CDBF et octroi d’avantage injustifié : un préjudice, même comblé par le comptable public, reste un préjudice pouvant engager la responsabilité de l’ordonnateur

CDBF : la responsabilité du comptable n’exclut pas celle de l’ordonnateur.

Plus précisément, il y a préjudice au titre de l’infraction de l’article L. 313-6 du CJF (octroi d’avantage injustifié entraînant un préjudice…) même si la responsabilité du comptable a été mise en jeu. Un comptable public peut voir sa responsabilité mise en cause, il peut même (lui et son assurance en réalité) avoir à payer un débet égal à l’intégralité dudit préjudice… cela n’empêche pas l’ordonnateur d’avoir commis cette infraction car l’élément qu’est le préjudice n’est pas, en quelque sorte, effacé par ledit paiement par le comptable. 

 

 

La CDBF ( voir ici), juridiction rattachée concrètement à la Cour des comptes, peut faire peur : c’est une juridiction, certes administrative, mais répressive. En réalité, son activité (qui frappe les ordonnateurs au titre d’infractions financières, sous certaines limites) reste épisodique et ses sanctions, gênantes médiatiquement (ou pour un déroulement de carrière) restent limitées en montants.

Mais ces arrêts sont en général bien charpentés et instructifs, constitués après une procédure minutieuse (et au contradictoire impeccable) par des magistrats  dotés de vrais pouvoirs d’enquête.

Précision très importante : le régime de responsabilité financière des comptables publics et celui des ordonnateurs a été réformé par la loi de finances pour 2022 et une ordonnance est attendue ces mois-ci à cet important sujet. Voir :

 

Une de ces infractions financières prévue par l’article L. 313-6 du code des juridictions financières (CJF), a au nombre de ses éléments constitutifs le fait que l’on ait un « préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé »

« Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction. »

 

Sauf que les mêmes faits, via la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public, peuvent donner lieu à un débet pour les mêmes dépenses.

Donc un avocat habile de l’ordonnateur pouvait espérer, en raison du paiement par le comptable dudit débet, tenter de défendre qu’il n’y avait, ensuite, plus de préjudice.

Plus de trou dans la caisse égale plus de préjudice égale plus de responsabilité de l’ordonnateur… Un vrai tour de magie, avec le comptable public dans le rôle du lapin que l’on sort du chapeau.

Sauf que le Conseil d’Etat n’a pas été dupe et qu’il est difficile de lui en faire reproche : au delà même des questions d’équité, en pur droit, il est logique pour une infraction (même pour une infraction administrative…) d’apprécier le préjudice (dans son principe en répressif ; pas dans son quantum en indemnitaire) à la date de la commission des faits.

Donc c’est logiquement que le Conseil d’Etat a posé que :

« Pour la mise en oeuvre de l’article L. 313-6 du code de juridictions financières (CJF), la circonstance que la responsabilité du comptable de la collectivité ou de l’organisme en cause ait été mise en jeu à raison des mêmes dépenses que celles reprochées à l’ordonnateur et qu’il ait été constitué débiteur de cette collectivité ou de cet organisme par le juge des comptes n’est pas de nature à effacer l’existence d’un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé. »
(résumé des tables de la base Ariane préfigurant celles du Rec.)

 

En l’espèce, le directeur général de l’INPI avait attribué des primes et des suppléments de traitement et des remboursements de frais en… 2011. Ces sommes pour diverses raisons n’ont pas été prescrites. Les primes et suppléments de traitement ont finalement été validés par le Conseil d’Etat (mais sur d’autres motifs que ceux retenus par la CDBF).

Mais restait la question de certains « remboursement de frais d’hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative ».

Sur ce point, la légalité des sommes versées n’était guère défendable, semble-t-il. Mais la CDBF, généreuse, avait estimé que :

« si les irrégularités affectant le règlement au secrétaire général de l’établissement de frais d’hébergement et de repas dans le ressort de sa résidence administrative étaient susceptibles d’engager la responsabilité du directeur général, les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article L. 313-6 du code des juridictions financières n’étaient pas réunis dès lors que, par un arrêt rendu par la Cour des comptes le 27 octobre 2017, la responsabilité du comptable public de l’INPI avait été mise en jeu pour les mêmes faits que ceux qui sont poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière et que, celui-ci ayant été constitué débiteur de l’INPI pour une somme correspondant aux frais de déplacement versés irrégulièrement, le préjudice financier n’était dès lors plus constitué.»

La Procureure générale de la Cour (qui est celle de la Cour des comptes) a demandé l’annulation de cet arrêt.

Bien lui en a pris puisque, sur cette question des remboursements de frais (et seulement celle-ci), l’arrêt de la CDBF a été censuré par le Conseil d’Etat, , pour erreur de droit (voir le point 8.), par le Conseil d’Etat. le principe se trouve en cette partie du point 7 de la décision de la Haute Assemblée :

« 7. […] Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, la circonstance que la responsabilité du comptable de la collectivité ou de l’organisme en cause ait été mise en jeu à raison des mêmes dépenses que celles reprochées à l’ordonnateur et qu’il ait été constitué débiteur de cette collectivité ou de cet organisme par le juge des comptes n’est pas de nature à effacer l’existence d’un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé. »

Donc, il y a préjudice au titre de l’infraction de l’article L. 313-6 du CJF même si la responsabilité du comptable a été mise en jeu et même si l’intégralité des sommes concernées a donné lieu, à paiement d’un débet égal à l’intégralité dudit préjudice…

L’élément qu’est le préjudice n’est pas, pour ce qui est de la responsabilité de l’ordonnateur devant la CDBF, en quelque sorte, effacé par ledit paiement par le comptable.

Source : CE, 30 décembre 2021, n° 439665, à publier aux tables du rec. 

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-12-30/439665