Dans un arrêt récent (CE, 12 octobre 2020, Commune d’A., req. n° 431903 et autres), le Conseil d’Etat a précisé qu’ un titre exécutoire peut être émis pour le recouvrement de pénalités même sans respect de la clause de conciliation obligatoire prévue au contrat !
Le 19 octobre 2012, la commune d’A. a conclu avec la société V. M. un contrat de concession pour l’exploitation d’une salle omnisports. Le contrat comportait une clause prévoyant que les parties devaient tenter une conciliation avant de saisir le juge d’un différend résultant de l’interprétation ou de l’application du contrat. Or, sans recourir à la conciliation, la ville a émis contre la société seize titres exécutoires au titre de pénalités contractuelles pour inexécution du contrat, ainsi qu’un titre exécutoire au titre de la redevance d’occupation domaniale.
Le tribunal administratif de Nice, confirmé en appel, a annulé les seize premiers titres en question et diminué le montant de celui correspondant à la redevance d’occupation.
Le Conseil d’Etat annule les décisions des juges du fond et précise le régime applicable aux sanctions pécuniaires contractuellement prévues dans les contrats publics.
En premier lieu, il relève qu’au cas d’espèce, la mise en œuvre de la redevance d’occupation domaniale et des sanctions pécuniaires pour inexécution de ses obligations contractuelles par le concessionnaire étaient prévues par le contrat. Dans ces conditions, l’autorité concédante ne pouvait donc être regardée comme ayant entendu régler un différend sur l’application ou l’interprétation du contrat. Dès lors, elle était fondée à émettre directement les titres exécutoires correspondants sans avoir à initier au préalable une mesure de conciliation :
« Il résulte de l’instruction que la commune d’A. a mis en demeure la société V. M. d’exécuter ses obligations contractuelles, puis émis les titres exécutoires litigieux, en application de l’article 34 précité du contrat. La société V. M. soutient que les stipulations de l’article 46 du contrat, citées au point 5, s’opposaient à ce que la commune d’A. émette des titres exécutoires sans engager la procédure de règlement des différends qu’elles prévoient, qui impose une tentative de conciliation par un expert désigné d’un commun accord avant de saisir le juge. La commune ne peut toutefois être regardée, en ce qu’elle a mis en œuvre les sanctions pécuniaires prévues par le contrat faute pour le délégataire de remplir ses obligations contractuelles, sanctions dont le prononcé est lui-même subordonné à une mise en demeure préalable, comme ayant eu un différend sur l’application ou l’interprétation du contrat au sens de l’article 46 du contrat, article qui au surplus figure dans un chapitre distinct de celui relatif aux sanctions, dans lequel est situé l’article 34. »
Ainsi, en cas de contestation portant sur le montant du solde du contrat public, l’application des pénalités qui ont été contractuellement prévues ne doit pas être considérée comme portant sur l’application ou l’interprétation du contrat, de sorte qu’un titre exécutoire peut être émis pour leur recouvrement sans recourir préalablement à la conciliation.
Cette solution atténue la portée d’une règle ancienne selon laquelle un titre exécutoire ne peut être légalement émis si la clause de conciliation obligatoire n’est pas respectée (CE, 28 janvier 2011, Département des Alpes-Maritimes, req. n° 331986 ; CE, 9 déc. 1991, Snoy, req. n° 84308 ; CE, 6 oct. 1976, Koch, n° 98433)
En second lieu, le Conseil d’Etat précise la portée du pouvoir de modulation des pénalités contractuelles par le juge du contrat dans le cadre des concessions.
Il est établi que lorsqu’il est saisi d’un litige entre les parties à un contrat public, le juge doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat. Mais s’il est saisi de conclusions en ce sens par une partie, il peut à titre exceptionnel modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations (CE, 2 décembre 2019, société Serin Constructions métalliques, req. n° 422615 ; CE, 19 juillet 2017, Société GBR Ile-de-France, req. n° 392707).
S’agissant des concessions, l’arrêt commenté ajoute que ce pouvoir de modulation est notamment apprécié
« eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l’autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l’inexécution constatée ».
* article rédigé par Jean-Loup Mirabel, avocat au cabinet Landot et associés.