Après les campagnes électorales de 2022, l’ARCOM a rendu un rapport qui formule d’intéressantes proposition d’évolution de notre droit en matière de communication pendant les périodes pré-électorales nationales.
Certaines, relevant de décisions de l’ARCOM elle-même, annoncent sans guère de doute le futur droit applicable en la matière. Parfois, même, il ne s’agit sans doute que de recommandations (notamment pour les plate-formes). D’autres propositions seront à méditer par les pouvoirs réglementaire national et, surtout, législatif, d’autant que ces propositions me semblent, pour nombre d’entre elles, de bon sens.
NB : rappelons que l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a été créée par la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 par fusion du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).
Voici ces propositions ainsi formulées par l’ARCOM dans son rapport sur les élections de 2022 :
« Médias audiovisuels
N° 1 (Gouvernement) : faire coïncider l’entrée en vigueur de la recommandation avec l’ouverture de la période de recueil des parrainages.
La compétence de l’Arcom issue de la loi du 30 septembre 1986 en matière de contrôle du pluralisme lui offre une marge d’appréciation importante pour déterminer, sous réserve de l’appréciation du Conseil constitutionnel, la date d’entrée en vigueur de sa recommandation en vue de l’élection présidentielle. Celle-ci a le plus souvent été fixée au 1er janvier de l’année considérée. Cette pratique a néanmoins connu des exceptions. Ainsi, le CSA avait retenu le 1er décembre 2006 en vue du scrutin de 2007 et le 1er février 2017 en vue du scrutin de la même année.
Dans un souci de cohérence avec le calendrier des opérations électorales et de facilitation du travail des éditeurs, notamment en raison du grand nombre de candidats déclarés ou présumés aspirant à ce stade de la campagne à concourir à l’élection, il pourrait être envisagé de fixer l’entrée en vigueur de la recommandation à la date d’ouverture de la période de recueil des parrainages des candidats, à savoir, en application du II de l’article 2 du décret du 8 mars 2001 précité, le jour de la publication du décret de convocation des électeurs.
Cette évolution nécessiterait toutefois que le décret du 8 mars 2001 soit modifié de manière à ce que le jour à compter duquel s’ouvre la période de recueil des parrainages corresponde à une date fixe, connue à l’avance (par exemple, le Xème lundi précédant la date limite de réception par le Conseil constitutionnel des parrainages).
N° 2 (Arcom) : dissocier le temps de parole du temps d’antenne.
L’appréciation du respect des principes d’équité et d’égalité par l’Arcom porte, d’une part, sur le temps de parole des candidats et de leurs soutiens et, d’autre part, sur le temps d’antenne de ces mêmes candidats et soutiens. Le temps d’antenne est l’addition du temps de parole des candidats, des interventions de soutien à leur candidature et de l’ensemble des commentaires et séquences qui leur sont consacrées, dès lors qu’ils ne leur sont pas explicitement défavorables.
Cette imbrication est souvent source de confusion pour le public et les observateurs et de difficultés pour les éditeurs.
Dans un souci de clarification, l’Arcom pourrait modifier sa recommandation afin de dissocier, à l’avenir, le temps de parole, qui est le temps pendant lequel un candidat ou ses soutiens s’expriment, du temps éditorial, qui représente l’ensemble des séquences consacrées à un candidat.
N° 3 (Arcom) : réserver la prise en compte du temps d’antenne à la deuxième période et à la troisième période qui correspond à la campagne électorale.
L’Arcom pourrait modifier sa recommandation afin de ne plus demander aux éditeurs de décompter le temps éditorial depuis l’entrée en vigueur de cette recommandation jusqu’à la veille de la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel, période pendant laquelle le principe d’équité s’applique entre les candidats déclarés ou présumés.
« N° 4(Arcom) : réexaminer les modalités d’application des dispositions garantissant des conditions de programmation comparables aux candidats.
L’Arcom se propose de réexaminer les modalités d’application des dispositions relatives aux « conditions de programmation comparables » telles que prévues au I bis de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Consciente des difficultés rencontrées par les éditeurs pour respecter les principes d’équité et d’égalité dans le cadre de quatre tranches horaires (0h-6h ; 6h- 9h ; 9h- 18h ; 18h-24h) pendant la deuxième période et la campagne électorale, l’Arcom recherchera les moyens d’en assouplir les contraintes.
Cette proposition doit être soumise à l’appréciation du Conseil constitutionnel.
N° 5 (Arcom) : généraliser l’accessibilité en langue des signes des émissions des campagnes audiovisuelles officielles nationales
La mise en œuvre d’une accessibilité renforcée au cours de la campagne audiovisuelle officielle du Président de la République puis lors des élections législatives a permis aux personnes sourdes ou malentendantes d’avoir accès en langue des signes à la totalité des spots diffusés à la télévision. Les candidats et partis politiques ont pleinement et rapidement intégré ce dispositif dans la réalisation de leurs émissions.
L’Arcom propose de généraliser cette possibilité à l’ensemble des scrutins nationaux à venir au cours desquels une campagne audiovisuelle est organisée, dès les élections européennes prévues en 2024.
N° 6 (Parlement et Gouvernement) : assouplir les conditions d’organisation de la campagne audiovisuelle officielle prévues lors des élections législatives
1. Lescontraintesliéesaucalendrierdesopérationsélectorales
Le calendrier d’organisation de la campagne officielle audiovisuelle arrêté par le pouvoir réglementaire sur le fondement de l’article L. 167-1 du code électoral s’est avéré contraint.
Les présidents des groupes de l’Assemblée nationale devaient communiquer à l’Arcom, entre le 19 et le 25 mai, 18 heures, le temps qu’ils souhaitaient voir attribuer à leurs groupes respectifs, en application de l’alinéa 2 de l’article R. 103-2 du code électoral. Certains groupes ont transmis cette information à l’Arcom le 25 mai à 12h, soit quelques heures avant la fin du délai fixé. De plus, le mercredi 25 mai, le ministère de l’intérieur a habilité un parti politique supplémentaire à bénéficier des émissions de la campagne officielle, qu’il a fallu prendre en compte en urgence dans la répartition des temps d’antenne.
Ainsi, l’Arcom n’a disposé que de quelques heures pour attribuer les durées d’émission prévues par l’article L. 167-1 du code électoral et, en particulier, pour statuer sur la répartition des durées supplémentaires prévue au IV de cet article.
L’Autorité a ensuite procédé, le même jour à partir de 20h15, aux opérations de tirage au sort pour fixer les dates et l’ordre de passage des émissions. Les partis et groupements politiques ont donc eu communication des durées, dates et ordres de passage de leurs émissions dans la soirée du 25 mai. Ils ont débuté les tournages des spots dès le 26 mai afin qu’ils soient prêts à être diffusés au début de la période prévue à cet effet.
Ces délais contraints ont pu susciter l’incompréhension de certains représentants de partis et groupements politiques, qui n’ont disposé que de très peu de temps pour préparer leurs modules en raison de leurs autres contraintes d’agendas (réunions politiques, interventions dans les médias…).
L’Arcom alerte donc les pouvoirs publics sur la nécessité d’avancer d’une semaine l’ensemble des échéances fixées par le code électoral pour que les opérations de production des émissions puissent se dérouler dans de meilleures conditions pour les partis et groupements politiques et pour France Télévisions.
2- L’adaptation par l’Arcom des modalités de répartition de la durée supplémentaire compensatrice
Le paragraphe IV de l’article L. 167-1 s’avère particulièrement complexe à mettre en œuvre. Il est apparu en effet que la compensation d’une heure prévue par les textes s’avérait insuffisante pour permettre une exposition de certaines formations politiques conforme à leur représentativité.
Un mécanisme plus adapté à la vie politique et parlementaire pourrait être institué par le législateur, qui permettrait à l’Arcom de déterminer elle-même la durée supplémentaire à répartir pour cette 3ème fraction. Ainsi, la compensation attribuée aux formations politiques ne serait pas sous-évaluée et éviterait d’aboutir à l’attribution de durées trop limitées au regard de la participation de ces partis à la vie démocratique de la Nation.
Plateformes en ligne
No 7 (Arcom) : rendre plus lisible pour les opérateurs le rôle des différentes autorités publiques en charge du contrôle du bon déroulement des scrutins.
Pour mieux prévenir les éventuels risques liés à l’usage des plateformes en ligne en période électorale, il est essentiel que le rôle respectif des différentes autorités publiques en charge de la régulation et du contrôle (CNCCEP, CNIL, Arcom, Conseil Constitutionnel, Viginum) soit clairement identifié, et la collaboration de ces instances avec les plateformes renforcée. Les plateformes auront ainsi une meilleure compréhension des obligations qui leur incombent.
No 8 (plateformes) : mettre systématiquement en place un point de contact chez les opérateurs de plateforme en période électorale.
Lors de deux réunions tenues en janvier et mai 2022, l’Arcom a invité les opérateurs à mettre en place un interlocuteur unique des pouvoirs publics, équipes de campagne et partis politiques. Néanmoins, l’Autorité a constaté que certains opérateurs n’avaient pas pris contact ni établi de canaux de communication avec les équipes de campagne en amont de l’élection présidentielle.
No 9 (plateformes) : mettre à disposition des candidats, équipes de campagne et soutiens des kits de communication permettant une meilleure compréhension des règles de fonctionnement de leur service en période électorale
Les plateformes ont pu observer plusieurs pratiques des candidats, équipes de campagne ou soutiens qui contrevenaient à leurs règles d’utilisation ou au droit applicable. Comme ont pu le faire certains opérateurs, il semble primordial que toutes les plateformes rendent accessibles et de façon claire dans des espaces dédiés les ressources permettant de sensibiliser ces acteurs afin de prévenir tout éventuel litige, notamment en matière de respect du droit de la propriété intellectuelle.
No 10 (plateformes) : favoriser une meilleure coopération entre les opérateurs de plateforme en ligne et entre ces opérateurs et la société civile.
Dans la continuité de ses bilans annuels sur la lutte contre manipulation de l’information, l’Arcom encourage les opérateurs à coopérer afin de partager, en lien avec le régulateur, l’identification de tendances ou pratiques problématiques susceptibles de se propager d’un service à l’autre. Il convient de noter que le code européen de bonnes pratiques contre la désinformation engage ses signataires à une coopération plus étroite face aux pratiques de manipulation identifiées.
Par ailleurs, plusieurs organismes de recherche ou médias ont fait état de leur incapacité à informer les opérateurs en temps réel de contenus problématiques qu’ils avaient pu identifier sur leurs plateformes en ligne. Il est donc indispensable que les opérateurs établissent suffisamment en amont des échéances électorales des canaux d’échange avec la société civile.
No 11 (plateformes) : clarifier auprès des utilisateurs et notamment des influenceurs, les règles spécifiques applicables pendant les périodes électorales sur la plateforme.
Les opérateurs ont indiqué ne pas avoir nécessairement anticipé l’étendue de certaines obligations en matière de propagande électorale, notamment celles relatives aux articles L. 49 et L. 52-2 du code électoral. En outre, si la veille réalisée par la CNCCEP a pu permettre d’identifier des contenus illicites de certains influenceurs durant l’élection présidentielle, l’absence d’une instance équivalente compétente pour les élections législatives (et partant pour les autres scrutins) doit conduire les opérateurs à communiquer eux-mêmes sur les conditions d’application des règles électorales sur leurs services.
Voici ce très intéressant rapport de 113 pages :
Voir aussi :
- Données à fournir par les radios et télévisions : l’ARCOM est fondée, en droit, à privilégier une vision large de la notion de « personnalités politiques »
- Plaidoyer pour un régime unifié entre les nuances d’expressions partisanes dans les médias et les nuances utilisées dans les annonces des résultats, confié à l’ARCOM [bis repetita]
- Affaire CNews/ Eric Zemmour : le Conseil d’Etat confirme que c’est aux télévisions de tenir leurs chroniqueurs, lesquels ne sont pas recevables à être parties à l’instance en cas de sanction de l’Arcom
- L’organisation et le fonctionnement de l’ARCOM, au JO de ce matin
- Future campagne pour l’élection présidentielle dans les médias : l’ARCOM pose les règles du jeu
- Calendrier de diffusion des émissions attribuées aux formations politiques représentées par un groupe parlementaire
- Législatives : quelles formations politiques pourront-elles participer aux émissions du service public de l’audiovisuel ? [suite]
- Election présidentielle : peut-on exclure les « petits » candidats des débats télévisés ?
- etc.
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