Un agent mis en examen, placé sous contrôle judiciaire, a-t-il le droit… de manger ?

Commettre une infraction, c’est « mal » bien sûr, puisque la société s’est mise d’accord pour qualifier tel ou tel agissements d’infraction et, donc, de la caractériser comme une atteinte au « vivre ensemble », à ce qui fait société.

Mais celui qui est mis en examen, et même ensuite placé sous contrôle judiciaire (pas en prison, juste sous contrôle judiciaire mais avec en général interdiction d’aller travailler à sa collectivité pour d’évidentes raisons) continue de bénéficier de la présomption d’innocence.

La solution en pareil cas continue à suspendre cet agent (avec maintien en gros d’éléments de sa rémunération hors primes) ou d’accepter sa mise en congés maladie.

Bien que suspendu, l’agent n’en demeure pas moins lié au service et en position d’activité, et dispose en conséquence dans cette position du droit à congé de maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l’impossibilité d’exercer les fonctions qu’il exercerait s’il n’avait pas été suspendu (CE, 22 février 2006, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité c/ M. T., req. n° 279756). Dès lors, il a droit au régime de rémunération afférent aux congés de maladie, ce qui a pour effet de mettre implicitement mais nécessairement fin à la suspension. L’administration peut cependant à nouveau suspendre l’agent à la fin de son congé de maladie (CE, 26 juillet 2011, M. T., req. n° 343837).

En revanche, l’agent suspendu n’acquiert pas de droits à congés annuels dans la mesure où il n’a pas accompli ses fonctions (CAA Marseille, 3 avril 2007, M. R., req. n° 04MA01459, AJDA 2007, p. 1668).

Oui… mais l’administration n’est jamais obligée de suspendre l’agent incarcéré (C.E. 25 octobre 2002, n° 247.175).

Vient alors une réelle difficulté car le juge en déduit qu’en cas de contrôle judiciaire interdisant toute activité professionnelle au sein de l’administration d’origine il peut en résulter une absence de rémunération (C.E. 10 octobre 2011, n° 333.707).

C’est ce qui vient d’être appliqué par le TA de la Guadeloupe dans une affaire complexe qu’il n’est absolument pas question d’évoquer ici dans son contenu même. Je connais les plaignants. Je connais le mis en examen. Et je ne connais pas cette affaire dont je ne suis d’ailleurs pas saisi en tant qu’avocat.

Il s’agit juste ici de signaler cette jurisprudence, d’une part, et de souligner cette difficulté en droit, d’autre part.

Que la collectivité s’estimant victime ne veuille pas rémunérer son agent, on peut le concevoir. En tant qu’avocats de collectivités, nous sommes bien placés pour le comprendre… 

Mais qu’il en résulte qu’un agent public, titulaire, mis en examen, bénéficiant toujours en droit de la présomption d’innocence, puisse (quel que soit la situation du dossier au fond en l’espèce) ne pas avoir du tout de revenus est un vrai problème. 

L’auteur des présentes lignes ignore si la partie perdante en l’espèce se pourvoira ou non en cassation.

Mais il est certain qu’en pareil cas, devrait exister (si cette jurisprudence venait à être confirmée) un régime permettant aux agents publics locaux mis en examen de bénéficier, au moins, d’un minimum vital de rémunération tant qu’ils ont le bénéfice de leur présomption d’innocence.

Lors de débats parlementaires il y a quelques temps, il avait été évoqué qu’en un tel cas (mise en examen ; pas de condamnation définitive — et donc présomption d’innocence — ; contrôle judiciaire interdisant de travailler à sa collectivité) la solution serait que le mis en examen soit renvoyé au centre de gestion ou au CNFPT.

Ce serait le bon sens.

Et cela éviterait à la collectivité qui s’estime victime de payer cet agent (ce qui médiatiquement peut être difficile). Mais sauf évolution de cette jurisprudence, c’est alors au législateur de prévoir une telle solution.

En attendant, en l’état actuel du droit, voici cette ordonnance. A chacun de se faire une idée du point de savoir si celle-ci est conforme, ou non, à l’état du droit de lege lata et de lege ferenda.

TA Guadeloupe, Ord., 19 octobre 2017, n° 1701040 et 1701050 :

1701040 1701050