Services d’incendie et de secours : comment « gérer » les deux arrêtés du 23 mars ?

Le SIS et la crise Covid : deux arrêtés spécifiques en date du 23 mars ont été publiés au JO du 25… et suscitent moult interrogations. Nous avons voulu interroger sur ce point le Capitaine Benoît FLAMANT Directeur sur service affaires juridiques et Européennes du SDIS de la SAVOIE, et ancien Avocat.

N.B. : les réponses du Capitaine Flamant ne l’engagent qu’à titre purement personnel et ne sauraient être imputées à l’institution au sein de laquelle celui-ci se trouve, ni engager celle-ci.

Au JO du 25 mars se trouvaient deux arrêtés concernant spécifiquement les services d’incendie et de secours.

 

Voici quelques questions / réponses à ce sujet :

 

 

1/ Deux arrêtés ont été publiés par la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises et concernent les SDIS. Dans quel contexte s’inscrivent-ils ?

 

Ces deux textes prorogent d’une part la validité des listes d’aptitudes opérationnelles et d’autre part celle des visites médicales d’aptitudes.

Elles s’inscrivent dans un contexte où les SDIS partent en terre inconnue. Leurs effectifs volontaires et professionnels sont disponibles afin d’assumer les interventions courantes et covid. Ils ne sont toutefois pas affranchis du respect des gestes barrières et pour cause ! ce faisant, l’ensemble des missions non nécessaires ont été mises à l’arrêt.

Parmi celles-ci les visites médicales mais aussi les formations de maintien des acquis. Bien que le défoncement semble se dessiner, le 11 mai ne sera pas un mécanisme on/off.

Cette crise aura, au-delà de l’impact opérationnel immédiat, des effets sur les SDIS y compris durant la phase de résilience.

C’est afin de faire face à l’urgence sanitaire d’une part et d’autre part à l’inconnu vers lequel nous allons durant la phase de résilience que ces deux arrêtés ont été pris.

 

2/ Quel était l’enjeu par rapport à l’arrêté prorogeant l’aptitude médicale ?

 

Il s’agit probablement du plus important. Il est relatif à la prorogation de l’aptitude médicale des sapeurs-pompiers.

Dans le cadre de leur activité normale les services d’incendie et de secours se doivent de contrôler l’aptitude médicale ainsi que l’aptitude opérationnelle de leurs agents. Les règles de ce contrôle sont fixées par l’arrête du 6 mai 2000,

Pour faire simple, par principe chaque sapeur-pompier voit son aptitude médicale contrôlée annuellement qu’il soit volontaire ou professionnel. Comme tout principe, il existe des exceptions et des aménagements :

  • Sur décision du médecin chef, la visite d’aptitude peut être portée à 2 ans lorsque l’agent est âgé de 16 à 38 ans
  • Il existe des visites spécifiques, notamment afin de pouvoir poursuivre l’exercice d’un certain nombre de spécialités :
    • Scaphandrier autonome léger
    • Groupe d’intervention en milieu périlleux, secours en montagne, secours spéléo
    • Risque chimique
    • Risque radiologique.

La règle est simplissime : lorsque l’aptitude médicale est échue, le sapeur-pompier devient inapte opérationnel jusqu’à ce qu’il ait pu repasser sa visite.

 

3/ Quelles étaient les difficultés qui ont présidé à la prise de cet arrêté ?

 

Plusieurs problèmes différents coexistaient depuis le début de la crise liée au covid-19.

Il y a, tout d’abord, des difficultés liées à la ressource en personnel médical. Qu’elle soit professionnelle ou volontaire, la ressource est accaparée par la crise sanitaire mais également par les tâches courantes.

Un problème technique existait également. Je fais référence ici non seulement à la proximité nécessaire pour des visites alors que la distanciation sociale et professionnelle est recommandée. Je pense aussi, plus pratiquement à la spirométrie. Sans être un professionnel de santé, la suspension des visites semblait une bonne solution.

Ces deux problèmes, alors que la crise s’installait, pouvaient provoquer une érosion continue du potentiel opérationnel des SDIS.

Dans le même temps, la sollicitation opérationnelle – même si elle se modérait – continuait d’exister. Il fallait pouvoir continuer à durer dans le temps, avec un aléa sur l’impact que la crise du covid-19 pouvait avoir sur les sapeurs-pompiers. Combien étaient susceptibles d’être indisponibles suite à une contamination potentielle quelle qu’en soit l’origine.

Il y avait donc deux problèmes : ne pas faire perdre l’aptitude à ceux qui ne pouvaient plus effectuer de visite médicale d’aptitude d’une part et, d’autre part, pourvoir s’assurer d’avoir le temps suffisant pour ne pas emboliser la machine lors de la reprise des visites.

 

4/ Quelle réponse ont été apportées à cette problématique par DGSCGC ?

 

La réponse institutionnelle est intervenue par l’arrêté du 23 mars 2020. Ce dernier proroge de 6 mois à compter de leur expiration les visites d’aptitudes médicale.

Il intervient avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020 et la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, ce qui explique que sa motivation fasse s’appuie sur la théorie des circonstances exceptionnelles.  Cette remarque vaut, d’ailleurs, pour les deux arrêtés.

 

5/ Quel est la portée de cet arrêté et les précautions l’entourant ?

 

Cet arrêté ne vise quels vises périodiques hors spécialités. Il convient de garder une vigilance particulière sur ce point, ainsi que sur les autorisations de conduites délivrées par les médecins sapeurs-pompiers pour la conduite des ambulances.

Il fat également être prudent compte tenu de la rédaction de l’arrêté et notamment de son article 2 qui effectue un renvoi direct aux Présidents des conseils d’administrations pour l’exécution de l’arrêté. Cette phrase n’a rien de surprenant compte tenu du principe de libre administration et des collectivités territoriales ainsi que de l’autonomie juridique de services d’incendie et de secours et

Sa rédaction semble inviter les SIS souhaitant bénéficier de cette prorogation à inviter leur président a prendre un arrêté de prorogation en se servant de cet arrêté comme base légale.

Au-delà du droit, ces prorogations d’aptitudes étant effectuées sur la base d’une législation dérogatoire, la prudence commande de les programmer les personnels ainsi prorogés dès que possible une fois les visites reprises. Il s’agit d’un point de vigilance dans le cadre des plans de reprise d’activité que les SDIS doivent être en train de préparer.

 

6/ Le second arrêté traite lui de la prorogation des listes opérationnelles. De quoi s’agit -il et quel en est l’enjeu ?

 

Les sapeurs-pompiers suivent durant leur carrière de nombreuses formations. Pour simplifier ils suivent d’abord une formation de base comportant du secourisme en équipe, de l’incendie et du secours routier. Cette formation peut être limitée au secourisme dans certains cas, et notamment celui des sapeurs-pompiers volontaires.

Ensuite, durant leur carrière, certains vont ensuite monter en compétence afin d’accéder à des niveaux de commandements supérieurs. On parle de chef d’agrès pour un engin, de chef de groupe pour superviser jusqu’à 4 engins, de chef de colonne jusqu’à 4 groupes, et au-delà du chef de site.

Enfin, par appétence ou pour répondre à des risques locaux, les sapeurs-pompiers vont pouvoir se former dans des domaines de spécialités comme le risque chimique ou les feux de forêts.

Qu’il s’agisse des formations de base, de commandement ou de spécialité il est nécessaire de maintenir et perfectionner ces acquis durant toute sa carrière. Le quantum de ces recyclages s’exprime en volumes horaires. Il est déterminé par le règlement de la spécialité au niveau national lorsqu’un guide national de référence existe. Sinon il dépend du règlement de formation départemental.

Lorsqu’un agent a satisfait à ses obligations de maintien des acquis, il est dit opérationnel. Ill est alors mentionné sur une liste d’aptitude opérationnelle.

Compte tenu de l’annualité des recyclages la validité de cette liste est d’une année. Schématiquement, cela signifie qu’afin d’être sur la liste d’aptitude de l’année N+1, vous devez donc réaliser vos actions de formation et perfectionnement des acquis sur l’année N.

Ces formations s’effectuent majoritairement en présentiel. On imagine mal un recyclage de secourisme s’effectuer seul en visioconférence. La correction des gestes ainsi que l’apprentissage des nouvelles techniques ne peuvent s’effectuer qu’en présentiel sauf rares exceptions.

Copte tenu du contexte proroger de 6 mois la validité de listes d’aptitudes était une décision judicieuse, qui évite de mettre les services de secours en tension dès le déconfinement.

 

7/ Cet arrêté donne-t-il lieu à des précautions spécifiques dans sa mise en œuvre ?

 

L’enfer est pavé de bonnes intentions et cet arrêté en est la démonstration !

Les listes d’aptitudes sont arrêtées par le représentant de l’Etat dans le département et il n’y a aucune possibilité lui substituer quiconque faute de textes. On ne voit d’ailleurs pas bien qui le pourrait. C’est d’ailleurs un peu tout l’esprit de la double direction des SDIS : le Président du Conseil d’Administration pour les aspects fonctionnels et le Préfet pour les aspects opérationnels.

L’arrêté pris par la Direction Générale de la Sécurité Civile ne se suffit donc pas à lui-même pour proroger les listes. Il porterait d’ailleurs atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales !

C’est un peu le rôle de l’article 2 de cet arrêté qui donne au Président du Conseil d’Administration la possibilité de proposer au Préfet de proroger les listes d’aptitudes opérationnelles à travers un arrêté spécifique.

La proposition aurait pu être laissée, par cohérence, à l’appréciation du Chef de corps mais le choix a été fait différent, probablement en raison de l’urgence.

 

Dans tous les cas, et pour conclure, les deux arrêtés offrent des possibilités aux SDIS de s’adapter à la crise. Les outils existent mais il faut être méticuleux dans leur transposition et ne pas se satisfaire des textes nationaux.

La même remarque vaudrait d’ailleurs pour la transposition de l’ordonnance du 15 avril 2020 ainsi que pour tout souhait de déroger aux règles relatives au temps de travail si cela devenait nécessaire. La réglementation nationale le permet mais l’adaptation locale, sous forme réglementaire, est indispensable et protectrice.