L’interdiction facultative de soumissionner : casse-tête à venir pour les acheteurs publics ?

L’article 48 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2013 relative aux marchés publics a institué plusieurs cas d’interdictions de soumissionner facultatives.

Il s’agit d’une nouveauté issue des directives européennes 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014.

Le texte introduit cinq hypothèses pour lesquelles un acheteur public pourra, s’il le souhaite, exclure un opérateur d’une procédure de passation d’un marché public :

« – 1° Les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l’objet d’une sanction comparable du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de concession antérieur ou d’un marché public antérieur ;

2° Les personnes qui ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché public, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution ;

3° Les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens ;

4° Les personnes à l’égard desquelles l’acheteur dispose d’éléments suffisamment probants ou constituant un faisceau d’indices graves, sérieux et concordants pour en déduire qu’elles ont conclu une entente avec d’autres opérateurs économiques en vue de fausser la concurrence ;

5° Les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il ne peut y être remédié par d’autres moyens. Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public. ».

Cet article de la nouvelle ordonnance semble créer de nouvelles hypothèses dans lesquelles un acheteur public pourra écarter un candidat à un marché public sans même examiner sa candidature ou son offre.

En réalité, la portée novatrice de cet article doit être relativisée dans la mesure où certaines des interdictions facultatives posées par cet article étaient déjà prévues par la jurisprudence.

A titre d’exemple, le 1°) qui permet d’exclure des candidats ayant manqué à leurs obligations contractuelles dans le cadre de l’exécution de contrats précédents avait déjà été admis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 10 juin 2009, Région Lorraine (req. n°324153) dans certaines conditions. Désormais, l’exclusion d’un opérateur économique sera possible pour un tel motif « s’il a été mis à même par l’acheteur d’établir, dans un délai raisonnable et par tout moyen, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être remis en cause et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché public n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement. »

L’ordonnance n°2015-899 précitée codifie donc certaines solutions jurisprudentielles, initiative qui ne peut qu’être saluée dans la mesure où elle unifie le droit sur ce point et offre une meilleure lisibilité des règles applicables en matière d’exclusion des opérateurs économiques à un marché public.

Si l’article 48 de l’ordonnance n°2015-899 est louable du point de vue de la codification, il n’en reste pas moins imparfait dans la mesure où il se contente d’édicter des cas d’interdiction facultative de soumissionner sans donner d’indications aux acheteurs sur la mise en oeuvre de ces dispositions.

En effet, à part pour l’hypothèse 1°), le texte ne détaille pas les modalités que devront mettre en oeuvre les acheteurs publics pour écarter un candidat qui relèverait d’un des cas d’interdiction facultative de soumissionner. A titre d’exemple, pour l’hypothèse 5°) qui correspond aux candidats se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts, le texte ne détaille pas si l’acheteur public doit au préalable ou non demander des explications au candidat.

De plus, le texte  laisse  la charge de la preuve à l’acheteur public qui risque de se retrouver assez dépourvu notamment pour rapporter la preuve d’une entente entre des opérateurs économiques (hypothèse 4°).

Par conséquent, même si les interdictions facultatives de soumissionner poursuivent des finalités louables et ont pour objet de faciliter le travail des acheteurs publics en leur offrant un moyen d’éliminer des candidats qui se trouveraient dans des situations contraires aux grands principes du droit de la commande publique, la mise en œuvre pratique de ces dispositions risque de se révéler périlleuse et de décourager les acheteurs publics de s’en servir.