Exportation de matériel de guerre : le Conseil d’Etat refuse de désarmer les Gouvernements

Est un acte de gouvernement la réponse à une demande de portée générale tendant à la suspension d’autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre à destination d’un Etat étranger (incompétence du juge administratif, pouvant donner à une simple ordonnance de rejet).


 

Les « actes de Gouvernement », en droit administratif, échappent à tout recours contentieux en annulation (ou en indemnisation pour faute), car ce sont des décisions qui touchent :

• soit aux rapports entre pouvoirs constitutionnels de notre Pays (étant rappelé que d’autres Démocraties ont fait le choix inverse d’accepter des recours entre institutions publiques, y compris l’UE)

• soit à des décisions, des agissements, qui ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.

Sources : CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, rec. 155 ; CE, 26 novembre 2012, Krikorian, n°350492… pour un cas classique, voir CE, 2 février 2016, Lecuyer, n° 387931…

Récemment, les frontières de cette catégorie juridique ont connu quelques évolutions.

Exemples : CE, 3 octobre 2018, n° 410611 ; CE Ass., 12 octobre 2018, n°408567 (par analogie car nous ne sommes plus là dans l’acte de gouvernement stricto sensu) ; TC, 11 mars 2019, Mme R…, épouse D… c/ Agent judiciaire de l’Etat, n° 4153 ; CE, 3 août 2021, n° 443899 ; CE, ord., 25 août 2021, 455744-455745-455746 ; CE, 9 septembre 2020, n° 439520 ; CE, ord., 23 avril 2019, n°429668…

Voir à ce sujet cet article et, surtout, cette vidéo :

 

 

Or, voici que le Conseil d’Etat vient de rendre une intéressante et importante décision en ce domaine.

Plusieurs associations avaient (outre diverses demandes) demandé au juge administratif d’annuler la décision implicite de refus née du silence gardé pendant deux mois par le Premier ministre sur sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen.

La demande était :

« la suspension sans délai de l’ensemble des autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination de l’Arabie saoudite ».

Etait-ce un recours perdu d’avance pour cause de requalification en acte de gouvernement des décisions de ventes de matériel de guerre ? Non. Car la jurisprudence était restée assez fluctuante en ce domaine.

Sources : CE, 14 janvier 1959, Société française d’armement, n° 39107, au rec. ; CE, 29 juin 1962, n° 53929, au rec. ; CE, 19 février 1988, n° 51456, au rec. ; CE, 12 décembre 1997, n° 138310, au rec. ; CE, 12 mars 1999, n° 162131, aux tables

Face à une appréciation au cas par cas, le Conseil d’Etat a décidé de clarifier sa position en posant que :

« Le refus implicite opposé à cette demande de portée générale n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France, sans que puissent être utilement invoquées à cet égard les stipulations des articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l’article 2 de la charte des Nations-Unies et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que les dispositions des articles 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l’article L. 2335-4 du code de la défense. Dès lors, l’auteur des ordonnances attaquées, qui ne sont pas entachées de contradiction de motifs, a pu juger, sans commettre d’erreur de droit ni inexactement qualifier les faits qui lui étaient soumis, que la juridiction administrative n’était pas compétente pour connaître de la demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce refus. »

D’où la distinction suivante :

  • est un acte de gouvernement la réponse à une demande de portée générale tendant à la suspension d’autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre à destination d’un Etat étranger (incompétence du juge administratif, pouvant donner à une simple ordonnance de rejet du 2° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative).
  • possible compétence du juge administratif pour les demandes précises, mais avec sans doute à venir une appréciation au cas par cas sur ce point (la livraison de matériel, à ce jour, à l’Ukraine est sans doute un acte de Gouvernement par exemple car il s’agit d’un acte non économique mais clairement lié aux relations internationales de la France, par exemple).

 

Source :

Conseil d’État, 27 janvier 2023, n° 436098, aux tables du recueil Lebon

Voir les conclusions de Mme Céline GUIBE, Rapporteure publique: