Le droit à l’oubli (i.e. déréférencement) permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats associés à ses noms et prénoms qui apparaissent à partir d’une requête faite sur son identité. Cette suppression ne signifie pas l’effacement de l’information sur le site internet source.
Or, ce droit à l’oubli soulève des difficultés considérables.
La CEDH a par exemple eu à traiter de la conciliation entre le droit à l’oubli (découlant de l’article 8 CEDH), d’une part, et le droit d’informer, d’autre part. Voir :
- CEDH, 28 juin 2018, n° 60798/10 et 65599/10.
- Equilibre entre droit à l’oubli et droit à s’informer sur Internet : la CEDH penche vers le droit à s’informer
En 2016, le Conseil d’Etat imposait, par exemple, à la CNIL, d’assortir ses sanctions d’un « droit à l’oubli », au moins indirectement, par l’interdiction d’une sanction illimitée dans le temps. Voir :
- CE, 28 septembre 2016, n° 389448
- Affaire du Théâtre national de Bretagne : le CE a jugé, hier, que la CNIL doit assortir ses sanctions d’un « droit à l’oubli »
Hier, c’était au tout de la CJUE de compléter son corps de jurisprudence (auparavant voir CJUE, 13 mai 2014, Google Spain et Google, C-131/12) par deux arrêts importants à ce sujet.
A RETENIR
• ce droit à l’oubli n’est sanctionné par la CJUE que sur le territoire européen. Il ne peut y avoir de demande de déréférencement à l’échelle mondiale en dépit de la demande de la CNIL en sens contraire. C’est une victoire pour Google et une possibilité de contournement majeur pour l’information qui pourra continuer de prospérer à l’autre bout du monde. Classiquement, le juge européen ne veut pas étendre son empire chez les voisins là (c’est un classique des droits en Europe sauf pour certaines infractions majeures) là où le juge américain (mais lequel en ce domaine est plus protecteur du droit à l’information et moins du droit à la vie privée que le juge européen…), pour ne citer que lui, ne s’embarrasse que peu de pareilles limites.
• mais les moteurs de recherche ont l’obligation de prendre des mesures efficaces pour que le droit à l’oubli s’applique sur toute l’UE (au point semble-t-il que selon le pays où est effectué la recherche, le déréférencement devra permettre que l’internaute ne puisse accéder aux informations qui pourtant prospéreront librement en Afrique, en Asie, en Amérique ou en Océanie… )
• cependant, la CJUE a ouvert la porte à un droit à l’oubli mondial dans des cas particuliers qui pourront être posés par les autorités nationales (CNIL ou homologues) sous le contrôle du juge… la CJUE sur ce point a un peu botté en touche.
• le juge européen a aussi précisé le régime à appliquer pour les données sensibles (appartenance sexuelle ethnique ou politique, par exemple). En pratique, un moteur de recherches ne peut, sauf à faire des enquêtes sur tout en ce bas monde, trier de telles informations et s’assurer de leur neutralité ou véracité. Mais il peut identifier le caractère potentiellement sensible de telles données. La CJUE a tranché en faveur du droit des personnes à demander le déréférencement de telles données mais en faveur de la possibilité pour le moteur de recherche de signaler qu’il peut s’y opposer pour cause de droit à l’information (sous le contrôle du juge si celui ci est saisi, comme dans l’affaire CEDH précitée). Mais le moteur de recherche doit en ce cas dans son algorithme mettre en avant la situation judiciaire actuelle, la plus récente, pour par exemple qu’un acquittement puisse prévaloir sur les résultats annonçant la mise en examen qui lui aura été antérieure.
VOICI CES DÉCISIONS
CJUE, 24 septembre 2019, C-507/17 :
CJUE, 24 septembre 2019, C-136/17 :
QUELQUES RÉACTIONS
Voici un extrait de l’analyse, comment dire… prudente de ces arrêts faite par la CNIL française (à l’origine de ces affaires l’opposant à Google) hier soir :
Dans une première décision, la Cour apporte d’importantes précisions sur les conditions dans lesquelles les personnes peuvent obtenir le déréférencement d’un lien apparaissant dans un résultat de recherche lorsque la page auquel le lien renvoie contient des informations relatives à des informations sensibles (par exemple, leur religion, leur opinion politique ou l’existence d’une condamnation pénale).
Elle apporte aussi un éclairage utile sur l’intérêt du public à avoir accès à une information devenue incomplète ou périmée du fait de l’écoulement du temps.
Dans sa deuxième décision, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la portée géographique du déréférencement. La CNIL, en 2016, avait estimé que, d’une manière générale, seul un déréférencement mondial était de nature à permettre une protection effective des droits des personnes. En pratique, selon la CNIL, en cas de déréférencement d’un lien concernant une personne vivant en France, les informations devaient être rendues inaccessibles quel que soit le lieu dans le monde depuis lequel la recherche était effectuée.
Dans son arrêt, la Cour ne retient pas entièrement cette approche.
Elle limite en principe l’effet du déréférencement aux seuls résultats apparaissant à la suite de recherches effectuées depuis le territoire européen. Les résultats de recherche resteront donc accessibles en cas de recherche effectuée en dehors de l’Union européenne.
Si elle ne donne pas à ce déréférencement une portée mondiale, la Cour établit clairement que le déréférencement doit être effectif à l’échelle européenne, et non sur la seule version du pays de résidence du demandeur.
La Cour précise par ailleurs que, si le droit de l’Union n’impose pas le déréférencement mondial, il ne l’interdit pas non plus. Ainsi, une autorité de contrôle, et donc la CNIL, est compétente pour obliger un moteur de recherche à déréférencer les résultats sur toutes les versions de son moteur si cela est justifié, dans certains cas, pour garantir les droits de la personne concernée.
Enfin, la Cour exige que les moteurs de recherche prennent des mesures efficaces pour empêcher, ou au moins sérieusement décourager, qu’un internaute européen puisse avoir accès aux liens déréférencés. Il appartient désormais au Conseil d’État d’apprécier si les modifications apportées par Google à son moteur de recherche depuis 2016 sur ce point sont suffisantes.
Nous avons bien aimé cette analyse flash faite sur Twitter :
et aussi cette analyse du Monde :
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