Si une commune (Neuilly-sur-Seine en l’espèce) se trouve dotée d’un prix du foncier très élevé et s’avère dépourvue de zones constructibles… au point par exemple de ne pas arriver à user de son droit de préemption… cette commune peut-elle bénéficier d’une révision à la baisse de ses objectifs de logements sociaux en cas de carence desdits logements sociaux, dans l’application de la loi SRU (art. 55 ; art. L.302-8, VII, du Code de la construction et de l’habitation) ?
OUI avait répondu la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles, et ce dans le cadre d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation exercé par ledit juge. En l’espèce, les efforts déployés de manière visible par cette commune avaient nettement joué devant ladite CAA…
Voir CAA Versailles, 20 juin 2019, 17VE02936 ; voir l’arrêt et notre commentaire d’alors ici.
OUI MAIS DANS LE CADRE D’UN CONTRÔLE STRICT (et, surtout, d’un « CONTROLE NORMAL ») vient de répliquer le Conseil d’Etat, censurant ce qu’avait été la position de la CAA.
Il résulte de l’article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) que, lorsque, pour une commune n’ayant pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, la commission départementale estime que l’absence d’atteinte des objectifs s’explique par des raisons objectives et que la commission nationale, saisie par la commission départementale, estime à son tour que cette absence d’atteinte s’explique par des raisons objectives, elle peut saisir le ministre chargé du logement d’une recommandation tendant à aménager les obligations prévues à l’article L. 302-8 du CCH.
Le Conseil d’Etat pose alors qu’il incombe alors au ministre chargé du logement d’apprécier, au vu des circonstances ayant prévalu au cours de la période triennale en question et sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si des raisons objectives justifient que la commune n’ait pas respecté l’obligation résultant des objectifs fixés pour cette période.
Dans l’affirmative, il appartient au ministre de modifier le cas échéant, compte tenu des circonstances qui prévalent à la date de sa décision, les objectifs de la période triennale qui est en cours à la date à laquelle il se prononce ou, s’ils sont déjà fixés, ceux d’une période ultérieure.
La commune en question n’avait atteint que 49 % de ses objectifs de réalisation de logements locatifs sociaux au cours de la période triennale 2005-2007 et se prévalait, pour justifier de cette insuffisance, de raisons tenant, notamment, à la rareté et au coût anormalement élevé du foncier disponible sur son territoire.
Et c’est là que l’appréciation de la Haute Assemblée commence à diverger nettement de ce qu’avait été celle de la CAA de Versailles.
Le Conseil d’Etat rentre dans les détails pour juger des efforts réels, ou non, de la commune à ce titre. Certes la CAA avait-elle aussi été visiblement dans les détails. Mais, là, le juge du Palais Royal note que ladite ville :
- n’avait, à l’époque de la période triennale 2005-2007, pas de programme local de l’habitat depuis la fin d’un premier programme à la fin de l’année 1999,
- n’avait, avant cette période ou au cours de celle-ci, ni modifié ou révisé ses documents d’urbanisme en vue de favoriser le logement social,
- n’avait notamment jamais :
- ni inscrit d’emplacement réservé au logement social dans son plan d’occupation des sols ou son plan local d’urbanisme,
- ni imposé de quota minimum de logements sociaux aux programmes immobiliers,
- s’était sur ces derniers points « bornée à adopter la faculté légale de majoration du coefficient d’occupation des sols pour la construction de logements sociaux ».
Ce contrôle doit être un contrôle normal, au terme de cet arrêt, et non un contrôle restreint.
Ainsi, les obstacles invoqués par la commune, liés à l’absence de foncier disponible et au coût extrêmement élevé du foncier ne peuvent, en l’espèce, selon le Conseil d’Etat, dès lors qu’ils résultent en grande partie de la faiblesse des instruments dont elle s’était, à l’époque, dotée pour les combattre, être regardés comme revêtant, pour la commune requérante et sur la période en litige, le caractère d’une raison objective au sens des dispositions de l’article L. 302-9-1-1 du CCH.
Source : CE, 2 juillet 2021, n° 433733, à mentionner aux tables du recueil Lebon