Les « actes de Gouvernement », en droit administratif, sont des actes qui échappent à tout recours contentieux en annulation ou en indemnisation, car ils touchent soit aux rapports entre pouvoirs constitutionnels de notre Pays, soit à des agissements qui ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.
Sources : CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, rec. 155 ; CE, 26 novembre 2012, Krikorian, n°350492… pour un cas classique, voir CE, 2 février 2016, Lecuyer, n° 387931…
Et pour ceux qui s’indigneraient (c’est très à la mode de s’indigner de tout… même et surtout de ce qui est juste normal) de cette jurisprudence, on rappellera que c’est la base de la séparation des pouvoirs que de ne pas laisser les uns empiéter sur les attributions des autres en principe….
Et il serait dangereux que le juge puisse s’immiscer (plus encore) dans le fonctionnement des institutions politiques, entre elles, de notre Nation. Voir d’ailleurs :
Assez récemment, cette notion qui ne faisait parler d’elle que de loin en loin mais depuis 5 bonnes années, les illustrations ne manquent ni de sel ni d’échos ;
- Voir surtout : La notion « d’acte de gouvernement » (lato sensu) est en grande forme (CE, 3 octobre 2018, n° 410611 et CE Ass., 12 octobre 2018, n°408567) … puisque
- dans la 1e de ces deux décisions, l’acte de Gouvernement était brandi et accepté par le juge pour justifier que l’Etat n’indemnise pas les familles de harkis massacrés en Algérie en 1961-62 sans être, en raison d’ordres exprès, secourus par l’armée française. … Il y avait donc là une appréciation fort large des relations internationales (puisque l’Etat Algérien n’existait pas encore du point de vue du droit français) et au moins pour une période, celle d’avant l’indépendance algérienne, nous étions dans une opération interne de maintien de l’ordre (ou de guerre peu importe sur ce point) qu’il a été fort audacieux de la part du Conseil d’Etat de faire rentrer dans une questions de relations internationales (c’est même scandaleux)
- dans la seconde de ces deux décisions, le Conseil d’Etat faisait briller tous les ors de sa prestigieuse formation d’Assemblée afin, de nouveau, d’affirmer son auto-censure, ou auto-limitation, vis-à-vis des décisions qui pourraient de loin ressembler à un acte de Gouvernement, échappant au contrôle du juge administratif.
La question posée était : le juge administratif est-il compétent pour se prononcer sur la validité d’une réserve formulée par la France lors de la ratification d’un traité international et, plus particulièrement, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de l’un de ses protocoles (en l’espèce, réserve à l’article 4 du protocole n° 7 sur le non bis in idem).
La réponse vient encore au profit de l’acte de Gouvernement, au nom d’une vision fort large de l’article 55 de la Constitution…
- Idem avons nous eu une application des actes de Gouvernement sur la questions des emprunts russes avec une décision bien plus logique et équilibrée quant à elle (TC, 11 mars 2019, Mme R…, épouse D… c/ Agent judiciaire de l’Etat, n° 4153, B. (Emprunts russes : responsabilité pour faute de l’Etat français, NON. Responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques, OUI. ).
- plus amusant : la Haute Assemblée était plus récemment, s’agissant de la nomination de l’actuel Garde des Sceaux, que… Une nomination au Gouvernement… est un acte de Gouvernement. CQFD ! (CE, 3 août 2021, n° 443899).
Cette décision était amusante car nul ne pouvait douter de son irrecevabilité (mais ce semble être à la mode ces temps-ci de faire des recours que l’on sait devoir être irrecevables ; pour un cas hallucinant au regard des règles déontologiques pesant sur les avocats, voir ici)… au point que l’on ne peut que s’étonner que la pusillanimité des juges administratifs en matière d’amendes pour recours abusifs. Oui un REP peut être un recours abusif dans la pratique médiatico-contentieuse d’aujourd’hui…
Plus douloureuse , ô combien, est la question qui fut traitée par le Palais Royal hier.
Quatre ressortissants afghans, dont trois bénéficient de la protection subsidiaire et un a la qualité de réfugié, ont saisi le Conseil d’État en référé pour obtenir, au titre de la réunification familiale, le rapatriement par le Gouvernement français de leurs familles, grâce au pont aérien mis en place par l’armée française depuis l’aéroport de Kaboul.
Les autorités françaises sont en mesure d’assurer deux vols par jour, chacun pouvant transporter 250 personnes. L’organisation de telles opérations d’évacuation à partir d’un territoire étranger n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. La juridiction administrative n’est donc pas compétente pour ordonner que le dispositif mis en place soit modifié ou complété.
Les requérants demandaient également que la procédure d’instruction et de délivrance de visas, au titre de la réunification familiale, soit adaptée pour permettre aux familles de bénéficier sans délai de leur droit au regroupement familial.
Il ressort des échanges lors de l’audience que depuis le 15 août 2021 les personnes présentes à l’intérieur de la zone dédiée à la France dans l’enceinte de l’aéroport de Kaboul et éligibles à la réunification familiale, qu’elles soient ou non munies d’un visa, ont vocation à être prises en charge, par l’armée française, dans la mesure des capacités aériennes disponibles et ce tant que la situation locale permet la poursuite des opérations d’évacuation. Le juge des référés observe donc que dans la situation actuelle, la prise de nouvelles mesures pour faciliter l’obtention d’un visa serait sans conséquence sur l’exercice du droit des requérants à la réunification familiale.
Citons une partie du point 6 de cette ordonnance :
« Il résulte de l’instruction que, dans ce cadre, les autorités françaises sont en mesure d’assurer deux vols par jour, chacun pouvant transporter 250 personnes. L’organisation de telles opérations d’évacuation à partir d’un territoire étranger et de rapatriement vers la France n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. Par suite, la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître des demandes tendant à ce que le dispositif de rapatriement soit complété et à ce que des rapatriements soient ordonnés, alors même qu’est en cause l’évacuation de ressortissants afghans ayant vocation à bénéficier des dispositions»
… en droit, difficile de ne pas y voir un acte de Gouvernement en effet, quelque dramatique que la situation de ces personnes puisse être.
Précisons que l’auteur de ces lignes, à titre personnel, pense que ne pas rapatrier ceux qui en Afghanistan ont aidé l’armée française est un crime, quitte à instaurer dans certains cas un très strict contrôle de certains de ceux-ci. Mais ce n’est pas pour cela que le juge administratif était compétent sur ce point…
La suite est plus subtile mais non sans logique (on ne va pas imposer en référé liberté des délivrances de visa alors que les opérations d’évacuation se font sans visa… pour le point 8 ; et pour le point 9 on revient aux actes de Gouvernement car nul doute que ce serait un acte de Gouvernement que d’envoyer nos soldats au delà des périmètres plus ou moins sécurisés… là encore le coeur saigne mais difficile de dire autre chose en droit) :
« 7. En revanche, leurs conclusions tendant à ce qu’il soit ordonné au ministre des affaires étrangères et au ministère de l’intérieur de prendre, en urgence, les mesures permettant aux ressortissants afghans pouvant bénéficier d’une réunification familiale de faire valoir leur droit par la délivrance d’un visa ou de toute autre mesure équivalente, ne peuvent être regardées comme échappant à la compétence que le juge des référés du Conseil d’Etat tient des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
« 8. L’activité du poste consulaire de Kaboul ayant cessé, et les demandes de visa ne pouvant être présentées par des ressortissants afghans, en l’état de la réglementation, que devant les postes consulaires de Téhéran et New Dehli, les requérants demandent, à cet effet, une adaptation de la procédure d’instruction et de délivrance des visas sollicités au titre de la réunification familiale pour permettre aux membres de leurs familles de bénéficier du pont aérien et des rotations organisées pour l’évacuation de ressortissants afghans vers la France. Il résulte toutefois de l’instruction et des échanges à l’audience que, dans le contexte prévalant depuis le 15 août 2021 à Kaboul, la détention d’un visa d’entrée en France n’est pas requise pour prétendre au bénéficie de ces opérations d’évacuation. Les personnes présentes à l’intérieur de la zone dédiée à la France dans l’enceinte de l’aéroport de Kaboul et éligibles à la réunification familiale, qu’elles soient ou non munies d’un visa, ont ainsi vocation à être prises en charge par les moyens militaires français, dans la mesure de leur disponibilité, en vue d’un transfert vers le territoire national, tant que la situation locale permet la poursuite de ces opérations. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, le défaut de délivrance de visas apparaît sans incidence, dans l’immédiat, sur l’exercice du droit des requérants à bénéficier de la réunification de leur famille. Par suite, les conclusions tendant à l’adaptation de la procédure de vérification des documents démontrant la réalité des liens familiaux en vue de la délivrance de visas ne peuvent qu’être rejetées.
« 9. Si les requérants demandent également qu’il soit enjoint aux autorités françaises à Kaboul de faire en sorte que les conjoints et enfants des ressortissants afghans titulaires du droit à réunification familiale qui parviennent aux abords de l’aéroport de Kaboul puissent y accéder, ces conclusions ont trait à l’organisation de l’évacuation de ressortissants afghans depuis l’aéroport de Kaboul qui, ainsi qu’il a été dit au point 6, relève de la conduite des relations internationales de la France, et ne ressortissent donc pas de la compétence du juge administratif. En tout état de cause, il résulte de l’instruction que les personnes qui se sont manifestées au préalable auprès de l’ambassade ou du centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères reçoivent, dans la mesure du possible, un SMS et, si elles se présentent à l’un des points d’accès à l’aéroport, doivent tenter de se signaler aux autorités françaises selon les indications qui leur ont été données. Dans ce contexte, qui a déjà donné lieu à 160 000 saisines par courriel ou par téléphone du centre de crise et de soutien, il ne résulte pas de l’instruction que les autorités françaises, en métropole ou sur place, n’auraient pas accompli, à la date de la présence ordonnance, les diligences qui leur incombent. »
Pour ces raisons, le juge des référés rejette les demandes des requérants.
Voici la décision rendue :
CE, ord., 25 août 2021, 455744-455745-455746