Mises en fourrière et carambolages contentieux

Il est bien difficile de ne pas faire de sortie de route contentieuse en matière de mise en fourrière. A titre d’exemple citons ce jugement du TA de Paris qui pose que le contentieux de la mise en fourrière d’un véhicule placé en fourrière est partagé entre le juge judiciaire et le juge administratif selon le fondement de la demande. En effet :

  • le contentieux consécutif aux opérations de mise en fourrière des véhicules automobiles relève de la compétence du juge judiciaire lorsque la mise en fourrière résulte de la constatation d’une infraction (ce qui n’est pas nouveau : voir en ce sens CE, 18 mars 1981, Consorts Ferran, n° 17502, Rec. p. 148).
  • MAIS (pour citer l’excellente lettre de jurisprudence du TA de Paris) :

« l’opération de police judiciaire doit être regardée comme prenant fin lorsque le véhicule est placé sous la garde de l’administration. Le juge administratif redevient compétent pour connaître des mises en cause de la responsabilité de l’administration fondées sur le caractère fautif de ses agissements au cours de la garde du véhicule

 

Source : TA de Paris, 3ème section, 3ème chambre, 27 septembre 2016, n° 1518604, C+ M. A… de P…

Voir ce jugement :

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

N°1518604/3-3

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M. A… A… de P… ___________

M. Grondin Rapporteur ___________

M. Camenen Rapporteur public ___________

Audience du 13 septembre 2016 Lecture du 27 septembre 2016 ___________

135-02-03-02-04 C+

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris (3ème Section – 3ème Chambre)

Sommaire 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, respectivement enregistrés les 13 novembre 2015 et 11 mars 2016, M. A… A… de P…, représenté par Me de Brem, demande au tribunal :

1°) condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 600 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice matériel résultant de la destruction de son véhicule, ainsi que la somme de 4 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice moral ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A… de P… soutient que :

– l’administration a déplacé son véhicule sur une place de stationnement interdit sans l’avoir préalablement informé de l’interdiction de stationner le 2 décembre 2014 rue Saint-Jacques (Paris 5ème) ;

– il n’a jamais reçu de courrier avec accusé de réception l’informant que son véhicule avait été placé en fourrière, en méconnaissance des dispositions des articles L. 325-31 et R. 325-32 du code de la route ;

– il n’a jamais été mis en demeure de récupérer son véhicule, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 325-7 du code de la route ;

– il en résulte que la préfecture de police a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

– il en résulte un préjudice matériel de 3 600 euros au titre de la destruction de son véhicule ainsi qu’un préjudice moral de 4 000 euros.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2016, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Le préfet de police fait valoir que les moyens soulevés par M. A… de P… ne sont pas fondés.

Par un courrier du 12 août 2016, le tribunal a informé les parties, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, qu’il était susceptible de fonder sa décision sur un moyen d’ordre public tiré de l’irrecevabilité de la requête comme étant porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

  • –  le code de la route,
  • –  le code de justice administrative.

    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
    Ont été entendus au cours de l’audience publique du 13 septembre 2016 :

    – le rapport de M. Grondin, conseiller ;
    – les conclusions de M. Camenen, rapporteur public ;
    – et les observations de Me de Brem, représentant M. A… de P….

    1. Considérant que le véhicule de M. A… de P…, qui était stationné rue Saint-Jacques, a été déplacé par la préfecture de police le 2 décembre 2014 ; que le véhicule ayant été découvert stationné sur une place réservée aux véhicules affectés à un service public le 9 décembre 2014, le véhicule a été placé à la préfourrière de Charlety, puis le 15 décembre 2014, à la fourrière de Chevalleret ; qu’à défaut d’avoir été retiré par son propriétaire, le véhicule de M. A… de P… a été détruit ; que, par la présente requête, l’intéressé demande au tribunal de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 600 euros en réparation du préjudice matériel résultant de la mise en fourrière et de la destruction de son véhicule, ainsi qu’une somme de 4 000 euros en réparation du préjudice moral ;

    Sur la compétence de la juridiction administrative :

    2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 325-7 du code de la route : « Sont réputés abandonnés les véhicules laissés en fourrière à l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la mise en demeure faite au propriétaire d’avoir à retirer son véhicule. La notification est valablement faite à l’adresse indiquée par le traitement automatisé mis en œuvre pour l’immatriculation des véhicules. Dans le cas où le véhicule fait l’objet d’un gage régulièrement inscrit, cette notification est également faite au créancier gagiste (…) Le délai prévu au premier alinéa est réduit à dix jours en ce qui concerne les véhicules qu’un expert désigné par l’administration aura estimés d’une valeur marchande inférieure à un montant fixé par arrêté interministériel et déclarés hors d’état de circuler dans des conditions normales de sécurité. Les véhicules visés à l’alinéa précédent sont, à l’expiration du délai de dix jours, livrés à la destruction. » ;

    3. Considérant que la mise en fourrière d’un véhicule, prescrite en exécution des articles L. 325-1 et suivants du code de la route dans les conditions prévues par les articles R. 325-12 et suivants de ce code a le caractère d’une opération de police judiciaire, tout comme les décisions qui en résultent et qui ne sont pas dissociables d’une telle opération ; qu’il suit de là que l’autorité judiciaire est seule compétente pour connaître des décisions prises par les services de police de procéder à l’enlèvement d’un véhicule, à sa mise en « préfourrière » puis en fourrière, ainsi que des actions en responsabilité fondées

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sur les irrégularités dont serait entachée l’enlèvement et la mise en fourrière d’un véhicule ; que ces actions ne relèvent de la juridiction administrative que lorsqu’elles tendent à la réparation des dommages imputés au fait de l’autorité administrative à qui le véhicule a été remis en exécution de la décision de l’officier de police judiciaire ;

4. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la juridiction administrative est incompétente pour connaître de l’action en responsabilité de M. A… de P… présentée au titre de l’enlèvement et de la mise en fourrière de son véhicule, fondée sur l’irrégularité de ces opérations et qui se rapporte à la réalité ou à la constatation des infractions les justifiant ;

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Considérant que le juge administratif est compétent pour connaître de l’action en responsabilité intentée par le requérant au titre de la destruction fautive de son véhicule qui avait été placé en préfourrière ;

6. Considérant que si M. A… de P… soutient qu’il n’a pas été informé qu’il devait retirer son véhicule auprès de la fourrière de Chevaleret et que celui-ci serait détruit s’il n’y procédait pas, il résulte toutefois de l’instruction qu’en application de l’article L. 325-7 précité du code de la route, le préfet de police a, par un courrier en date du 19 décembre 2014, informé l’intéressé que compte tenu de la valeur marchande de son véhicule, celui-ci serait détruit à défaut d’avoir été enlevé dans un délai de dix jours ; que ce courrier a été expédié par lettre recommandée avec accusé de réception à l’adresse figurant sur la carte grise du véhicule ; que, par ailleurs, les mentions de La Poste font apparaître que l’intéressé a été avisé de ce pli le 24 décembre suivant mais ne l’a pas retiré dans le délai de mise en instance ; que, dans ces conditions, l’obligation d’information requise par l’article L. 325-7 du code de la route est réputée avoir été satisfaite ; qu’ainsi, le requérant n’établit pas l’existence de la faute alléguée, de nature à engager la responsabilité de l’autorité administrative en charge de la garde de son véhicule à la fourrière ;

7. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. A… de P… doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le requérant demande au titre des frais qu’il a exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE:

Article 1er : Les conclusions de M. A… de P… sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître en tant qu’elles sont fondées sur l’irrégularité de l’enlèvement et de la mise en fourrière de son véhicule.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la M. A… A… de P… et au préfet de police. Copie en sera adressée à la ville de Paris.