Administration victime d’une entente anti-concurrentielle lors d’un marché public : la collectivité peut-elle engager un recours indemnitaire devant le juge civil ?

Non !

A la base, en cas d’entente anti-concurrentielle, le réflexe était de saisir le juge judiciaire. Si c’est pour faire constater ladite entente, cela reste une voie à explorer au cas par cas.

Mais si une collectivité publique victime de ces pratiques (et ce de manière certaine puisque le juge pénal a sanctionné les auteurs des délits en cause et le conseil de la concurrence les entreprises ayant commis ces atteintes anticoncurrentielles), en cas de marché public, forme une demande indemnitaire, il y aura-t-il compétence du juge civil ?

Non répond le Tribunal des conflits par la décision n° 4035 du 16 novembre 2015 Région Ile-de-France c/ M. N. et autres.

Du coup, la région victime de ces agissements avait eu tort d’assigner devant le juge civil les entreprises en cause. Il eût fallu envisager soit une procédure de droit public (titre de recettes ou recours contentieux après une phase de contradictoire ? C’est un sujet délicat sur lequel nous reviendrons).

 

Cliquez ci-dessous pour accéder au jugement du Tribunal des conflits

TC 20151116 concurrence et marches

 

Et voici le lien vers le site, fort bien fait, dudit tribunal :

http://www.tribunal-conflits.fr/decisions_2015.html

 

Enfin, voici le résumé fait par le Tribunal des conflits lui-même pour résumer cette affaire (les soulignements, en revanche, sont de nous), dont il ressort qu’il s’agit bien d’une unification consistant à ce que petit à petit les divers contentieux (hors pénal) opposant un acheteur public à ses soumissionnaires ou attributaires se retrouvent tous, ou presque tous, relever de la compétence du juge administratif  :

L’affaire dont le Tribunal des conflits a été saisi a pour origine un litige opposant la région Ile-de-France à plusieurs entreprises, dont les préposés avaient été condamnés par la juridiction répressive pour participation à une entente anticoncurrentielle. De leur côté, les entreprises attributaires des marchés avaient été condamnées par le Conseil de la concurrence à des amendes sur le fondement de l’article L. 420-1 du code de commerce. La région a entendu obtenir des uns et des autres la réparation du préjudice matériel résultant du paiement d’un prix excessif du fait de leurs comportements et les a d’abord assignés devant le juge civil. Mais devant la cour d’appel de Paris, le préfet a élevé le conflit après rejet de son déclinatoire de compétence.

S’agissant de la régularité de la procédure de conflit, le Tribunal écarte un moyen tiré de l’incompatibilité de la procédure de conflit positif avec l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il confirme ainsi sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la répartition des compétences est en principe sans incidence sur le respect des stipulations de la convention (TC, 15 janvier 1990, Chamboulive et autre c/ Commune de Vallecalle, n° 2607), sous réserve du cas particulier où une loi de fond influerait sur la répartition des compétences (TC, 13 décembre 2010, Société Green Yellow et autres c/ Electricité de France, n° 3800). Le même raisonnement le conduit à juger que le principe de loyauté procédurale (ou estoppel) ne peut être utilement invoqué devant lui.

Le tribunal écarte également l’objection des personnes privées qui invoquaient, pour faire échec à la procédure de conflit positif, le caractère irrévocable de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait statué sur l’action civile de la région, en même temps que sur les poursuites correctionnelles : il ne s’agit pas du même litige, faute notamment d’identité de parties (seuls les préposés avaient été poursuivis) et d’objet (l’action civile ne portait alors que sur le préjudice moral de la région).

Sur la compétence, le Tribunal avait jugé qu’un litige entre un pouvoir adjudicateur et un candidat, né à l’occasion de la passation d’un marché passé en application du code des marchés publics, relève de la compétence des juridictions administratives, alors même qu’il ne porte ni sur le respect des règles de passation ni – par construction – sur l’exécution du contrat (TC, 23 mai 2005, Département de la Savoie-SPTV c/ Société Apalatys, n° 3450). Cette solution a été transposée par le Conseil d’Etat à un litige ayant pour objet l’engagement de la responsabilité de sociétés en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec elles à des conditions de prix désavantageuses (CE, 19 décembre 2007, Société Campenon-Bernard et autres, n° 268918, 269280 et 269293), la même solution ayant ensuite été retenue pas la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 18 juin 2014, n° 13-19 408).

En l’espèce, le Tribunal des conflits retient la compétence des juridictions administratives, en précisant que la solution vaut dès lors qu’est en cause « la responsabilité de personnes auxquelles sont imputés des comportements susceptibles d’avoir altéré les stipulations d’un contrat administratif, notamment ses clauses financières ». Sont ainsi visées, non seulement les entreprises qui ont contracté avec la personne publique mais aussi toutes les autres personnes auxquelles sont imputés de tels comportements.