A la base, les règles de droit semblent claires :
- l’école publique est gratuite. Point. Les articles L. 131-1 et suivants du code de l’éducation sont dépourvus d’ambiguïté à ce sujet.
Le juge administratif impose le respect de ce principe et annule, par exemple, pour illégalité toute demande communale de participation des familles pour la couverture des dépenses de fournitures scolaires à usage collectif (CE, 10 janvier 1986, Commune de Quingey, n° 58908, rec. 3). -
« les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif » (restauration scolaire, périscolaire…) peuvent « être fixés en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer », à la condition que les « droits les plus élevés ainsi fixés ne puissent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée » (article 147 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ; voir auparavant et dans le même sens : CE, S., 29 décembre 1997, Commune de Nanterre, req. n° 157500 ; CE, S., 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers, req. n° 157425. voir aussi CE, 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle, req. n° 89691 et CE, 18 mars 1994, Dejonckeere, req. n° 140870).
Donc le droit clair.
Mais comme toujours la réalité est foisonnante. Le réel brouille les frontières juridiques.
La commune de Rouen l’a appris à ses dépens.
Par une délibération du 6 juillet 2015, cette ville a mis en place à compter de l’année 2015/2016 une tarification, modulée selon le quotient familial, pour l’inscription des élèves et collégiens dans les classes à horaires aménagés comportant un enseignement artistique renforcé assuré par le Conservatoire à rayonnement régional de Rouen, ainsi que pour les lycéens préparant, avec le concours de ce conservatoire, le baccalauréat « Techniques de la musique et de la danse ».
Saisi par la Fédération des parents d’élèves du conservatoire et par des parents d’élèves, le tribunal administratif de Rouen, par deux jugements rendus le 19 décembre 2017, a annulé cette délibération ainsi que des titres de recettes émis pour le paiement des frais de scolarité. Par un troisième jugement rendu le 11 juin 2019, le tribunal a rejeté la demande de la commune de Rouen tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui rembourser les frais de rémunération du personnel enseignant du conservatoire qu’elle supportait à ce titre.
Par trois arrêts rendus ce 3 décembre 2020, la Cour administrative d’appel de Douai (oui : à rebours des fleuves, la Normandie vient en appel se jeter dans les Hauts de France) a rejeté les appels de la commune de Rouen contre les jugements du tribunal administratif de Rouen.
Globalement, la CAA comme le TA estime que l’on est suffisamment imbriqué, là, dans le scolaire, pour que ce soit le principe de gratuité qui s’applique. Plus précisément :
- d’une part, la Cour juge que les enseignements artistiques renforcés dispensés, dans l’enseignement public, aux écoliers et collégiens dans le cadre des classes à horaires aménagés régis par l’arrêté ministériel du 31 juillet 2002, ainsi qu’aux lycéens préparant le baccalauréat « Techniques de la musique et de la danse », conformément au code de l’éducation, se rattachent à l’obligation scolaire des élèves qui les suivent. Dès lors, ces enseignements sont soumis au principe de gratuité de l’enseignement public prévu aux articles L. 131-1 et suivants du code de l’éducation.
- d’autre part, il est logique que la commune assume ces dépenses, tranche, la Cour, face aux arguments de la commune demandant indemnisation à l’Etat. La mise en place de l’ensemble de ces classes, qui n’est pas obligatoire, étant intervenue avec l’accord de la commune de Rouen, les dispositions de l’article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que seule une loi peut imposer une dépense aux collectivités territoriales, n’ont pas été méconnues par l’Etat. Enfin, les dépenses de rémunération du personnel enseignant du conservatoire de Rouen dispensant ces enseignements au sein de ce conservatoire, n’entrent pas dans le champ des dépenses pédagogiques à la charge de de l’Etat, limitativement énumérées par l’article L. 211-8 du code de l’éducation, puisqu’elles ne concernent ni des personnels des écoles ni des personnels enseignant dans les collèges ou les lycées.
Voir CAA Douai, 3 décembre 2020, n° 18DA00435, n° 18DA00436 et n° 19DA01793 :