Une nouvelle fois, un TA (celui de Nîmes) et une CAA (celle de Lyon) viennent de confirmer la jurisprudence abondante censurant celles des communes qui décident de mettre fin à leurs repas sans porc, en général à la suite d’un travail juridique de cochon, et ce de manière répétitive à chaque remise de couvert. Mais avec quelques ingrédients juridiques nouveaux, au fil des contentieux.
Mettons donc, notre article à jour (parties I., VI. et VII. ci-après)…

I. VIDEO
Commençons par notre vidéo (de 5 mn 48) de fin 2018… dont le contenu reste à jour en droit, même si depuis de nombreuses décisions sont recensées au fil de l’article qui est présenté ci-après, en II :
II. Article
Nombre d’édiles, plus ou moins adroitement, sur fond de surf médiatique sur la vague populiste, prennent des décisions de suppression des menus de substitution en restauration scolaire. Bref, suppression du porc en cantine à l’école.
Ce dossier vient de connaître un nouvel épisode caricatural concernant la commune de Beaucaire.
Voyons tout ceci en détails :
- I. La restauration est-elle obligatoire ? Et au sein de celle-ci… est-il légal, voire obligatoire, de prévoir des repas sans porc ? des repas vegan ? ou autres ?
- II. Peut-on dans son principe faire évoluer les repas en restauration scolaire ?
- III. Que nous apprend sur ce point la jurisprudence « Chalon-sur-Saône » ?
- III.A. Censure devant le TA
- III.B. Position confirmative de la CAA, mais sur d’autres moyens pour des raisons de procédure
- III.C. Le Conseil d’Etat censura lui aussi la position de la ville de Chalon-sur-Saône, via une décision posant (ou rappelant) quelques principes importants .
- IV. Que nous apprend, dans ce cadre, l’affaire concernant la commune de Beaucaire ?
- IV.A. En 2018, un travail juridique de cochon
- IV.B. En 2021, un paravent de laïcité qui ne peut pas, ou plus, fonder à elle seule une telle décision
- IV.B. La décision rendue par la CAA de Toulouse dans l’affaire de Beaucaire jugée en 2021 en 1e instance
- V. Comment (pour ceux qui ne sont pas intéressés que par le battage politico-médiatique…) sortir de l’alternative pour ou contre les repas sans porc ?
- VI. L’affaire de Morières-les-Avignon
- VII. Tassin-la-demi-lune : plein échec
- VIII. Comment (pour ceux qui ne sont pas intéressés que par le battage politico-médiatique…) sortir de l’alternative pour ou contre les repas sans porc ?
- IX. Voir aussi plus largement
I. La restauration est-elle obligatoire ? Et au sein de celle-ci… est-il légal, voire obligatoire, de prévoir des repas sans porc ? des repas vegan ? ou autres ?
En primaire, la restauration scolaire est facultative mais, si elle existe, son accès doit être assuré sans discrimination. L’article L. 131-13 du code de l’éducation est très clair à ce sujet :
S’agissant des collèges, le département doit, aux termes de l’article L. 213-2 de ce même code, assurer « la restauration », le texte précisant d’ailleurs qu’il est « possible mais non obligatoire de faire divers menus alternatifs ». Le même texte existe pour les régions s’agissant des lycées (article L. 214-6), sans la mention relative aux menus alternatifs. Le Conseil d’Etat estime que même en collège ou en lycée, la restauration scolaire reste facultative en dépit de ces formulations (CE, 24 juin 2019, n° 409659, au rec. ; voir ici cette décision ébouriffante et notre article).
La restauration scolaire, si elle existe, est bien un droit… qui peut être limité par le nombre de places disponibles (CE, 22 mars 2021, n° 429361, au rec. ; voir notre article plus détaillé ici.).
MAIS n’est pas une discrimination le refus de s’adapter à chacun. Ainsi ne sera-t-il pas obligatoire de satisfaire des demandes individuelles à chaque service :
- de repas sans viande (voir par exemple TA Cergy-Pontoise, 30 septembre 2015, n° 1411141)
- de repas sans porc (TA Grenoble, 7 juillet 2016, n° 1505593 ; CAA Lyon, 23 octobre 2018, 16LY03088)
S’agissant des repas sans viande, on citera pour montrer le raisonnement du juge un extrait d’un jugement du TA de Melun :
« 8. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, que la commune de Villeneuve-Saint-Georges organise dans le cadre d’un service collectif de restauration scolaire la fourniture de repas avec présence d’une viande, poisson ou œufs, ou un plat de substitution en cas de viande de porc ; que la circonstance que le maire de Villeneuve-Saint-Georges ait pu auparavant admettre que la présentation de viande n’était pas obligatoire, n’étant pas constitutive d’un droit pour les usagers, il pouvait revenir sur cette pratique ; que, par ailleurs, étant tenu à une obligation de résultat quant à l’équilibre nutritionnel des repas servis, le maire n’est pas dans l’obligation de proposer ou de servir des repas qui répondraient aux demandes du requérant ; que, par ailleurs, le règlement intérieur du temps de restauration scolaire prévoit que les repas sont proposés avec une viande mais que si les enfants sont encouragés à goûter à l’ensemble des plats, ils ne sont pas forcés de les manger ; que de surcroit, l’information mensuelle des repas servis est donnée mensuellement aux parents qui ont la possibilité d’inscrire leurs enfants journalièrement à la cantine ; que, par suite, c’est sans commettre d’erreur de droit ou d’appréciation que le maire de Villeneuve-Saint-Georges a pu rejeter la demande de M. X de ne pas servir de viande aux repas de la cantine scolaire ; »
Source : TA Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590.
A ces sujets, voir :

II. Peut-on dans son principe faire évoluer les repas en restauration scolaire ?
Oui en tous cas si les enfants ont alors d’autres choix que le porc pendant les repas (voir TA Toulon, 2 décembre 2014, n° 1404254). Idem pour les repas végétariens Tribunal administratif de Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590).
Le principe est en effet qu’un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).
NB sur le caractère facultatif de ce service, voir :
- La restauration des collèges n’étant pas un service obligatoire, la commune qui s’y colle en est pour ses frais ! Alors que la compétence est départementale…
- Le DDD en faveur d’un « droit à la cantine scolaire pour tous les enfants » (ce qui rejoint la position du juge administratif de toute manière…)
- mais voir aussi en sens inverse :
- TA de Besançon : il existe bien un droit à être inscrit à la restauration scolaire !
- l’article L. 131-13 du code de l’éducation issu de l’article 186 de la loi n 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté érige en droit l’inscription des élèves à la cantine des écoles primaires
- CE, 23 octobre 2009, commune d’Oullins, req. nº 329076
- et voir les arguments sur la convention de New York s’agissant des débats sur les menus de substitution (voir notamment Restauration scolaire : est-il légal de supprimer les repas sans porc ? [COURTE VIDEO] )
- mais pour l’appréciation de l’urgence en référé en ce domaine, voir par exemple La cantoche est un droit, un droit… qui peut attendre

III. Que nous apprend sur ce point la jurisprudence « Chalon-sur-Saône » ?
Une affaire, devenue célèbre, résultait de la décision de la ville de Chalon-sur-Saône de mettre fin à ses menus de substitution. Ce dossier a récemment connu son épilogue par une décision du Conseil d’Etat fixant pour partie, mais pour partie seulement le droit à ce sujet. Voyons ce dossier étape par étape, au TA (III.A), puis en CAA (III.B) avant que d’aborder l’arrêt du Conseil d’Etat qui mit fin à ce dossier (III.C).
III.A. Censure devant le TA
Le 28 août 2017, le TA de Dijon avait annulé la décision de la ville de Chalon-sur-Saône de ne plus proposer de menu de substitution dans les cantines scolaires quand du porc est servi.
Il a en effet estimé, au terme d’une instruction ayant associé le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, que cette décision n’avait pas accordé, au sens de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, une attention primordiale à l’intérêt des enfants.
Il s’est ainsi prononcé, sans prendre aucune position de principe à caractère général, au regard du seul cas particulier des cantines scolaires de Chalon-sur-Saône :
- un menu de substitution y avait été proposé, sans jamais faire débat, depuis 1984,
- la ville n’a pas motivé la suppression de ce menu par une contrainte technique ou financière,
- si, lorsque par le passé un menu de substitution était proposé, les enfants étaient fichés et regroupés par tables selon leurs choix, la ville n’a pas démontré l’impossibilité d’une méthode alternative (recours à des questionnaires anonymisés, mise en place d’un self-service).
Compte tenu de la solution ainsi retenue, le Tribunal n’a pas eu à examiner l’autre argument des requérants, tiré de la violation de la liberté de conscience et de culte.
La décision du Tribunal ne préjuge donc évidemment absolument pas de la solution qu’il adopterait en cas de litige relatif à une cantine scolaire où aucun repas de substitution n’a jamais été proposé.
Voici ce jugement : TA, 28 août 2017, LIGUE DE DEFENSE JUDICIAIRE DES MUSULMANS et autres, n° 1502100 et 1502726 :
III.B. Position confirmative de la CAA, mais sur d’autres moyens pour des raisons de procédure
A hauteur d’appel, la solution juridique fut la même, mais pour des considérations qui ont évolué.
Le recours juridique à l’article 1 de l’article 3 de la convention signée à New York le 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant a été rejetée’ par la CAA… mais non pas pour inopérance juridique : juste parce que les requérants en première instance n’avaient pas soulevé ce moyen eux-mêmes(ce moyen avait été soulevé par la seule Commission nationale consultative des droits de l’homme dans les observations qu’elle avait produites en réponse à l’invitation que lui a adressée le tribunal sur le fondement des dispositions de l’article R. 625-3… cela dit, on aurait pu débattre du point de savoir si ce n’est pas là un droit fondamental pouvant fonder un moyen d’ordre public).
La commune appelante était donc fondée à soutenir qu’en annulant les actes administratifs qui lui étaient déférés sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la convention de New York, qui n’est pas d’ordre public, le tribunal avait entaché son jugement d’irrégularité.
D’un point de vue opérationnel, ce moyen reste solide pour d’autres instances. Mais à la condition que les requérants naturellement l’aient soulevé à temps…
Mais il n’en est que plus intéressant de voir comment la CAA a déployé son argumentation conduisant à confirmer l’annulation (par d’autres moyens donc) de première instance.
La CAA commence par poser un principe intéressant (qui rejoint les données de base que l’on retrouve en détournement de pouvoir) :
« Le gestionnaire d’un service public administratif facultatif, qui dispose de larges pouvoirs d’organisation, ne peut toutefois décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement que pour des motifs en rapport avec les nécessités de ce service.»
Et l’application en l’espèce prouve qu’il y avait en fait détournement de pouvoir mais comme d’habitude le juge censure le détournement de pouvoir via d’autres causes d’annulation (en l’occurence une « erreur de droit » sur le fait que l’annulation n’était pas motivée par les nécessités de ce service ; ce qui selon nous cache mal la censure d’un — réel — détournement de pouvoir) :
« 12. Les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques.
« 13. Il est constant que, depuis 1984, les restaurants scolaires des écoles publiques de Chalon-sur-Saône proposaient à leurs usagers des menus alternatifs leur permettant de bénéficier de repas répondant aux bonnes pratiques nutritionnelles sans être contraints de consommer des aliments prohibés par leurs convictions religieuses. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, pendant les trente et une années qu’elle a duré, cette pratique aurait provoqué des troubles à l’ordre public ou été à l’origine de difficultés particulières en ce qui concerne l’organisation et la gestion du service public de la restauration scolaire. Il suit de là qu’en se fondant exclusivement sur les principes de laïcité et de neutralité du service public pour décider de mettre un terme à une telle pratique, le maire de Chalon-sur-Saône et le conseil municipal de Chalon-sur-Saône ont entaché leur décision et délibération attaquées d’erreur de droit.»
Source : CAA Lyon, 23 octobre 2018, n° 17LY03323 et 17LY03328 :
17LY03323et17LY03328
III.C. Le Conseil d’Etat censura lui aussi la position de la ville de Chalon-sur-Saône, via une décision posant (ou rappelant) quelques principes importants .
Le Conseil d’État juge tout d’abord qu’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer aux élèves des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses.
Le principe de laïcité, inscrit à l’article premier de la Constitution, interdit en effet à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers.
Voir déjà, en ce sens, : TA Cergy-Pontoise, 30 septembre 2015, n° 1411141 et TA Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590.
Le Conseil d’Etat juge en revanche que ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public n’interdisent aux collectivités de proposer des menus desubstitution, au contraire de ce qu’était la pétition de principe sur laquelle tentait de fonder son raisonnement cette commune.
NB : voir déjà en ce sens : TA Grenoble, 7 juillet 2016, n° 1505593 ; CAA Lyon, 23 octobre 2018, 16LY03088.
Dès lors, il confirme l’annulation de la décision du conseil municipal de Chalon-sur-Saône, qui n’était fondée que sur les principes de laïcité et de neutralité du service public.
Nous nous permettrons de souligner que d’un strict point de vue contentieux, la position de la commune n’était pas habile (mais des raisons politiques conduisaient sans doute à avoir choisi un positionnement idéologique, de principe).
Car un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).
Et sur cette base, par exemple, peut être supprimé un repas de substitution sans porc, en tous cas si les les enfants ont alors d’autres choix que le porc pendant les repas (voir TA Toulon, 2 décembre 2014, n° 1404254). Idem pour les repas végétariens Tribunal administratif de Melun, 18 novembre 2015, n° 1408590).
Mais revenons au Conseil d’Etat : ce dernier précise à cette occasion que lorsque les collectivités qui ont fait le choix d’assurer le service public de la restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent accéder à ce service public, en tenant compte des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont elles disposent.
Ce qui ne revient pas totalement à internaliser, en droit national, sous forme de principe général du droit, le contenu de la convention de New-York sur les droits de l’enfant (et dont les formulations sont plus impérieuses d’ailleurs), mais on s’en rapproche un peu…
Source : CE, 11 décembre 2020, n° 426483 :

IV. Que nous apprend, dans ce cadre, l’affaire concernant, cette fois, la commune de Beaucaire ?
Dans ce cadre, la commune de Beaucaire a décidé d’apporter elle aussi sa pierre à l’édifice. Mais en contrepoint, sur un mode comique. Avec un travail juridique de cochon qui ne manquera pas d’apporter un peu de délassement en ces temps gris et confinés. Avec deux sketches à la suite : un premier en 2018 (IV.A.) et un second, jugé en 2021 (IV.B.).
IV.A. En 2018, un travail juridique de cochon
Dans un premier temps, la commune en question n’avait même pas travaillé assez la légalité de ses actes pour la question ait pu être posée au fond !
Le TA de Nîmes avait été saisi de quatre requêtes présentées par la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, l’association « rassemblement citoyen de Beaucaire » et le préfet du Gard, tendant à l’annulation de la décision du maire de Beaucaire, révélée dans le bulletin municipal de la commune de novembre 2017, portant suppression des repas de substitution jusqu’alors proposés aux élèves fréquentant les cantines scolaires de la commune et ne mangeant pas de viande de porc.
Soyons clairs : un service public peut évoluer ou, même, ne pas être maintenu s’il est facultatif comme nous l’avons évoqué ci-dessus en I. et en II. (CE Sect., 27 janvier 1961, Vannier, Lebon 60, concl. Kahn ; voir aussi Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, Préfet de l’Isère et Université Joseph-Fourier, req. n° C3627, AJDA 2007, p. 1832).
Mais encore faut-il que (comme dans l’affaire jugée par le TA de Dijon) l’affaire ne soit pas évidemment fondée sur une pure et simple stigmatisation.
Mais dans ce dossier, en 2018, le TA n’a même pas eu à étudier le fond.
Les décisions du maire (FN) en ce sens avaient été annoncées par voie de presse puis par le bulletin municipal… sans même qu’une délibération ait été adoptée en ce sens(en dépit des compétences du conseil en ce domaine ; art. L. 2121-29 du CGCT…) ni que le maire ait eu délégation en ce domaine à supposer que celle-ci eût pu s’appliquer en ce domaine (art. L. 2122-22 du CGCT).
Du grand art.
Alors pour ce maire, était-ce du lard ou du cochon ? En tous cas, c’était un travail juridique de cochon.
Voir TA Nîmes, 9 octobre 2018, n° 1800342, 1800350, 1801251 et 1801601 :
- http://nimes.tribunal-administratif.fr/content/download/145329/1474016/version/1/file/1800342_anonymisé.pdf
- http://nimes.tribunal-administratif.fr/content/download/145330/1474019/version/1/file/1800350_anonymisé.pdf
- http://nimes.tribunal-administratif.fr/content/download/145331/1474022/version/1/file/1801251_anonymisé.pdf
- http://nimes.tribunal-administratif.fr/content/download/145332/1474025/version/1/file/1801601_anonymisé.pdf
IV.B. En 2021, un paravent de laïcité qui ne peut pas, ou plus, fonder à elle seule une telle décision
Dès juin 2018, la commune avait corrigé son erreur et adopté une délibération.
C’est cette délibération qui a donné lieu à un nouveau contentieux puis, en 2021, à une nouvelle annulation.
Le travail juridique de la commune était plus sérieux… mais avec un seul angle d’attaque, fragile déjà en 2018, et à l’évidence aujourd’hui totalement inopérant.
Le tribunal administratif de Nîmes a tout d’abord rappelé les principes énoncés récemment par le Conseil d’Etat dans sa décision « commune de Chalon-sur-Saône » rendue le 11 décembre 2020 sous le n° 426483 (voir ci-avant III.C.).
En l’espèce, le tribunal a constaté que la commune avait fondé sa décision de supprimer les repas de substitution sur la seule atteinte aux principes de laïcité et de neutralité du service public sans prendre en compte l’intérêt général s’attachant au maintien de l’organisation précédente, et au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont la commune dispose.
Le tribunal a retenu que le conseil municipal de Beaucaire avait ainsi entaché sa décision d’une erreur de droit et a fait droit à la demande d’annulation des requérants.
TA Nîmes, 9 février 2021, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen LDH (n° 1900310) et Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme LICRA (n°1902318) :
IV.B. La décision rendue par la CAA de Toulouse dans l’affaire de Beaucaire jugée en 2021 en 1e instance
Par deux arrêts du 26 janvier 2023, la cour administrative d’appel de Toulouse rejette les requêtes d’appel de la commune de Beaucaire contre les jugements du 9 février 2021 par lesquels le tribunal administratif de Nîmes, saisi par la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, a annulé le refus de cette commune d’abroger cet article.
La cour, se fondant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat n° 426483 Commune de Chalon-sur-Saône du 11 décembre 2020, précitée en III.C., a rappelé que ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent proposer des repas de substitution. Ainsi, les motifs de la décision de la commune de Beaucaire mentionnés à l’article 5 sont entachés d’illégalité.
Devant la cour, la commune de Beaucaire a soutenu que cette mesure de suppression des menus de substitution était à présent motivée par ses contraintes en termes de moyens humains et financiers.
Ainsi qu’il ressort également de la jurisprudence précédemment mentionnée, il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu’il en soit ainsi.
Toutefois, d’une part, le nouveau motif invoqué par la commune de Beaucaire est sans lien avec le contenu de l’article 5 du règlement intérieur portant sur la neutralité du service public et ne le justifie donc pas. En outre, et en tout état de cause, l’exactitude matérielle de ce nouveau motif n’était pas établie par les pièces produites.
Sources :
- CAA Toulouse, 26 janvier 2023 Beaucaire c/ LDH, n°21TL01230
- CAA Toulouse, 26 janvier 2023, Beaucaire c/ Licra, n°21TL01227

VI. L’affaire de Morières-les-Avignon
La commune de Morières-les-Avignon dans le Vaucluse a procédé à cette annonce (source Facebook de la FCPE locale) :

L’argumentation très clairement s’avère plus solide en droit que celles des exemples précités. Mais nous n’avons vu sur le site de cette commune (https://www.ville-moriereslesavignon.fr) ni délibération ni arrêté à ce sujet, ce qui peut surprendre.
Et de fait, comme dans un des exemples précités… le maire a décidé cela tout seul (et donc incompétemment en droit), sans délibération. On tombe de l’armoire… Et la décision du maire, tombe itou . Bien sûr :
« 10. Il appartient au conseil municipal de fixer les mesures générales d’organisation des services publics communaux, et notamment celles relatives au service public de restauration scolaire et périscolaire.
« 11. Il est constant que la décision litigieuse a été édictée par le maire de Morières-lès-Avignon. Il résulte de ce qui vient d’être dit au point précédent que cette autorité n’était pas compétente pour mettre un terme à la distribution de repas de substitution dans les restaurants scolaires et périscolaires à compter du mois de janvier 2023, une telle décision se rattachant aux mesures générales d’organisation des services publics communaux dont la fixation incombe au seul conseil municipal. Par suite, et sans qu’ait à cet égard d’incidence la circonstance alléguée par la commune défenderesse que l’instauration de la distribution de tels repas différenciés sur son territoire n’aurait pas été précédée d’une délibération du conseil municipal, la décision contestée du maire de Morières-lès-Avignon est entachée d’un vice d’incompétence.»
Je veux bien tenter de ne pas recycler à chaque fois la même blague sur le travail juridique de cochon. Mais faut m’aider un peu aussi, Monsieur le Maire, en tentant d’entrelarder vos décisions d’un peu de droit tout de même
Source : TA Nîmes, 3e ch., 28 mars 2025, n° 2300238.

VII. Tassin-la-demi-lune : plein échec
A Tassin-la-demi-lune, c’est par une évolution du contrat de concession que les repas de substitution ont été supprimés, selon la CAA de Lyon :
« 8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et, notamment, des clauses du contrat d’affermage du service public de restauration scolaire conclu par la commune de Tassin-la-Demi-Lune pour la période du 29 août 2012 au 29 août 2015, reconduit jusqu’au 29 août 2016, et relatives au règlement du service et à l’élaboration du menu, que le service de restauration, en prévoyant un plat alternatif au plat principal contenant du porc ou de la viande, organisait la distribution d’un menu de substitution, alors même qu’il n’offrait qu’un menu unique avec une possibilité d’adaptations ponctuelles, et non, de façon systématique, une pluralité de menus. Alors que le règlement du service applicable pour les années scolaires 2012 à 2016 comprenait ainsi des possibilités d’adaptation des menus pouvant correspondre à des pratiques religieuses, et qu’il était prévu pour ce faire de proposer aux usagers des menus sans porc ou sans viande, il ressort des stipulations du cahier des charges du contrat conclu pour la période du 29 août 2016 au 29 août 2019, repris dans les mêmes termes dans le contrat conclu pour la période du 1er septembre 2019 au 30 août 2023, qu’aucune possibilité similaire n’a été ouverte à compter du mois de septembre 2016, les seules adaptations au menu étant réservées aux enfants en bas âge et aux régimes alimentaires spécifiques sans référence à un motif religieux ou cultuel. Il s’ensuit qu’en concluant les contrats relatifs aux années 2016 à 2019 puis aux années 2019 à 2023, dont le cahier des charges traduisait ses demandes et les conditions dans lesquelles elle entendait régir le service public de restauration scolaire, la commune a mis un terme à la possibilité, qu’elle avait organisée au titre de la période antérieure comprise entre 2012 et 2016, de distribuer un menu alternatif aux usagers ne consommant pas de porc ou de viande pour des raisons religieuses. Dans de telles conditions, la commune de Tassin-la-Demi-Lune n’est pas fondée à soutenir qu’aucune décision de suppression de menus de substitution n’a été adoptée.
« 9. En second lieu, la commune fait valoir que le conseil municipal était seul compétent pour abroger une clause réglementaire du contrat de concession. Toutefois, dès lors qu’il n’a pas statué sur la demande d’abrogation que le maire devait inscrire à l’ordre du jour, en application de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal est réputé avoir rejeté cette demande. Par suite, et en tout état de cause, la commune de Tassin-la-Demi-Lune n’est pas fondée à soutenir que la demande de l’association adressée au seul maire n’aurait pas été de nature à faire naître une décision susceptible de faire l’objet d’un recours.
« 10. Il résulte de ce qui précède que la commune de Tassin-la-Demi-Lune n’est pas fondée à soutenir que la demande de l’association LICRA – section Auvergne Rhône-Alpes formée le 16 décembre 2022 tendant à l’abrogation de la décision de suppression des menus de substitution était dépourvue d’objet.»
A l’évidence, la défense de la commune était ici plus solide (et plus inventive ; voir le moyen tiré sinon de la constitution d’un fichier des préfèrences religieuses, ce qui pour la défense était aussi inventif que pertinent). Elle est cependant (avec une reprise — bien évidemment — des formulations concoctées par la Haute Assemblée) rejetée, en ces termes, sur le fond :
« 18. S’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu’il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.
« 19. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d’assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.
« 20. Il ressort des pièces du dossier que, lors de la réorganisation du service public de la restauration scolaire qu’elle a entrepris à l’occasion du changement de délégataire de ce service, la commune de Tassin-la-Demi-Lune, ainsi qu’elle le reconnaît expressément, a estimé que, pour l’application des principes de laïcité et de neutralité du service public, elle n’était pas tenue de prendre en compte les convictions religieuses des usagers qui imposeraient une alternative au menu et que les usagers n’avaient aucun droit à une telle prise en compte.
« 21. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, ce faisant, la commune ait recherché à tenir compte de l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier du service public de la restauration scolaire, quelle que soit leur confession. A cet égard, la seule circonstance que les parents d’élèves sont avertis plusieurs semaines à l’avance de la composition des menus ne suffit pas à garantir que les enfants puissent effectivement bénéficier d’un repas adapté en l’absence d’alternative au menu unique servi en restauration scolaire.
« 22. Si la commune de Tassin-la-Demi-Lune fait état du risque tenant à la création d’un traitement informatique des enfants concernés par ces menus et à leur regroupement matériel pour la distribution des repas, elle n’apporte aucune précision ni aucune pièce de nature à justifier de la réalité de ce risque, alors notamment qu’aucun élément ne démontre que la mise en œuvre de menus de substitution dans les cantines municipales aurait entraîné, par le passé, des difficultés particulières.
« 23. Enfin, la circonstance que les repas sont préparés dans une cuisine centrale à distance des lieux de restauration puis acheminés en liaison froide ne saurait faire obstacle à la distribution de menus de substitution, dès lors qu’il appartient au concessionnaire de répondre aux demandes du concédant, sous réserve que le concessionnaire soit rémunéré de cette prestation supplémentaire et, le cas échéant, que ces menus soient réservés à l’avance.
« 24. Dans ces conditions, en l’absence de démonstration d’un obstacle, lié aux exigences du bon fonctionnement du service et aux moyens humains et financiers dont elle dispose, à la distribution de menus de substitution, la commune de Tassin-la-Demi-Lune était tenue de faire droit à la demande d’abrogation de la décision de suppression de ces menus, laquelle était illégale. Il s’ensuit que la commune n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, qui n’est entaché d’aucune contradiction de motifs, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de l’association LICRA – section Auvergne Rhône-Alpes et lui a enjoint de réintroduire les menus de substitution proposés aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.»
Source : Cour administrative d’appel de Lyon, 4ème Chambre, 10 juillet 2025, 24LY03516
VIII. Comment (pour ceux qui ne sont pas intéressés que par le battage politico-médiatique…) sortir de l’alternative pour ou contre les repas sans porc ?
Nombre de communes et d’intercommunalités sortent de cette alternative en multipliant les repas végétariens en repas alternatif, tout en tentant de maintenir un équilibre en protéines. La loi EGALIM va dans ce sens… qui impose une expérimentation obligatoire en restauration scolaire publique ou privée d’un repas végétarien par semaine, voir :
- L’expérimentation d’un menu végétarien hebdomadaire en restauration collective scolaire commencera bien le 1er novembre 2019
- voir aussi :
- Restauration scolaire : modes de gestion et organisation des services de la collectivité, au lendemain de la loi Egalim [VIDEO]
- Interview sur les impacts de la loi Egalim sur la restauration collective
- Deux vidéos et un article pour préparer l’échéance de 2022 pour la restauration collective publique (article à jour des décrets d’avril 2019)

VIII. Voir aussi plus largement cet article :

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