Banderoles anti-réforme des retraites au fronton des mairies : une illégalité certaine… des actions contentieuses incertaines

Mairie de Saint-Ambroix (Gard) ; coll. pers. mai 2023

Les citoyens, élus ou non, peuvent penser, parler, manifester.
Mais la mairie, elle, est supposée, rester drapée dans le principe de neutralité. Avec quelques subtilités toutefois.

Certes, quelques questions de procédures contentieuses peuvent-elles un peu conduire le juge à intervenir trop tard.


Mais restent les grands principes (I) qui ont conduit par exemple le TA de Grenoble, puis celui de Paris, à censurer, fin mars 2023, l’affichage de messages sur la réforme des retraites au fronton d’une mairie (II.A. et II.B.).  

Or, voici que le TA de Pau a refusé de censurer un tel affichage. Erreur ? Absence de concordance entre jurisprudences ? NON. C’est pour des raisons de procédure que le recours de la Préfecture a été débouté. Et ce d’une manière qu’il eût sans doute été assez aisé d’éviter y compris en cours de procédure (III). 

Revenons sur ce point par point. 

  • I. Des jurisprudences claires et constantes. Mais le juge peut se retrouver à intervenir un peu tard…
  • II. Les banderoles, du fronton des mairies, doivent, elles aussi, faire retraite.
    • II.A. L’ordonnance grenobloise
    • II.B. La confirmation parisienne
  • III. L’affaire de Tarnos

 

I. Des jurisprudences claires et constantes. Mais le juge peut se retrouver à intervenir un peu tard…

 

S’agissant des affichages aux frontons des mairies, le droit est clair et conforme au fait que la collectivité publique est une figure symbolique qui est là pour nous rassembler, pas pour nous diviser :

    • « le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques,
      (CE, 27 juillet 2005, Cne de Ste Anne, n°259806, publié au rec.).

 

Pour le reste, en matière de grèves ou de litiges politiques, la mairie peut s’investir dans les aides sociales aux personnes (familles de grévistes par exemple), mais pas entrer dans le combat politique lui-même. Une commune peut soutenir un festival ou une conférence mais pas si ces événements glissent vers la manifestation politique même feutrée, nimbée d’intellectualisme. Même certains éditoriaux de maires ou des jumelages ont pu être censurés à ce titre.  :

 

 

Cependant, il arrive que le juge finisse par entrer dans de jésuitiques vaticinations s’il lui faut intégrer l’héritage religieux de notre Pays dans nos blasons ou nos crèches de Noël : voir ici, , puis de ce côté-ci, voire par là.

De même le juge a-t-il pu autoriser que des communes s’impliquent directement dans des débats humanitaires devenant politiques, mais ce fut au nom du régime, bien distinct, de ce que l’on appelle la coopération décentralisée, et ce à la faveur de la formulation, large, en ce domaine, du premier alinéa de l’article L. 1115-1 du CGCT (TA Lyon, 21 janvier 2016, n° 1308206 ; TA Montpellier, 19 octobre 2021, n°2003886 ; TA Paris, 2e sect. – 2e ch., 12 sept. 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n°202012829 ; voir aussi ici une vidéo à ce propos). Voir plus récemment CAA Paris, 3 mars 2023, n°22PA04811 dans un sens et CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222  puis CAA Toulouse, 28 mars 2023, n°21TL04824 et CAA Toulouse, 28 mars 2023, n°21TL04860 dans l’autre sens. 

NB : non je ne prends pas le risque de nuire à une commune cliente en écrivant cela… car c’est vraiment de la base. Nul ne sera assez maladroit pour écrire un mémoire contentieux niant ce qui précède. Sauf à vouloir discourir plus pour plaire à son client que pour convaincre le juge, pratique indigne (mais fréquente) revenant à sacrifier l’intérêt du client à l’intérêt commercial de l’avocat (ce que nous nous refusons à faire, bien évidemment). 

 

Conclusion :

  • messages politiques ou syndicaux aux frontons des mairies : non jamais
  • aide aux familles de grévistes ou autres actions sociales : oui mais avec prudence
  • fermeture d’une mairie parce que le nombre de grévistes conduit à ce que ce soit la moins mauvaise des solutions : oui pourquoi pas si la communication municipale ne conduit pas à invalider à l’évidence ce motif en tant qu’il fonde cette décision
  • fermeture militante : non. Jamais.

 

Tout ceci, les communes l’ignorent-elles ? Non bien sûr. Ce que nous venons d’ânonner relève de la vulgate de base.

Ces communes s’exposent donc à une annulation, dans un an ou deux, de la décision consistant à avoir pris la décision de fermer la mairie ou d’avoir affiché une banderole. Soit. La belle affaire, concrètement.

Un usager gêné par cette fermeture pourrait demander indemnisation dans certains cas en cas de préjudice direct et certain résultat de cette fermeture illégale… ce qui est de peu d’effet tant que les services publics vitaux restent opérationnels.

Donc le seul débat était, ces dernières années, concrètement de savoir si l’affaire pouvait être traitée en référé liberté pour réellement donner lieu à une réponse concrète du juge à très bref délai.

Voir aussi sur le fait qu’à ce principe de neutralité sur les bâtiments publics s’ajoute bien sûr le principe de respect de la dignité de la personne humaine, mais il s’agit d’un autre sujet (cependant je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler cette affaire qui met à nu d’étranges pratiques carabinesques) :

 

II. Les banderoles, du fronton des mairies, doivent faire retraite.

 

II.A. L’ordonnance grenobloise

 

Une requérante avait, dans ce cadre, demandé au juge des référés de suspendre l’exécution de la décision du maire de la ville de G. d’afficher sur un mur de l’hôtel de ville une banderole portant l’inscription « G. s’engage contre la retraite à 64 ans » [G étant le nom de la ville].

La requérante soutenait que le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat (n° 259806, commune de Sainte-Anne, 27 juillet 2005).

Le juge des référés a considéré que ce moyen était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée et a fait droit à la demande de suspension ainsi qu’à la demande d’injonction de retrait de la banderole.

Le juge des référés a estimé qu’il y avait bien une décision attaquable du maire, en l’espèce :

« 2. L’apposition, au-dessus de l’entrée principale de l’hôtel de ville de G., d’une banderole portant l’inscription « G. s’engage contre la retraite à 64 ans » et le logo de la ville, révèle l’existence d’une décision du maire de procéder à cet affichage. La commune de G. n’est par suite pas fondée à soutenir que la requête serait irrecevable faute de justification de l’existence d’une décision administrative. La commune n’est pas davantage fondée à soutenir que la requête serait irrecevable faute d’être motivée et assortie de moyens, la requérante développant au soutien de sa demande de suspension une argumentation fondée sur la méconnaissance du principe de neutralité des services publics. »

Ensuite, ledit juge des référés a rappelé que :

« 3. Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. En l’état de l’instruction, le moyen invoqué tiré de la violation de ce principe est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée

Le moyen sérieux était constitué. L’urgence aussi :

« 4. Eu égard au contexte polémique actuel dans lequel s’inscrit le message figurant sur la banderole, l’atteinte immédiate à l’intérêt public qui s’attache au respect du principe de neutralité des services publics, portée par l’apposition de cette banderole à l’entrée de l’hôtel de ville, doit être regardée comme suffisamment grave pour justifier que, sans attendre le jugement de la requête au fond, la décision attaquée soit suspendue. La condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est ainsi remplie. »

D’où la censure :

« 5. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision d’apposer sur la mairie la banderole portant l’inscription « G. s’engage contre la retraite à 64 ans ». »

 

Source :

TA Grenoble, ord., 29 mars 2023, n°2301656

II.B. La confirmation parisienne

 

Puis, le 3 mai 2023, ce fut au tour du TA de Paris de censurer les messages anti-réforme des retraites qui ornaient la façade de l’hôtel de ville de Paris (l’ordonnance ayant ici été diffusée ici par M. Scordia que nous remercions et félicitons).

L’affaire a été, comme pour Grenoble, rendue en référé suspension et non en référé liberté. Là encore, la censure a été claire au nom du principe de neutralité avec injonction de retirer les banderoles litigieuses sous 24h  :

Voici cette ordonnance en son entier :

 

 

III. L’affaire de Tarnos.

 

Depuis janvier 2023, est déployée sur la façade de l’hôtel de ville de Tarnos une banderole portant le message « Tous mobilisés pour nos retraites ! ». La préfète des Landes avait demandé au maire de Tarnos de procéder à ce retrait par courrier du 24 janvier 2023. Devant l’inaction du maire, elle a déféré devant le tribunal le refus de ce dernier de retirer la banderole, et saisi le juge des référés en faisant valoir qu’un tel affichage d’une opinion politique sur un bâtiment public méconnaissait le principe constitutionnel de neutralité du service public.

Une condition de la suspension par le juge des référés tient à la recevabilité du recours au fond, en l’espèce, du déféré préfectoral. Le juge des référés devait donc vérifier si le déféré de la préfète des Landes était recevable, et, en particulier, engagé en respectant le délai de recours contentieux. Il a relevé que ce déféré avait été introduit le 31 mai 2023, au-delà du délai de recours contentieux expirant le 27 mai 2023.

La préfète des Landes s’est prévalue de la « théorie de l’acte inexistant » (CE, 31 mai 1957, Rosan Girard, recp. 335 ; voir plus récemment TA Marseille, 9e ch., 11 oct. 2022, n° 1910188… voir ici un article) , consistant à regarder la décision d’apposer la banderole sur la façade de l’hôtel de ville comme entachée d’un vice tellement grave qu’il entraîne sa nullité et sa contestation sans condition de délai.

 

Que la Préfecture tente cette ligne de défense était habile, mais un peu désespéré. En effet, les actes inexistants restent rares car :

« 2. Un acte ne peut être regardé comme inexistant que s’il est dépourvu d’existence matérielle ou s’il est entaché d’un vice d’une gravité telle qu’il affecte, non seulement sa légalité, mais son existence même.»
(CE, 28 septembre 2016, Anticor, 399173)

Cela dit, le juge trouve parfois des moyens de censurer des actes aux lourdes illégalités via d’autres moyens, comme il le fit pour les actes, pourtant créateurs de droit, obtenus par fraude. Voir :

Reste que l’inexistence… existe. Avec un régime contentieux spécifique (non sans limites toutefois ; voir ainsi la possible utilisation du sursis à exécution d’un tel acte : Conseil d’État, 29 décembre 2022, n° 463598, aux tables du recueil Lebon).

Le juge des référés a certes relevé que la décision du maire de Tarnos de déployer le slogan « Tous mobilisés pour nos retraites ! » devait être regardé comme la manifestation d’une opinion politique, mais il n’a, donc, pas retenu l’inexistence de l’acte :

« 8. En premier lieu, si le slogan « Tous mobilisés pour nos retraites ! » peut être entendu comme dépourvu de sens critique, son acception ne peut cependant pas, en l’espèce, être détachée du contexte dans lequel il est intervenu et que le maire de la commune de Tarnos a lui-même présenté comme un soutien à l’action des « maires de gauche ». Cette annonce doit donc être considérée comme l’expression d’une opinion politique partisane. Ce faisant, le moyen tiré de ce que la décision de déployer la banderole sur la façade de l’hôtel de ville est de nature à méconnaitre le principe de neutralité du service public parait de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée sans toutefois que ce vice revêtît un caractère de gravité tel qu’il lui confère la qualification d’acte inexistant. En second lieu, à supposer qu’une prise de position sur le régime des retraites ne relèverait pas du champ de compétence d’une commune, défini à l’article L. 2121- 29 du code général des collectivités locales, une telle illégalité ne parait pas permettre, en l’état de l’instruction, de considérer que la décision attaquée serait un acte nul.»

L’affaire était-elle donc désespérée ? Le Préfet pouvait-il demander de nouveau l’abrogation de la décision de faire cet affichage ? Cela se discute et il nous semble que le Préfet aurait pu tenter en sus une autre stratégie, non pas dans ses écritures, mais en amont de son contentieux.

En effet, il est obligatoire d’abroger un acte illégal, que celui-ci soit réglementaire ou individuel mais non créateur de droits, et ce dans les conditions fixées par l’article L. 243-2 du CRPA (Code des relations entre le public et l’administration ; voir aussi les articles L. 242-1 et suivants de ce même code).

Dès lors :

  • aux termes de cet article, en effet, l’administration est tenue d’abroger un règlement illégal (et la décision de refus de le faire sera censurée par le juge)… et il en va de même s’agissant des actes non réglementaires non créateurs de droits.
  • un règlement illégal doit ainsi être abrogé et une décision de refus de le faire sera illégale, que l’illégalité ait été ab initio (voir par CE, Ass., 3 février 1989, Cie Alitalia, rec. 1989, p. 44) ou qu’elle soit intervenue à la suite d’un changement de fait ou de droit (CE, S., 10 janvier 1930, Sieur Despujol, n° 97263 et 5822, rec. p. 30)… sauf à ce que l’illégalité ait cessé.
  • Pour les actes individuels, tout dépend donc du point de savoir s’ils sont ou non créateurs de droits, donc.
  • NB 1 : rappelons qu’aux termes de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État Ternon (26 octobre 2001, n°197018), « l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision. Et il n’y aura — schématiquement — en ces domaines nulle abrogation sauf à la demande de l’intéressé.
    NB 2 : la demande d’abrogation peut s’ajouter à un recours pour excès de pouvoir contre l’acte dont l’abrogation est demandée (CE, 17 mars 2021, n° 440208, publié au recueil Lebon) ou même donner lieu à un même recours joint dans des conditions fixées par CE, S., 19 novembre 2021, n° 437141, à publier au rec. [voir ici notre article et notre vidéo])
    NB 3 : sur le sort des recours (encore pendants) contre un acte initial abrogé (et non retiré) ensuite voir Source : CE, 15 décembre 2021, n° 452209 et autres, à publier en intégral au recueil Lebon (voir ici notre article)

 

La solution aurait consisté à demander l’abrogation de la décision de procéder à cet affichage puis à en demander l’annulation avec demande de suspension deux mois après… L’illégalité du refus d’abroger étant certaine. Certes, alors, se serait posée la question de savoir si la décision de procéder à cet affichage n’était pas un acte « créateur de droit »… Mais franchement, créateur de droit pour qui ?

Donc la Préfecture a perdu son procès, mais ce n’était pas sur le fond : seulement sur la procédure. Et nous nous permettons d’esquisser ce qui aurait pu être une tactique… tout en sachant très bien que d’une part cette tactique aurait pris du temps et que, d’autre part, commenter après coup est toujours un exercice facile… c’est d’agir dans le feu de l’action qui est difficile.

En tous cas, voici cette décision :

TA Pau, ord., 16 juin 2023, n°2301427

 

Petit mot de conclusion 

 

On peut se battre pour ses idées. On peut vouloir lever le poing ou au contraire remettre l’église au milieu du village.


Mais de grâce, laissons les mairies au coeur de la neutralité.


Le droit nous y engage (quelles que soient nos opinions en tant que citoyens par ailleurs). Et l’image, neutre, de nos institutions est le garant de leur acceptabilité par nos concitoyens et, par là-même, de la pérennité et de la stabilité de notre démocratie représentative.

Donc, ce que le droit, en ce domaine, commande, l’éthique républicaine l’impose.