Parmi les règles fondamentales du droit administratif figure celle selon laquelle la légalité d’une décision administrative doit être appréciée par le juge de l’excès de pouvoir à la date à laquelle elle a été prise, et non au jour où le jugement est rendu.
Cela signifie qu’en principe, le juge ne peut pas tenir compte de circonstances survenues postérieurement à l’intervention de la décision attaquée pour apprécier la légalité de celle-ci.
En réalité, les choses ne sont pas toujours aussi simples, comme vient de le montrer le Conseil d’Etat dans une affaire qui s’est jouée en quatre actes.
Acte 1 : Une commune refuse de délivrer un permis de construire au motif que le projet est dangereux pour les personnes (il est vrai qu’était projetée la construction de trois maisons individuelles dans une zone propice aux glissements de terrain…). Le constructeur éconduit conteste le refus de permis devant le juge administratif. Mais sans attendre la décision du Tribunal, le Maire retire son refus et délivre le permis de construire sollicité.
Acte 2 : Des voisins forment un recours contre le permis de construire qui vient d’être délivré. Bien leur en a pris car le Tribunal administratif annule le permis au motif, qu’effectivement, le projet est dangereux de sorte qu’il ne pouvait être autorisé sans méconnaître l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme. Personne ne fait appel de ce jugement. Il devient donc définitif et revêt les habits de l’autorité de la chose jugée : ce qu’a dit ici le juge ne peut plus être remis en cause.
Acte 3 : Le même jour, le Tribunal administratif rend un second jugement qui, lui, rejette le recours du constructeur dirigé contre le refus de permis qui lui avait été opposé initialement. Le constructeur fait alors appel de ce jugement.
Acte 4 : La Cour administrative d’appel est donc amenée à se prononcer sur la légalité du refus de permis de construire à un moment où, postérieurement à la date de ce refus, une décision de justice définitive a considéré que le projet ne pouvait être autorisé en raison de sa dangerosité. Doit-elle considérer que l’autorité de la chose jugée attachée à ce jugement s’impose à elle, alors que cette circonstance est postérieure à la date de la décision attaquée, soit ici, le refus de permis ? Pour le dire autrement, la Cour doit-elle à son tour vérifier si le projet du constructeur est dangereux ou bien est-elle liée par l’appréciation figurant dans le jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée ?
La réponse vient d’être apportée par le Conseil d’Etat :
“L’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif d’un jugement, devenu définitif, annulant un permis de construire ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le refus opposé antérieurement ou ultérieurement par l’autorité administrative à la demande d’un permis ayant le même objet soit annulé par le juge administratif dès lors que ce refus est fondé sur le même motif que celui ayant justifié l’annulation du permis de construire. Alors même que la légalité d’un refus de permis s’apprécie à la date à laquelle il a été pris, il appartient ainsi au juge de l’excès de pouvoir de prendre acte de l’autorité de la chose jugée s’attachant, d’une part, à l’annulation juridictionnelle devenue définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré postérieurement à la décision de refus, et, d’autre part, aux motifs qui sont le support nécessaire de cette annulation”.
Epilogue : en contentieux de l’urbanisme, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement annulant un permis de construire peut être particulièrement étendue. Elle peut s’appliquer aux seuls motifs du jugement (alors qu’en principe, l’autorité de la chose jugée porte principalement sur le dispositif de la décision du juge), lier le juge dans un litige dont l’objet est différent (car ici, le jugement avait été rendu à propos d’un permis de construire…alors que le litige porté devant la Cour était relatif à un refus de permis…l’objet des deux instances n’était donc pas identique car les décisions attaquées n’étaient pas les mêmes), le tout pour statuer sur la légalité d’une décision rendue antérieurement audit jugement.
Ref. : CE, 21 septembre 2023, Société A2C, req., n° 467076. Pour lire l’arrêt, cliquer ici