Les communes sont compétentes en application de l’article L.2224-13 du CGCT pour assurer la collecte et le traitement des déchets ménagers et assimilés. Plus exactement, depuis la loi NOTRe, leurs communautés portent cette compétence. Ce transfert dans certains cas, mais surtout les bouleversements des périmètres poussent les territoires à s’interroger sur le mode de financement de cette compétence. Un certain manque de visibilité au regard des textes depuis la loi dite « Grenelle 1 » font notamment s’interroger sur le caractère obligatoire ou non de la tarification incitative, ou même sur sa pérennité. Cette fiche est la première d’une série de fiches sur les services sur les déchets.
L’histoire de la tarification incitative s’opère finalement comme une pièce de théâtre, avec ses rebondissements, en 4 actes … et malgré des changements de cap en apparence (et des titres volontairement outranciers dans cet article), au final l’histoire de la tarification incitative est très cohérente … levons le rideau !
Le Préambule
Avant l’introduction du grenelle, on distinguait finalement 2 grands modes de financement :
- TEOM, taxation représentant le régime « historique » (ou le financement par le budget général de la collectivité sans recourir à la TEOM)
- REOM, (Redevance d’enlèvement des ordures ménagères), contrepartie du service rendu – article L. 2333-76 du CGCT. D’une certaine manière, la REOM était perçue comme étant le mécanisme permettant de faire « coller à la réalité » le mode de financement aux productions de déchets et se considérait par contraste « incitative »
- Avec la RS (Redevance spéciale) quand le service est financé par le budget général seul ou la TEOM, partie spécifique aux déchets assimilés – article L. 2333-78 du CGCT. Pour mémoire on rappellera l’importance de la mise en place de la RS dès lors qu’on collecte des déchets professionnels (CE, 31 mars 2014, Société Auchan France, n° 368111)
Acte 1 – « Bravoure » : le caractère obligatoire du caractère incitatif
L’article 46 du Grenelle 1 (Loi n°2009-967) prévoit la mise en œuvre d’un cadre législatif propice à la réduction des déchets ménagers, quelque soit le mode de financement du service (REOM ou TEOM) :
« La redevance d’enlèvement des ordures ménagères et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères devront intégrer, dans un délai de cinq ans, une part variable incitative devant prendre en compte la nature et le poids et/ou le volume et/ou le nombre d’enlèvements des déchets ».
La loi donnait ainsi un objectif clair :
- passer d’un fonctionnement de REOM ou TEOM « classique » vers une format « modernisé » de ces modes de financements
- en y intégrant un mode de calcul incitatif.
- Ce qui était déjà possible dans la constitution de la REOM — assez libre — et reviens surtout à la bâtir de manière plus « intelligente » pour créer un comportement vertueux
- Mais qui constituait une certaine « révolution culturelle » pour le financement en TEOM
Le mouvement était donné, on pouvait dès lors s’attendre à très court terme — la loi était ambitieuse — à observer à terme le panorama suivant :
Avec probablement un abandon du financement possible via le budget seul — puisque le tarification devait être incitative.
Cependant il convient de rappeler que la loi GRENELLE 1 était une loi cadre fixant une feuille de route … tout restait à écrire pour donner à ces principes une définition juridique opérationnelle et cela devait nécessairement passer dans un premier temps par une modification des textes législatifs (notamment le CGI pour le TEOM-I) pour apporter une définition de cette part incitative.
Acte 2 – « Petit-meurtre entre amis » où quand le Grenelle tue le Grenelle pour faire naître la tarification incitative
Toutefois, la mise en œuvre de la tarification incitative à brève échéance très vite a fait l’objet de certaines oppositions — tandis que d’autres territoires, aidés aussi par la politique d’accompagnement de l’ADEME — s’engageaient vers la mise en place de redevance incitative.
Constatant que le projet — ou exactement le calendrier du Grenelle 1 était trop ambitieux — dans un contexte national devenu différent aussi sur le plan économique, la loi Grenelle 2 (loi n°2010-788), sans reconnaître qu’il s’agit d’un léger retrait, dispose que la part variable de la TEOM devient une possibilité, à titre expérimental :
« […] Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes qui bénéficient de la compétence prévue à l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales peuvent, à titre expérimental et pendant une durée de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, instaurer sur tout ou partie de leur territoire une taxe d’enlèvement des ordures ménagères composée d’une part variable, calculée en fonction du poids ou du volume des déchets. »
Ce qui a créé évidemment une certaine ambiguïté :
- S’agissait-il d’un mécanismes transitoire pour « expérimenter » la TEOM-I avant sa mise en place définitive ?
- Ou d’un recul sur le Grenelle 1 pour n’ouvrir qu’une expérimentation ?
- Quid de la redevance ? (comme évoqué pour nous elle pouvait déjà être calculée de manière incitative, dès lors il y avait peu de sens de revenir en arrière sur une tarification qui par essence prend en compte le service rendu … la différence en quelques sortes entre la REOM et la REOM-I étant l’intelligence apportée à la grille tarifaire, bâtie pour créer des comportements vertueux).
Le Ministre du Budget interrogé alors sur à la question de savoir si la part variable de la TEOM devait être appliquée par les communes à partir du 1er janvier 2014, ou si simplement elle pouvait être appliquée (réponse à une question écrite de Mme la députée F. Guégot, publiée le 29 octobre – QE, réponse du 29 octobre 2013, publiée au JOAN, p. 11317) a répondu sans ambiguïté :
« Les collectivités territoriales et leurs EPCI ne sont donc pas tenus d’instaurer une part incitative de TEOM mais peuvent délibérer en ce sens »
Le Ministre motive sa réponse en précisant le cadre juridique de la part incitative en relevant qu’en l’état la loi n’a fait que mettre en place l’expérimentation et la faculté de l’instaurer (l’objectif du Grenelle 1 n’était donc pas transformé en obligation, mais bien descendu sur un niveau d’expérimentation)
Acte 3 – « Ne nous fâchons pas » l’abandon de l’expérimentation pour pérenniser la possibilité de mettre en place une politique incitative
Mais nouveau coup de théatre, la mise en place du mécanisme de calcul de la part incitative de la TEOM fut l’occasion pour le législateur de revenir plus vite que prévu sur le calendrier du Grenelle 2 en abandonnant plus vite la période expérimentale (pour un mécanisme à durée indéterminée) sans pour autant revenir sur un caractère obligatoire : aux collectivités de choisir l’outil adapté à leur territoire.
La loi a ainsi mis en place l’article 1522 bis du CGI par la loi 2011-1977 du 28/12/2011 (loi de finance pour 2012) :
Les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale peuvent instituer, dans les conditions prévues au 1 du II de l’article 1639 A bis, une part incitative de la taxe, assise sur la quantité et éventuellement la nature des déchets produits, exprimée en volume, en poids ou en nombre d’enlèvements. La part incitative s’ajoute à une part fixe déterminée selon les modalités prévues aux articles 1521,1522 et 1636 B undecies.
On remarquera :
- la conservation du « peuvent ». Le mécanisme est donc bien facultatif pour les collectivités compétentes
- Mais il n’est plus indiqué à titre expérimental ou pour une durée limitée … l’outil est donc fait pour durer et rester (mais pour ceux qui le veulent !).
Des parlementaires s’interrogent encore sur l’articulation des textes (ex : QE 14432 de janvier 2015, sans réponse au 5/12/2015) … Mais notre analyse est bien que nous sommes encore sur un mécanisme facultatif, qui n’est plus en phase expérimental mais peut être instauré pour une durée indéterminée.
Pour arriver à cette analyse nous revenons aux fondamentaux du droit : en cas de textes contradictoires (et hélas sans abrogation officielle d’un texte) le juriste va privilégier :
- Soit le texte le plus spécifique sur le texte général : mais ici aucun texte n’est plus spécifique que l’autre
- Soit la chronologie des textes, notamment en présence de textes de même valeur : sur ce point … les textes s’enchainent bien et doivent être vu comme abrogeant la disposition la plus ancienne.
Acte 4 – « ceux qui m’aiment prendront le train » : La réaffirmation et l’incitation à la mise en place d’une tarification incitative
La loi relative à la transition énergétique (2015-992) a été sur certains aspects occultée des médias et dans esprits par la loi NOTRe. Elle est pourtant des plus limpide sur le souhait « d’inciter » les collectivités à mettre en place la tarification incitative
Ainsi elle réécrit l’article L.541-1 du Code de l’environnement en disposant que la politique nationale des déchets doit :
« 4° Augmenter la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de matière […]. Le service public de gestion des déchets décline localement ces objectifs pour réduire les quantités d’ordures ménagères résiduelles après valorisation. Les collectivités territoriales progressent vers la généralisation d’une tarification incitative en matière de déchets, avec pour objectif que quinze millions d’habitants soient couverts par cette dernière en 2020 et vingt-cinq millions en 2025 »
De même elle insère un nouvel article L.2333-76-1 du CGCT :
« Art. L. 2333-76-1. – Lorsque la compétence de collecte des déchets est déléguée à un établissement public ou à un syndicat intercommunal, des clauses contractuelles peuvent définir un système incitatif afin de récompenser les collectivités qui fournissent les efforts de prévention et de collecte sélective les plus significatifs. La mise en place d’un tel dispositif se fait sans préjudice de la mise en place d’une tarification incitative touchant directement les citoyens. »
Il y a donc une réaffirmation de l’intérêt porté sur la tarification incitative. On pourrait avoir l’impression que le législateur (et en réalité l’Etat et ses services) a changé régulièrement de cap … mais au final, ces changements furent peu nombreux :
- La loi Grenelle 1, clairement avait un objectif ambitieux, et comme dans bien des domaines la mise en place par la suite fut plus difficile
- Plutôt que de s’accrocher à un objectif qui ne serait pas atteint et au final à un énième texte qui ne produirait pas d’effets, le législateur a opté pour une solution graduée laquelle plus que de constituer des changements de caps incessant s’est avérée être une stratégie cohérente et régulière :
- Proposer une expérimentation : cette approche plus consensuelle que le couperet apporte l’assurance que dans un premier temps seuls les volontaires vont tester un dispositif et au besoin on pourra couper court à l’expérimentation (donnant un certain droit à l’erreur)
- Proposer ensuite — il est vrai une année seulement après — une mécanisme toujours non obligatoire mais qui peut être mis en place — non sans écueils potentiels — mais compréhensible
- Réaffirmer la volonté de demander aux territoires de mettre en place cette tarification, non sans avoir mis en place du reste les moyens via l’ADEME d’accompagner les collectivités
* * *
Avec le recul on peut donc faire plusieurs constats
- Passé le Grenelle 1, l’ensemble de la démarché a été cohérente et a suivi une certaine direction réaffirmée par la loi d’août 2015
- Surtout, un mouvement est engagé, il n’est pas obligatoire, mais tout converge pour encourager les collectivités à mettre en place spontanément une tarification incitative. On peut utilement se référer a certaines études de l’Adème (dont certaines rédigées par des partenaires avec une participation du cabinet).
- On rappellera que le législateur connaît cette technique de longue date : mettre en place une possibilité, l’encourager, accompagner les territoires à initier la démarche … pour à terme rendre le dispositif obligatoire … On citera : La création des communautés : facultatives en 1993/1999, elles sont devenues obligatoires avec la loi de 2010 ou encore certaines compétences : d’optionnelle la compétence déchet devient une compétence obligatoire des communautés de communes et d’agglomération.
A l’évidence d’autres actes de cette pièce s’écriront avec le temps, mais un mouvement est engagé et une chose est certaine — même si elle ne sera pas généralisé de suite — la tarification incitative a un avenir dans un contexte de prise de conscience collective des enjeux environnementaux, aux territoires d’écrire la suite de l’histoire.
Yann Landot
Cabinet Landot & associés
Pour aller plus loin … :
- Site de l’ADEME et plus particulièrement, les rapports sur la tarification incitative
- Guide (ADEME) de la construction des grilles tarifaires par le cabinet Citexia avec la contribution du cabinet Landot & associés
- Bilan (ADEME) des collectivités en tarification incitative au 1er janvier 2014 par le cabinet Citexia
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.