Loi SRU : un arrêt sur le pouvoir d’appréciation du préfet pour prononcer la carence de la commune et majorer son prélèvement annuel (régime d’avant 2017) [suite et fin]

Voici qu’est rendu par la CAA de Versailles un arrêt qui marque un point final à un long contentieux, déterminant pour fixer les marges de manoeuvre  dont disposent les préfets pour prononcer la carence de la commune et majorer son prélèvement annuel… dans le régime applicable avant 2017, mais avec des leçons qui restent tout à fait pertinentes à ce jour. 

 

I. Rappels généraux

 

Le régime de la loi SRU, modification après modification, réforme après réforme, a fini par atteindre un assez haut niveau de complexité :

 

Depuis cette loi SRU de 2000, schématiquement, les communes de plus de 3500 habitants situées dans une agglomération de plus de 50 000 habitants doivent avoir un parc de logements comprenant au moins 25 % (voire 20 %) de logements sociaux.

N.B. : seuil abaissé à 1 500 habitants dans l’unité urbaine de Paris.

A défaut, elles peuvent faire l’objet de plusieurs sanctions (pénalités financières, déclaration d’état de carence de la part du représentant de l’Etat, ce qui prive la commune de certaines prérogatives en matièrere d’urbanisme, etc).

Toutefois, l’article L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que, tous les trois ans, l’Etat fixe par décret la liste des communes exemptées de ces obligations en raison des particularités de leur territoire.

NB : selon un régime modifié par la loi 3DS. 

Il est à noter qu’aujourd’hui après des réformes de 2017 (art. 97 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 ; décret n° 2017-840 du 5 mai 2017…) puis de la loi 3DS :

  • Le préfet communique chaque année à chaque commune susceptible d’être visée à l’article L. 302-5, avant le 1er septembre, les inventaires la concernant assortis du nombre de logements sociaux décomptés en application de l’article L. 302-5 sur son territoire au 1er janvier de l’année en cours, lorsque le nombre de logements sociaux décomptés représente moins que le taux mentionné à atteindre. La commune dispose de deux mois pour présenter ses observations. Après examen de ces observations, le représentant de l’Etat dans le département notifie avant le 31 décembre le nombre de logements sociaux retenus pour l’application de l’article L. 302-5 du CCH (art. L. 302-6 du CCH).
  • des régimes de dérogation existent (notamment art. L. 302-8 du CCH ; voir aussi le régime des contrat de mixité sociale de l’article L. 302-8-1 de ce code)
  • le régime de constat de carence avec ses conséquences financières reste à l’article L. 302-9-1 du CCH selon un régime rénové.

 

Voir :

 

 

II. La position du Conseil d’Etat dans cette affaire Auvers-sur-Oise, en matière de majoration des pénalités SRU, en 2022

 

Or, le Conseil d’Etat  avait rendu une décision intéressante pour ce régime tel qu’il s’appliquait avant les réformes de 2017 puis de la loi 3DS.

Il résultait des articles L. 302-5 et L. 302-7, du I de l’article L. 302-8 dans sa rédaction applicable à la période triennale 2014-2016 (régime antérieur donc), de son grand II et de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) que, lorsqu’une commune n’a pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, il appartenait au préfet, après avoir recueilli ses observations et les avis prévus au I de ce même article L. 302-9-1, d’apprécier si, compte tenu de l’écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, il y avait lieu de prononcer la carence de la commune, et, dans l’affirmative, s’il y a lieu de lui infliger une majoration du prélèvement annuel prévu à l’article L. 302-7, en en fixant alors le montant dans la limite des plafonds fixés par l’article L. 302-9-1.

Cette décision du Conseil d’Etat impose donc :

  • une analyse in concreto opérée par le Préfet :
  • selon les critères suivants :
    • écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale,
    • difficultés rencontrées le cas échéant par la commune
    • projets de logements sociaux en cours de réalisation. 

Ce régime a été modifié depuis les faits de l’espèce, mais à quelques ajustements près, les leçons de cette décision restent transposables au régime actuel. 

 

Source : Conseil d’État, 28 octobre 2022, n° 453414, aux tables du recueil Lebon

 

Voir notre article : Loi SRU : un arrêt sur le pouvoir d’appréciation du préfet pour prononcer la carence de la commune et majorer son prélèvement annuel (régime d’avant 2017)

NB : sur la prise en compte des opérations en cours, voir CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 05/04/2022, 20BX00150 (voir ici cette décision et notre article). Sur le point de savoir si en cas de carence, il est loisible d’apprécier les créations de logements sociaux en massifiant plusieurs opérations de constructions, voir CAA Bordeaux, 3 novembre 2020, n° 18BX03376.

 

 

III. Un intéressant épilogue devant la CAA de Versailles

 

 

Or, voici que la CAA de Versailles vient d’apporter une intéressante pierre à cet édifice juridique baroque intervenant sur renvoi du  Conseil d’Etat dans l’affaire n° 453414, précitée.

Par son arrêt Commune d’Auvers-sur-Oise n° 22VE02496 du 21 mars 2023, cette cour administrative d’appel a ainsi, conformément au mode d’emploi donné par le Conseil d’Etat, réduit le taux de la majoration du prélèvement sur les recettes fiscales, prévu à l’article L. 302-7 du code de l’urbanisme, pouvant légalement être appliqué par le préfet du Val d’Oise à la commune d’Auvers-sur-Oise au motif que celle-ci est «carencée».

 

A la suite de la cassation précitée, la CAA était saisie par la commune d’Auvers-sur-Oise d’une demande d’annulation d’un arrêté du préfet du Val d’Oise du 19 décembre 2017 prononçant la « carence » de la commune dans la réalisation de l’objectif triennal de construction de logements sociaux pour les années 2014 à 2016. A cette occasion la cour devait exercer son contrôle sur le taux de majoration retenu par le préfet, dans les conditions prévues par les articles L. 302-5, L. 302-7 et suivants du code de l’urbanisme, applicable au prélèvement financier obligatoire pour les communes soumises à l’obligation d’atteindre un taux les logements sociaux de 25%.  Ce prélèvement revêt le caractère d’une sanction.

Dans le cas de la commune d’Auvers-sur-Oise, le préfet avait fixé ce taux de majoration à 300%, multipliant ainsi par 4 le montant du prélèvement financier obligatoire.

La cour a estimé que ce taux était disproportionné au regard des particularités de la commune d’Auvers-sur-Oise, notamment de l’existence de plans de prévention des risques naturels et d’inondation.

Les contraintes objectives qui s’imposent à la commune ont pour effet de restreindre quasiment de moitié la surface de terrain constructible, de ralentir les projets de construction par des études géologiques nécessaires et de surenchérir ainsi le coût des opérations immobilières, devenant ainsi moins attractives pour les bailleurs sociaux.

Dans ces conditions, la cour a réduit le taux de majoration de 300 à 150 % afin qu’il soit tenu compte de ces contraintes objectives.

 

 

Source :

CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 21/03/2023, 22VE02496