisions ait été prononcée à titre définitif. En l’espèce, les conditions qui ont suscité la jurisprudence la plus importante et la plus controversée sont l’identité des faits (idem) et le cumul des procédures (bis).
[…]
et surtout ensuite le savoureux passage suivant :
« 60. Cependant, le changement de jurisprudence opéré par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt A et B c. Norvège pose un défi important pour la Cour. Le respect institutionnel entre les deux juridictions s’oppose à la formulation de tout commentaire critique (64), mais cela n’empêche pas d’observer que, avec cette nouvelle approche, la Cour européenne des droits de l’homme a modifié de manière significative la portée qui avait été attribuée jusqu’alors au principe non bis in idem.
61. Dans ce contexte, j’estime que la Cour peut choisir entre l’une des deux voies exposées ci-après :
– accepter telle quelle la limitation au principe non bis in idem établie par l’arrêt A et B c. Norvège, et l’appliquer dans le cadre de l’article 50 de la Charte, en tenant compte de son article 52, paragraphe 3 ;
– rejeter cette limitation et maintenir le niveau de protection fixé dans l’arrêt Åkerberg Fransson par renvoi à la jurisprudence (antérieure) générale de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette position mettrait en œuvre la clause de l’article 52, paragraphe 3, in fine, selon laquelle l’obligation de réaliser une interprétation homogène des articles de la Charte dont le contenu est similaire aux articles de la CEDH « ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».
62. Indépendamment de ces deux possibilités, compte tenu de l’arrêt A et B c. Norvège, la Cour peut aussi, en toute logique, développer une jurisprudence spécifique pour déterminer la compatibilité avec l’article 50 de la Charte de « procédure(s) mixte(s) (administrative et pénale) » présentant entre elles des liens suffisants.
N.B. : à noter les différences entre ces conclusions et celles, sur les deux autres affaires, rendues également par M. l’avocat général Manuel Campos Sànchez-Bordona .
Ce débat a été tranché par la CJUE en posant le principe que :
« L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une personne pour omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée due dans les délais légaux, alors que cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que cette réglementation
vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts complémentaires,
contienne des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d’un cumul de procédures, et prévoie des règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée.
Il appartient à la juridiction nationale de s’assurer, compte tenu de l’ensemble des circonstances au principal, que la charge résultant concrètement pour la personne concernée de l’application de la réglementation nationale en cause au principal et du cumul des poursuites et des sanctions que celle-ci autorise n’est pas excessive par rapport à la gravité de l’infraction commise.»
Bref, CJUE et CEDH accordent leurs violons sur le droit d’y être mis et d’être, en sus, sanctionné administrativement.
Source : CJUE, 20 mars 2018, aff. C-524/15, aff. C-537/16 et C-596/16 (3 espèces). Ci-après les arrêts et les conclusions y afférentes :
NB : lire également l’excellent article de Mme Emmanuelle Maupin sur le site de Dalloz.