… et nul ne pouvait sérieusement en douter.
En matière de grèves ou de litiges politiques, la mairie peut s’investir dans les aides sociales aux personnes (familles de grévistes par exemple), mais pas entrer dans le combat politique lui-même. Une commune peut soutenir un festival ou une conférence mais pas si ces événements glissent vers la manifestation politique même feutrée, nimbée d’intellectualisme. Même certains éditoriaux de maires ou des jumelages ont pu être censurés à ce titre. :
-
- pour le Nicaragua : CE, 23 octobre 1989, com. de Pierrefitte, com. de Saint-Ouen, com. de Romainville, rec. 209 ; DA 1989 n° 622 ;
- pour la guerre d’Espagne : CE, 16 juillet 1941, Syndicat de défense des contribuables de Goussainville, rec. p. 133
- pour une immixtion dans le débat sur l’école publique v/ l’école privée : CE, 6 mai 1996, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, n° 165054).
- pour un soutien aux associations d’élus liées à un courant politique donné : CE, 21 juillet 1995, Commune de Saint-Germain-du-Puy, n° 157.503 ; CE, 21 juin 1995, Commune de Saint-Germain-du-Puy, n° 157.502 ;
- pour un soutien (illégal) à des grévistes quand en revanche le soutien aux familles, lui, est possible : CE, 11 octobre 1989, Commune de Gardanne et autres, rec. p. 188; CE, 12 octobre 1990, Cne de Champigny-sur-Marne, rec. tables p. 607…
- pour une illégalité de la nomination comme citoyen d’honneur d’une personne condamnée pour meurtres à la réclusion criminelle à perpétuité en Israël (CAA Versailles, 19/07/2016, 15VE02895 ; voir à ce sujet : Non la commune n’est pas totalement libre de choisir qui elle veut comme citoyen d’honneur).
- sur l’appel (illégal) au boycott d’un pays :
- CEDH, 16 juillet 2009, Willem c. France, n° 10883/05).
- Restauration scolaire : peut-on refuser de servir des produits des colonies dans territoires occupés en 1967 ?
- Pour un cas de dénomination, illégale, de rue, voir :
- pour les jumelages, voir : Une commune peut-elle, légalement, signer une « charte d’amitié » avec une commune du Haut-Karabagh ? [SUITE] : TA de Lyon, 19 septembre 2019, n° 1901999 et n° 1808761 (2 espèces différentes) ; TA Cergy-Pontoise, 29 mai 2019, 1902445
- pour un cas d’illégalité de subvention à un débat trop politisé d’un seul côté : Peut-on subventionner un festival de débats politiques ? (TA Dijon, 20 octobre 2020, n°1902037)
- pour l’illégalité de la décision d’un président de conseil général de financer une brochure appelant à voter « non » au référendum du 20 septembre 1992 relatif à la ratification du traité de l’Union européenne, voir CE, 25 avril 1994, Président du Conseil général du Territoire de Belfort, n. 145874 : Rec., p. 190 ; A.J., n. 7-8, juillet-août 1994, p. 545-547, concl. David Kessler. Il est intéressant de comparer cet arrêt avec le jugement du T.A. de Dijon, Pesquet et Bernard c/ Région de Bourgogne, en date du 22 juin 1999, n° 990158 (brochure décidée par la commission permanente d’un conseil régional et ne portant, en réalité, que sur le programme d’une liste) : AJ, 2000, p. 348.
- En revanche, le Conseil d’Etat peut se révéler plus nuancé si le sujet traité a un lien avec les affaires locales. Ainsi, dans les arrêts Divier, le Conseil d’Etat a-t-il jugé, avec un grand sens de la tolérance, légal l’usage du mobilier urbain par le maire de Paris d’alors (devenu Premier Ministre au jour de la lecture de l’arrêt) pour s’opposer au projet de loi portant statut de sa commune, pour présenter le bilan de l’action municipale, puis pour répondre à un syndicat lors d’un conflit collectif du travail.
Sources : Concl. J.‑C. Bonichot sur C.E., 23 juillet 1986, M. Divier, n. 55064 : A.J., n. 10, octobre 1986, p. 585 ; Concl. O. Schrameck sur C.E., 11 mai 1987, M. Divier, n. 62458: Rec., p. 168 ; A.J., n. 7‑8, juillet‑août 1987, p. 485 ; R.F.D.A., 1988, p. 782. Ces deux arrêts portent sur la question de la légalité de financements communaux de campagnes de communication pouvant servir au moins autant à l’élu qu’à la collectivité, ce qui est un régime distinct pouvant conduire à des solutions différentes. - pour des cas d’annulation de mentions dans le bulletin municipal :
- voir l’annulation de la décision du maire de Lyon d’alors (Michel Noir) consistant à publier un éditorial dans le bulletin municipal au fil duquel celui-ci expliquait aux habitants les raisons de sa démission du RPR : TA Lyon, 6 oct. 1992, Lavaurs, n. 9100304 : Droit dam.., n. 11, nov. 1992, p. 7.)
- il a pu même être jugé que cela s’applique aussi à une tribune de l’opposition (TA de Melun, 11 mai 2018, 1610520)
Cependant, il arrive que le juge finisse par entrer dans de jésuitiques vaticinations s’il lui faut intégrer l’héritage religieux de notre Pays dans nos blasons ou nos crèches de Noël : voir ici, là, puis de ce côté-ci, voire par là.
De même le juge a-t-il pu autoriser que des communes s’impliquent directement dans des débats humanitaires devenant politiques, mais ce fut au nom du régime, bien distinct, de ce que l’on appelle la coopération décentralisée, et ce à la faveur de la formulation, large, en ce domaine, du premier alinéa de l’article L. 1115-1 du CGCT (TA Lyon, 21 janvier 2016, n° 1308206 ; TA Montpellier, 19 octobre 2021, n°2003886 ; TA Paris, 2e sect. – 2e ch., 12 sept. 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n°202012829 ; voir aussi ici une vidéo à ce propos). Voir plus récemment CAA Paris, 3 mars 2023, n°22PA04811 dans un sens et CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222 puis CAA Toulouse, 28 mars 2023, n°21TL04824 et CAA Toulouse, 28 mars 2023, n°21TL04860 dans l’autre sens.
Plus largement, voir cet article.
Pourtant, certaines mairies ont:
- apposé des banderoles à leurs frontons, ce que le juge avait estimé être contraire au principe de neutralité ( TA Grenoble, ord., 29 mars 2023, n°2301656 ; TA Paris, 3 mai 2023, n°2308852/2 [voir ici en image]) sous réserve de quelques subtilités contentieuses (TA Pau, ord., 16 juin 2023, n°2301427).
- fermé leurs services pendant les grandes grèves qui ont marqué la réforme des retraites (voir ici et là par exemple).
… cette seconde pratique, donc, étant bien sûr aussi censurée par le juge.
NB : je ne nuis à aucun de mes clients en disant cela… Nul juriste un peu sérieux ne l’ignore. Et en cas de contentieux, rien ne sert de plaider, sauf à tenter de défendre un besoin de changer globalement de jurisprudence.
Donc c’est sans surprise que le Tribunal administratif d’Orléans vient d’annuler la décision, prise par une ville, de fermer en mars 2023 des services de la ville en soutien au mouvement national de grève dirigé contre la réforme des retraites.
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