Urbanisme : le juge laisse un peu la bride sur le cou de l’administration lorsque celle-ci décide d’accorder, ou non, une dérogation

Urbanisme : l’autorité administrative dispose d’une assez grande marge de manoeuvre lorsqu’elle décide de ne pas exercer sa faculté d’accorder ou d’imposer une dérogation. En effet, en ce domaine, le Conseil d’Etat vient de poser que le juge n’exerce, au stade du « contrôle des motifs » qu’un contrôle restreint, limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. 

 


 

Une société avait demandé à un TA d’annuler pour excès de pouvoir un arrêté par lequel un maire avait refusé de lui délivrer un permis de construire un immeuble de quarante-sept logements, dont quinze logements sociaux, après démolition des bâtis existants.

A hauteur d’appel, cette société a obtenu un arrêt en sa faveur. Pour juger que le maire avait fait une inexacte application des dispositions du PLU  en les regardant comme méconnues par le projet, la CAA avait  estimé que l’implantation de la construction projetée eût pu donner lieu à dérogation prévue au PLU, surtout en l’espèce en raison de faible ampleur de ladite dérogation requise.

Sur le fond des critères appliqués au titre de cette dérogation, le Conseil d’Etat a censuré la CAA.

Mais, surtout, il a posé cet intéressant principe fixant ce qu’est l’étendue du contrôle du juge en ce domaine, et donc a contrario la marge d’appréciation de l’autorité administrative :

« 4. D’autre part, lorsque l’autorité administrative compétente, se prononçant sur une demande d’autorisation d’urbanisme, ne fait pas usage d’une faculté qui lui est ouverte par le règlement d’un plan local d’urbanisme d’accorder ou d’imposer l’application d’une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s’assurer que l’autorité administrative n’a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d’erreur manifeste d’appréciation.»

… ce qui est assez logique puisqu’on retrouve le même contrôle restreint, celui de l’erreur manifeste d’appréciation (EMA), lorsqu’il s’agit d’accorder une telle dérogation (CE, S., du 4 octobre 1974, 86957, publié au rec.).

On rappellera que bien sûr de telles dérogations, qu’il s’agisse donc de les accorder ou non, devra aussi respecter le principe d’égalité, mais en urbanisme, des différences de situation fondant des différences de traitement à l’aune de ce principe, sont plus aisées à trouver pour l’administration que dans d’autres domaines…

Source : Conseil d’État, 12 mai 2022, n° 453502, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

Compléments sur ce qu’est l’EMA : Des générations d’étudiants en droit ont ânonné les divers types de contrôles des motifs opérées par le juge administratif.
Ce que l’on appelle souvent le « contrôle des motifs », pour reprendre l’expression usuelle forgée par le professeur Léon Michoud  (voir ici) au début du XXe siècle (Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration, R.G.A, 1914, T. 3, p. 9 ; voir aussi R. Bonnard :«le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir», RDP, 1923, p. 363 à 392) porte sur le contrôle de la pertinence même, en opportunité, d’une décision administrative (contrôle de proportionnalité en matière de police administrative ; de coût bilan -avantages en aménagement, de l’erreur manifeste d’appréciation [EMA] en cas de contrôle restreint…).
Bref, la compétence, les vices de forme ou de procédure, l’erreur de droit ou de fait, la violation directe de la loi, le détournement de pouvoir… constituent des contrôles juridictionnels très… très juridiques. Il y a une norme juridique. On vérifie que l’on a une application du droit conforme à la norme. Point.
Et le contrôle des motifs se rapproche plus du contrôle, plus ou moins approfondi, de la pertinence de cette action, de son opportunité.
En contrôle restreint, ce qui est censuré, alors, c’est l’erreur manifeste d’appréciation (EMA). Je vulgarise toujours cette notion en posant qu’une EMA, c’est une immense plantade dans la pertinence même de la solution administrative retenue.
Toujours plus délicat, voire cursif, dans ses expressions, le Conseil d’Etat préfère y voir un cas où « l’administration s’est trompée grossièrement dans l’appréciation des faits qui ont motivé sa décision » (voir ici). Mais le juge fait parfois de l’EMA dans des domaines fort contestables (voir ici pour un cas caricatural).