Le droit d’informer ouvre-t-il aux journalistes un droit à se rendre sur les lieux où se déroule l’actualité ? La liberté de la presse est-elle une liberté fondamentale ?

Image par Wolfgang Ehrecke de Pixabay

Le droit d’informer ouvre-t-il aux journalistes un droit à se rendre sur les lieux où se déroule l’actualité ?

Oui, en droit. Mais en pratique, le temps que le juge des référés liberté statue… il est trop tard, avait constaté le TA en référé… Le Conseil d’Etat vient à l’instant d’apporter une réponse un brin plus nuancée, puisque le juge contrôle tout de même le respect de ce droit (non méconnu en l’espèce). Le juge fixe même un mode d’emploi assez concret pour les professionnels. 

À noter : le CE précise au passage que la liberté de la presse est une liberté fondamentale.

 

I. La position du TA

 

Le droit d’informer conduit-il à ce qu’il soit enjoint à une Préfecture de laisser accéder des journalistes à des sites où des migrants sont en train d’être évacués ?

NON répond le juge des référés du TA de Lille FAUTE D’URGENCE PUISQUE LES ÉVACUATIONS EN CAUSE AVAIENT DÉJÀ EU LIEU.

Est-ce à dire que le droit d’informer ne signifie pas, selon un TA, un droit à se rendre sur les lieux où se déroule l’actualité ? NON. Ce n’est pas ce que dit le TA. Il est constant en effet qu’en référé, le juge ne statue que s’il y a urgence et, là, il n’y avait plus urgence.

Par une ordonnance rendue le 5 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a en effet rejeté la demande de deux journalistes tendant à ce qu’il soit enjoint, en urgence, aux préfectures du Nord et du Pas-de-Calais de les autoriser à accéder aux différents sites où il est procédé à l’évacuation de campements sur les territoires des communes de Grande-Synthe, Coquelles et Calais.

 

A l’appui de leur saisine du juge du référé-liberté, les requérants ont fait valoir qu’à cinq reprises, les 29 et 30 décembre 2020, les forces de l’ordre leur ont interdit de pénétrer à l’intérieur des périmètres de sécurité instaurés autour des sites où étaient en cours des opérations d’évacuation de campements sauvages. Selon eux, ces interdictions avaient ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’expression, le droit à la dignité humaine, l’interdiction de traitements inhumains et dégradants et le droit de tout citoyen à demander des comptes à tout agent public.

Toutefois, le juge des référés a relevé que lors de l’audience tenue le 4 janvier 2021, les requérants n’avaient fait état d’aucune nouvelle intervention d’évacuation en cours ou à venir, à laquelle ils envisageraient d’assister, et qu’il a été indiqué en défense par les représentants des préfectures du Nord et du Pas-de-Calais que les évacuations étaient terminées.

Dans ces conditions, le juge a estimé que n’était pas caractérisée une situation d’urgence justifiant le prononcé de l’injonction demandée par les deux journalistes dans le délai de 48 heures prévu en matière de référé-liberté.

EST-CE SATISFAISANT ? NON en droit bien sûr que non. Cela veut dire que l’on devrait avoir des régimes de référé liberté en quelques heures. Sinon la liberté d’informer des événements qui ne se déroule que dans l’espace de quelques heures sera niée. Non pas par le juge. Mais pour des raisons de pure procédure.

Ceci dit, refuser l’accès à des journalistes pourrait dans certains cas être du pénal… ce qui limite les jeux de pure procédure…

Voir :

 

II. La position, à l’instant, du Conseil d’Etat

 

Si le juge des référés du Conseil d’Etat rejette, comme l’avait fait le TA, la requête des deux journalistes, la Haute Assemblée n’en insiste pas moins, avec une certaine solennité, sur l’obligation, pour les préfets du Nord et du Pas-de-Calais, de garantir le respect de la liberté de la presse – liberté fondamentale – lors des évacuations de campements de migrants.

Le juge note que, lors de l’évacuation de ces campements, un périmètre de sécurité est mis en place pour permettre l’intervention des forces de l’ordre, assurer le respect de la dignité des personnes évacuées et la protection des tiers.

Les journalistes soutenaient n’avoir pu couvrir suffisamment les opérations d’évacuation au sein de plusieurs camps en décembre et janvier.

Toutefois, les témoignages et photographies recueillis, ainsi que les échanges lors de l’audience au Conseil d’État, n’ont pas révélé que les périmètres de sécurité mis en place lors de ces évacuations avaient eu pour objectif ou conséquence d’empêcher les journalistes de couvrir le déroulement des opérations.

Le juge estime ainsi que les périmètres mis en place n’ont pas excédé, dans ces circonstances, ce qui était nécessaire pour assurer la sécurité de l’évacuation (ce qui en creux indique aux services préfectoraux et aux forces de l’Ordre les règles à ne pas franchir notamment pour garantir le droit d’informer). 

Le juge rappelle toutefois qu’il est de la responsabilité des préfets de veiller, lors d’éventuelles prochaines opérations d’évacuation et lors de la fixation des distances de sécurité, au respect de l’exercice de la liberté de la presse.

Voir CE, ord., 3 février 2021, n° 448721 :

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