Plafonnement des dotations des communes nouvelles, ou quand l’Etat s’acharne – point sur la circulaire du 16 mars 2018

Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises sur le présent blog, plusieurs communes nouvelles et l’Etat sont actuellement en contentieux concernant la fixation du montant de leur DGF :

En effet, les communes nouvelles de Tinchebray-Bocage et de Charny-Orée-en-Puisaye contestent le calcul de leur DGF en ce que le montant de la DSR et de la DNP versé a été plafonné à 120 % des sommes perçues l’année précédente par les anciennes communes, par le fait d’une transposition, aux communes nouvelles, des mécanismes de planchers et de plafonds prévus par le droit commun.

Plus précisément, l’article L. 2113-22 du CGCT est venu régir spécifiquement les modalités de versement des dotations aux communes nouvelles. Le premier alinéa de cet article prévoit que les communes nouvelles sont éligibles aux dotations de péréquation communale dans les  conditions de droit commun, mais les alinéas suivants prévoient des exceptions à l’application du droit commun : les 2ème et 3ème alinéas précisent, respectivement pour la DSR et la DNP, que les dotations doivent être au moins égales à la somme des dotations perçues l’année précédente par les anciennes communes.

Autrement dit :

  • les communes nouvelles sont éligibles aux dotations de péréquation communale dans les conditions de droit commun (art. L. 2334-21 pour la DSR, et L. 2334-14-1 pour la DNP), c’est-à-dire en leur appliquant les nouveaux indicateurs de la commune nouvelle (population, potentiel financier, etc.) ;
  • dans l’hypothèse où l’application du droit commun n’aboutirait pas à un tel montant, les communes nouvelles perçoivent une DSR et une DNP au moins égale à la somme des attributions perçues par les communes anciennes, l’année précédant la création de la commune nouvelle.

La question se pose alors de savoir si le plafonnement prévu par le droit commun s’applique, ou non, aux communes nouvelles. Deux principaux arguments plaident pour la non-application du plafonnement de 120 % aux communes nouvelles :

  1. d’une part, la loi spéciale prime sur la loi générale. Or, le mécanisme de plafonnement de la DSR et de la DNP à 120 % des dotations perçues l’année précédente est prévu dans le même alinéa que le mécanisme de plancher des dotations (art. L. 2334-21, dernier alinéa pour la DSR, et art. L. 2334-14-1, VI pour la DNP). Or, l’article L. 2113-22 du CGCT prévoit un plancher spécifique aux communes nouvelles, écartant ainsi implicitement mais nécessairement l’intégralité du dernier alinéa de l’article L. 2334-21 du CGCT et du VI de l’article L. 2334-14-1 du CGCT, dont le mécanisme de plafonnement des dotations ;
  2. d’autre part, en pratique, il est impossible de plafonner la DSR et la DNP de la commune nouvelle à 120 % des dotations perçues par la commune l’année précédente puisque, par définition, la commune nouvelle n’existait pas l’année précédente et n’a donc perçu ni DSR ni DNP. D’ailleurs, pour l’application d’un montant plancher spécifique aux communes nouvelles, l’article L. 2113-22 du CGCT a précisé que ce plancher devait s’appliquer à la somme des dotations des anciennes communes, et non pas à la dotation perçue l’année précédente par la commune nouvelle…

Ce sont ces arguments, juridiques et pratiques, qui ont emporté la conviction des Tribunaux administratifs de Caen (TA Caen, 24 mars 2016, Commune nouvelle de Tinchebray-Bocage, req. n° 1502304 – jugement Tinchebray 20160324) et de Dijon (TA Dijon, 16 octobre 2017, Commune de Charny Orée de Puisaye, req. n° 1602958, jugement TA Dijon 20171016 Charny), ainsi que la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 24 mai 2017, Ministre de l’Intérieur c/ Tinchebray-Bocage, req. n° 16NT01707 – CAA Tinchebray DGF commune nouvelle).

De manière choquante au regard de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à ces décisions, le Ministère de l’Intérieur, considérant sans doute que la circonstance qu’il se soit pourvu devant le Conseil d’Etat contre l’arrêt de la CAA de Nantes l’exonérait de respecter les principes de l’Etat de droit, a pris le 16 mars 2018 une circulaire qui contredit l’interprétation retenue dans les jurisprudences précitées (circulaire 16 mars 2018 ) :

“ces dispositions spécifiques [dont l’article L. 2113-22 du CGCT] s’appliquent sans préjudice des autres modalités de calcul de droit commun, et notamment du plafonnement des attributions de la commune par rapport au montant perçu l’année précédente lorsqu’un tel encadrement existe. C’est le cas sur la DSR bourg-centre, la DSR péréquation et sur les deux après de la DNP”

Ce faisant, le Ministère de l’Intérieur se garde bien de justifier sa position : aucun argument n’est invoqué, et à aucun moment la circulaire ne cite les décisions contraires rendues par plusieurs juridictions… En outre, le Ministère n’explique pas non plus à comment appliquer le plafonnement à une commune nouvelle qui n’a jamais perçu aucune dotation…

Tout comme il avait tenté de le faire en matière de TASCOM, l’Etat cherche coûte que coûte à ménager ses finances en adoptant une interprétation des textes défavorable aux communes nouvelles. Cependant, en matière de TASCOM, il aura fallu l’intervention d’une loi de validation pour que l’Etat obtienne gain de cause, au détriment des collectivités dont les demandes étaient pourtant fondées (https://blog.landot-avocats.net/2017/07/21/tascom-un-triste-epilogue-pour-les-collectivites-locales-et-les-epci/).

Pour les dotations des communes nouvelles, l’Etat n’a pas pris de loi de validation et s’est pour l’instant contenté de modifier, à l’occasion de la loi de finances pour 2018, l’article L. 2113-22 du CGCT en précisant que « Pour l’application des plafonnements prévus aux articles L. 2334-14-1, L. 2334-21 et L. 2334-22, le montant perçu l’année précédant la création de la commune nouvelle correspond à la somme des attributions perçues par les anciennes communes. » En apportant une telle précision, d’une part, le législateur reconnaît que les textes n’étaient pas clairs quant à l’application du plafonnement de 120 % aux communes nouvelles et, d’autre part, indique à quelle somme le plafonnement s’applique (à la somme des dotations des anciennes communes, et non pas la dotation perçue l’année précédente par la commune nouvelle comme il est dit dans la circulaire). Implicitement, le législateur confirme donc que ce plafonnement ne leur était pas applicable les années précédentes et, faute de loi de validation, cette disposition ne s’applique que pour l’avenir.

Espérons pour les communes nouvelles que le juge administratif ne se laissera pas circonvenir par la modification récente du CGCT et par la circulaire du 16 mars 2018, et viendra confirmer les décisions d’ores et déjà rendues !