Ce 27 mars 2022, la circulaire n° 6338/SG relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières a été signée par Monsieur le Premier Ministre (NOR : PRMX2210514C).
Conséquence de l’offensive russe en Ukraine, le prix des matières premières, à fortiori le pétrole et le gaz ont explosé ces dernières semaines, le gouvernement a décidé d’établir un “mode d’emploi” à l’attention du monde de la commande publique (et privée) et afin de “sensibiliser les collectivités locales et leurs établissements publics aux règles relatives à l’exécution des contrats de la commande publique”.
I. La modification des contrats en cours
En premier lieu, la circulaire acte la possibilité pour les parties de modifier les contrats en cours, reprenant les articles R. 2194-5 (marchés publics) et R. 3135-5 (concessions de services publics) du Code de la Commande Publique.
« Le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. »Article R. 2194-5 du Code de la Commande Publique
Cette modification, peut atteindre jusqu’à 50% du montant du marché initial (art. R. 2194-3 du CCP) et est sans plafond pour les contrats de la commande publique conclus par des entités adjudicatrices intervenant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.
Jusque là rien de nouveau… le code de la commande publique posait déjà ces conditions.
La circulaire donne en revanche quelques exemples d’utilisation des ces articles en indiquant qu’il est possible d’y recourir lorsque la hausse des prix des matières premières a entraîné les cocontractants à :
- substituer un matériau à celui prévu initialement et devenu introuvable ou trop cher,
- modifier les quantités ou le périmètre des prestations à fournir,
- aménager les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par cette situation.
II. L’application de la théorie de l’imprévision
La circulaire consacre pas mal de développements à la (fameuse) théorie de l’imprévision et son application aux contrats administratifs.
Elle exclut d’office la caractérisation de « force majeure » pour ce qui est une augmentation des prix des matières premières, car, si tel avait été le cas, la théorie de l’imprévision aurait été vidée de toute sa substance.
« L’augmentation des prix ne conduit pas, en elle-même, à une situation de force majeure permettant au titulaire de se soustraire à ses obligations contractuelles. L’idée d’une « force majeure financière » serait d’ailleurs incompatible avec la théorie de l’imprévision, conçue précisément pour assurer la continuité du service public en assurant le titulaire que les conséquences du bouleversement de l’économie du contrat seront, pour l’essentiel, prises en charge par l’administration. » (point 3 de la circulaire)
Il est toujours bon de rappeler le triple critère constituant ce qu’en commande publique est une imprévision (3° de l’article L. 6 du Code de la Commande Publique) et donne droit à une indemnité au titulaire du contrat
- un évènement imprévisible
- qui est indépendant de l’action du cocontractant et qui
- entraîne un bouleversement de l’économie du contrat.
Les deux premiers critères étant aisément rempli par les circonstances actuelles (en tout cas pour les contrats conclus avant la crise de la hausse des prix) , il convient de se pencher sur le troisième : dans quelle situation sommes nous en présence d’un bouleversement de l’équilibre du contrat ?
Provenant de la célèbre jurisprudence (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n°59928). Ce critère doit être examiné cas par cas pour déterminer s’il présente « un déficit suffisamment important et non un simple manque à gagner » (mots de la circulaire)
C’est au titulaire du contrat de déterminer et de justifier (preuves à l’appui) les charges extracontractuelles auxquelles il doit faire face, et ce, en comparant son prix de revient et sa marge bénéficiaire au moment où il a remis son offre, et ses débours au cours de l’exécution du marché.
Dès lors la circulaire reprend les ordres de grandeurs établis par la jurisprudence en ce domaine : la condition d’établissement d’un « bouleversement dans l’équilibre du marché » est valable pour une augmentation du coût d’exécution de 7% pour le titulaire (CAA Marseille, 17 janvier 2008, Société Altagna, n° 05MA00492), mais pas pour une augmentation de 3% de ces coûts (CE 30 novembre 1990, Société Coignet entreprise, n° 53636).
Néanmoins, elle va jusqu’à affirmer que la condition du bouleversement de l’économie du contrat n’est
“en principe, considérée comme remplie que lorsque les charges extracontractuelles ont atteint environ un quinzième du montant initial HT du marché ou de la tranche”
Néanmoins, il nous semble qu’il serait beaucoup plus prudent, pour les acheteurs publics, de ne pas avoir en tête un pourcentage fixe mais d’estimer au cas par cas en sachant que le juge examinera, le cas échéant, également au cas par cas si bouleversement il y a…
Concernant le montant de l’indemnisation, la circulaire indique que l’administration ne doit pas la supporter intégralement. Néanmoins, elle s’aventure encore une fois à donner des pourcentages qui nous semblent devoir être appréciés de manière prudente.
Elle recommande enfin une formalisation de l’indemnisation par convention liée au contrat et non par avenant.
III. Gel des pénalités
A l’instar de la circulaire “covid“, la circulaire du 30 mars dernier invite à “une suspension” des pénalités tant que l’approvisionnement “dans des conditions normales” est impossible…
Nous supposons que cette incitation vise à améliorer la trésorerie des entreprises mais gare à la non application des pénalités in fine qui peut, dans certains cas, être considérée comme une libéralité accordée aux entreprises répréhensible même pénalement (CE, 19 mars 1971, Sieur Mergui, requête n° 79962).
IV. Insertion d’une clause de révision des prix
La circulaire fait état de la situation où les parties sont exposées à « des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la durée d’exécution des prestations ». Elle préconise l’ajout d’une clause de révision des prix indiquant au moins une référence aux indices officiels pour les marchés d’une durée d’exécution de plus de 3 mois.
V. Concernant les contrats privés
Enfin, la circulaire applique les conséquences de la théorie de l’imprévision dans les contrats privés. Celle-ci ayant été prévue par l’article 1195 du Code Civil pour tous les contrats conclus depuis 2016, il s’agira pour les parties de re-négocier leur contrat par une modification ou une résiliation par le juge .