Le Conseil d’Etat a posé, il y a bientôt 20 ans, que des pans entiers du droit privé s’imposent en droit public, y compris des éléments du droit de la concurrence (CE, 3 novembre 1997, Million et Marais, rec. p. 406).
Trois ans et demie ensuite, le juge est passé des entreprises aux consommateurs en étendant ce raisonnement au droit de la consommation, au moins pour les services publics industriels et commerciaux, tels que l’alimentation en eau potable ou l’assainissement (ou, mais c’est moins connu, tels que les OM en cas de financement par redevance). Cette nouvelle mini-révolution a été opérée par l’également célèbre arrêt du 11 juillet 2001 du Conseil d’Etat, Société des eaux du Nord (n° 221458, Rec. p. 348, conclusions Bergeal).
N.B. : en l’espèce et en simplifiant une affaire complexe, la Société des Eaux du Nord avait décidé dans le Règlement de service qu’elle était compétente pour les travaux sur l’intégralité du branchement d’eau en prenant en charge les frais du branchement dans la partie privée tout en faisant supporter la majorité de la responsabilité sur l’usager ! Logiquement, le juge avait considéré que cette clause était abusive et donc illicite. Un autre conséquence fut que, plus nettement encore qu’auparavant, le règlement devait avoir été de préférence porté à la connaissance des usagers pour qu’il puisse être être opposable (point sur lequel le législateur est intervenu ensuite pour préciser et assouplir divers points).
Il faut donc traquer les clauses abusives… avec tout ce que cela a de flou.
Or, qu’est-ce qu’une clause abusive dans les contrats liant l’usager à un concessionnaire de service public ? Le Conseil d’Etat a esquissé un mode d’emploi.
Sont ainsi qualifiées d’abusives par cet article “les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque ces clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un caractère excessif”.
Plus concrètement, le juge administratif a estimé que le caractère abusif d’une clause s’apprécie à la fois :
- au regard de la clause elle-même
- mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service.
Dès 2001, donc, faisant application de ces critères, il a ensuite jugé que les dispositions contestées avaient le caractère d’une clause abusive. Il s’est fondé à cet égard sur trois de leurs caractéristiques :
- elles pouvaient conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant ;
- elles s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion ;
- elles sont pas, enfin, justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public.
Avec l’obligation pour le juriste de droit public de se plonger dans les délices exotiques du droit de la consommation. Un art subtil auquel il a bien fallu, depuis 15 ans, s’initier.
Depuis, les exemples se succèdent en jurisprudence et un arrêt du Conseil d’Etat vient de l’illustrer et, au passage, de préciser le droit sur ces points délicats.
Une entreprise avait demandé le remboursement d’une facture d’eau. Le tribunal de commerce, ainsi saisi, a renvoyé les parties à saisir le tribunal administratif pour apprécier la légalité des clauses contestées au regard de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.
Les clauses du règlement de service (RS) posaient, comme tant d’autres RS, que «l’abonné n’est jamais fondé à solliciter une réduction de consommation en raison de fuites dans ses installations intérieures car il a toujours la possibilité de contrôler lui-même la consommation indiquée par son compteur ».
Après tout, à l’intérieur de chez soi, on est chez soi responsable de ce qui se passe chez soi ou à tout le moins on peut l’être… même si ce raisonnement a échappé au Tribunal administratif de Marseille au point que l’affaire a du, in fine, remonter au Conseil d’Etat.
La Haute Assemblée a rendu un jugement de Salomon.
1/
Elle a d’abord rappelé son considérant de principe habituel, mais qu’il est utile de rappeler, selon lequel :
« le caractère abusif d’une clause au sens de ces dispositions s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ; »
2/
Puis elle a tranché en posant que :
• d’un côté
« ces dispositions présentent un caractère abusif en ce qu’elles ont pour effet d’exonérer de toute responsabilité le service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l’abonné résulterait d’une faute commise par ce service, »
… ce qui est très logique. Le RS violait sur ce point le droit de la consommation et même au lendemain de l’arrêt SDEN de 2001 cela eût été flagrant.
• Mais d’un autre côté :
« ces dispositions […] n’ont en revanche ni pour objet ni pour effet d’exclure la possibilité, pour un abonné, de rechercher la responsabilité d’un tiers pour obtenir réparation des dommages qu’il a subis du fait d’une facturation excessive dont il estimerait qu’elle lui est imputable ; qu’ainsi c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille s’est fondé, pour juger que ces dispositions constituent une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, sur le motif tiré de ce qu’elles peuvent conduire à faire supporter par un usager les conséquences d’un dommage qui ne lui serait pas imputable, sans réserver le cas des dommages résultant des agissements des tiers ; »
« les dispositions du second paragraphe de l’article 23-3 du règlement des abonnements du service de l’eau constituent une clause abusive et doivent être déclarées illégales en tant seulement qu’elles exonèrent de toute responsabilité le service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l’abonné résulterait d’une faute commise par ce service ;»
Source : CE, 30 décembre 2015, req. n° 387666 (pas encore disponible sur Légifrance).
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