La Métropole du Grand Paris (MGP) est un géant. Mais un géant dans son enfance, que l’on a doté de peu de moyens et d’une architecture complexe.
Cela fait des années que plusieurs scénarios sont sur la table, et en 2017, puis 2018, puis 2019-2020, des réformes imminentes ont été attendues, puis reportées, etc. Les hypothèses de travail sont usuellement :
- 1. la suppression des EPT et l’absorption de leurs compétences et ressources par la MGP,
- 2. OU l’instauration d’une métropole façon syndicat mixte un peu affaibli dont les membres seraient la Ville de Paris et les EPT dotés du statut d’EPCI à fiscalité propre
- 3. OU une métropole composée des départements de la petite couronne, qui absorberait les compétences des EPT
- 4. OU la suppression de la MGP avec transformation des EPT en EPCI à fiscalité propre (scénario proche du 2. donc mais avec un éclatement encore plus net du territoire, quitte à faire intervenir la région dans certains sous scénarios ?).
Les scénarios 1., 2. et 4. sont les plus fréquemment évoqués. Le 3. le fut beaucoup il y a quelques années, moins ces temps-ci.
Voir :
- Le Grand Paris brûle-t-il ? (suite et pas fin)
- Le Grand Paris s’étendra-t-il jusqu’au Havre ?
- Paris : les arrondissements ne tournent pas rond… mais en rond, selon la CRC
- Dans les communes de la Métropole du Grand Paris, qui devra-t-on mettre dans la partie de droite des bulletins de vote ? Les personnes appelées à siéger à l’EPT ? ou celles appelées à siéger à la MGP ?
- Grand Paris : mais si… mais si… les EPT vont « récupérer » toutes les opérations d’aménagement (non métropolitaines) au 1er janvier 2018
- Inégalité de traitement dans le calcul de la dotation d’équilibre versée à la métropole du Grand Paris : le « oui mais » du Conseil constitutionnel
- Dans les EPT du Grand Paris, l’enveloppe globale des indemnités de fonctions applicable aux élus d’un établissement public territorial concerne le président et les vice-présidents, mais pas les indemnités prévues pour les conseillers, lesquelles, dès lors, s’ajoutent à ce montant.
- etc.
La Cour des comptes vient de rendre un rapport qui ne surprendra personne mais qui présente l’immense avantage de remettre l’Eglise au milieu du village, la Cathédrale de Paris au coeur de l’agglomération et le bazar institutionnel créé pour la MGP au centre des préoccupations.
Voici la présentation faite par la Cour des comptes de son étude :
« La Métropole du Grand Paris (MGP) regroupe 130 communes et la Ville de Paris, soit une population totale de plus de sept millions d’habitants. Le rapport publié ce jour par la Cour des comptes rappelle d’abord que la création de la MGP est le fruit d’une réforme ambitieuse engagée initialement pour remédier aux graves déséquilibres du territoire métropolitain. Cependant, après six ans d’existence, la métropole peine à s’affirmer dans l’exercice de ses missions les plus stratégiques. Depuis l’origine, sa capacité d’action est entravée par la complexité de son organisation institutionnelle et financière. Ce rapport s’efforce de tracer des perspectives de réforme visant à doter le Grand Paris d’institutions aptes à mener des politiques publiques à la hauteur des enjeux métropolitains.
Les missions de la MGP : une mise en œuvre insuffisante
Dotée d’une économie riche et puissante, la Métropole du Grand Paris regroupe la majorité des pôles économiques franciliens, notamment dans sa partie occidentale. Sa population connaît cependant d’importantes inégalités de revenus, de pauvreté ou de mal-logement : on y trouve le département où les revenus des ménages sont les plus faibles (Seine-Saint-Denis) et les deux départements (Paris, Hauts-de-Seine) où ils sont les plus élevés. Pour rééquilibrer le développement de son territoire, la loi a donné à la MGP des compétences obligatoires dans quatre grands domaines : l’aménagement de l’espace métropolitain, la politique locale de l’habitat, le développement et l’aménagement économique et socio-culturel, ainsi que la protection et la mise en valeur de l’environnement et la politique du cadre de vie. La Cour constate cependant que la MGP n’exerce pas pleinement l’ensemble de ces responsabilités.
L’organisation métropolitaine inadaptée à l’affirmation du rôle stratégique de la MGP
L’organisation territoriale de métropole du Grand Paris est le résultat d’un difficile compromis obtenu au sein du Parlement en faveur d’un système institutionnel singulier au regard des autres métropoles. Ainsi, la MGP résulte d’une organisation non pyramidale sur trois niveaux : chaque commune est membre à la fois de la MGP et d’un établissement public territorial (EPT), qui n’ont pas de relations institutionnelles entre eux. En comptant la région et les départements, ce territoire est couvert par au moins cinq niveaux différents d’administration locale, sans compter plusieurs grands syndicats mixtes ou intercommunaux.
Du fait de sa gouvernance, la MGP s’apparente à une « métropole des maires ». Siégeant à la fois au sein de la MGP et des EPT, ceux-ci sont au centre de l’organisation métropolitaine. Ce qui est paradoxal alors que les compétences majeures de la MGP concernent des domaines où les EPT sont compétents et non plus les communes. Or, le caractère très hétéroclite des communes rend difficile la construction d’une convergence des intérêts en matière d’aménagement urbain, de réponse aux besoins de logements ou de développement économique. Ainsi, la MGP n’est pas encore parvenue à arrêter son plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH). En janvier 2022, elle a enfin arrêté un projet de SCoT (schéma de cohérence territoriale) mais, selon les services de l’État, celui-ci est insuffisamment prescriptif et territorialisé.
La MGP : un « nain budgétaire »
L’organisation institutionnelle retenue par le législateur engendre des flux financiers très complexes entre les trois niveaux de l’ensemble métropolitain et créée une compréhension très difficile pour les élus comme pour les citoyens. Surtout, elle laisse à la MGP des moyens propres qui paraissent très faibles au regard de ses ressources financières. En apparence, son budget est important (3,47 Md€ en 2020), mais est en réalité, il se révèle en « trompe l’œil » : la MGP reverse la quasi-totalité de ses ressources à ses communes membres sous la forme d’attributions de compensation, tandis que « budget propre » s’établit entre 50 et 100 M€ depuis sa création.
L’instauration des EPT peu propice au développement de l’intercommunalité à l’échelle des « territoires »
Les onze EPT disposent de compétences propres qui se rapprochent de celles des communautés d’agglomération. Cependant, les transferts de compétences par les communes sont variables et souvent inaboutis. Les EPT consacrent essentiellement leurs dépenses de fonctionnement et leurs dépenses d’investissement aux services urbains (déchets, eau et assainissement), à l’aménagement, la culture, les sports et la jeunesse. Mais ils disposent d’une faible latitude pour équilibrer leurs recettes et dépenses et sont donc très dépendants de leurs communes membres qui leur versent le fonds de compensation des charges territoriales – la plus importante de leurs ressources. De surcroît, les communes ont souvent retiré aux EPT leurs rares marges de manœuvre budgétaires.
La nécessité d’une réforme progressive mais ambitieuse de l’organisation territoriale
La Cour considère qu’une réforme de l’organisation territoriale du Grand Paris s’impose. L’impuissance de la métropole et sa déconnexion avec des EPT insuffisamment intégrés retardent en effet l’engagement de politiques pourtant prioritaires pour le territoire et ses habitants, sachant que l’évolution de leurs capacités d’intervention repose à ce jour sur des ressources financières qu’ils maîtrisent peu. Le calendrier d’une telle réforme doit tenir compte de l’avancement des projets engagés, notamment par les EPT (JO 2024, Grand Paris Express). Dès lors, trois principaux scénarios demeurent : la suppression des EPT et l’absorption de leurs compétences et ressources par la MGP, l’instauration d’une métropole dont les membres seraient la Ville de Paris et les EPT dotés du statut d’EPCI à fiscalité propre ou bien une réforme plus ambitieuse consistant à instaurer une métropole composée des départements de la petite couronne, qui absorberait les compétences des EPT. »
L’institution de la rue Cambon n’a pas formalisé de recommandation précise comme il lui est coutumier. Mais les titres ci-avant qui retracent bien le contenu de ce rapport s’avèrent fort clairs quand à l’urgence de trancher, clarifier, réformer.
A noter : la Première Ministre, dans ce dernier document, accepte une grande partie des constats opérés par la Cour. Sur l’architecture institutionnelle elle-même, qui est tout de même la matrice de réponses aux autres problèmes posés, citons sa réponse :
« J’ai bien pris note des trois scénarios de réforme d’ensemble formulés par la Cour dans son rapport :
(i) Modèle Métropolis : la suppression des EPT et l’absorption de leurs compétences et ressources par la MGP qui deviendrait ainsi une métropole de droit commun ;
(ii) Modèle de la Marguerite : la MGP serait désormais composée de la Ville de Paris et d’EPT dotés du statut d’EPCI à fiscalité propre ;
(iii) Métropole réunissant les 4 départements de la zone centrale (la Ville de Paris et les trois départements de petite couronne) qui absorberaient les compétences et ressources des EPT.
Le scénario d’une transformation des EPT en EPCI à fiscalité propre, avec suppression de la MGP et création d’une région-métropole, doit également être examiné, dans la mesure où il se propose de simplifier la carte institutionnelle, et de conforter les compétences de planification du Conseil régional, en matière notamment de développement économique et d’aménagement.
La pertinence de ces options, qui pour certaines posent la question du périmètre de la métropole et du devenir des départements franciliens, nécessitera un dialogue approfondi avec les acteurs locaux et une articulation avec d’éventuelles autres réformes institutionnelles.»
On notera donc que le scénario 4. dans ma liste ci-avant, non repris par la Cour des comptes, est remis en piste par Matignon. A suivre…
Voir les documents de cette étude et ceux qui lui sont liés :
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