Un maire peut-il recruter sa soeur comme DGS ?

Un maire de l’agglomération lyonnaise avait trouvé commode de recruter sa soeur comme DGS.

Est-ce susceptible d’être une prise illégale d’intérêts ?

OUI répond la Cour de cassation. C’est bien évidemment une confirmation sans surprise (I). Mais cet arrêt va être publié au bulletin, car il apporte un élément nouveau sur le quantum des peines et leur motivation par le juge du fond (II).

 

 

I. Un arrêt confirmatif

 

Ce blog a souvent traité des prises illégales d’intérêts :

https://blog.landot-avocats.net/?s=prise+illégale+d%27intérêt

Et l’auteur de ces lignes se permet même sur ce point de renvoyer à sa propre thèse de doctorat en droit consacrée à ce sujet :

 

Rappelons deux ou trois bases en ce domaine : ce délit sanctionné par l’article 432-12 du Code pénal vise à écarter, aux termes de Portalis (un des grands juristes des codes napoléoniens), « jusqu’au soupçon de mêler des vues d’intérêt privé avec les grands intérêts publics confiés à leur sollicitude ».

Tout agent public, au sens très large de l’expression, sera coupable dès qu’il aura ait pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque (même moral) « dans une entreprise ou dans une opération dont [il avait], au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

La prise illégale d’intérêts ne sanctionne pas que des cas manifestes de fraude : c’est une redoutable arme contre les élus honnêtes et les cadres territoriaux irréprochables. En effet, le juge a une vision extrêmement extensive de cette infraction :

  • une personne sera supposée avoir l’administration ou la surveillance d’une affaire publique, au sens de l’article 432-12 du Code pénal, dès lors qu’il a en charge un domaine en pratique, même par simple bonne volonté en dehors de toute délégation de signature ou de compétence à cet effet ;
  • l’intérêt personnel sanctionnable pourra être, selon le juge, « moral », c’est-à-dire qu’on peut être intéressé non pour son patrimoine matériel, mais pour l’intérêt que l’on porte à autrui, membre de sa famille ou autre. Dès lors ont été sanctionnés des édiles qui auraient du se déporter parce qu’un de leurs familiers se présentait à un poste à pourvoir, ou parce que la commune omettait de percevoir une redevance d’un beau-frère du maire garagiste dont les voitures occupaient la chaussée alors même que ladite redevance n’avait jamais été payée sous aucune municipalité précédente, nul n’ayant envisagé que cette occupation du domaine pût donner lieu à perception d’une redevance dans le village. Etc.

Restent quelques dérogations atténuant la rigueur de cette infractions dans les communes de moins de 3 500 habitants.

En termes de légalité administrative, pour les exécutifs locaux : il ne suffit donc pas de « sortir de la salle » en suivant à la lettre les articles L. 2131-11, L. 2541-17 L. 2122-26 du CGCT (ainsi que les art. L. 421‑2‑5 et  L. 315‑1‑1 du Code de l’urbanisme ou les dispositions comparables du code forestier).

En effet, toute délibération ou décision susceptible de constituer cette infraction de l’article 432-12 du Code pénal est illégale de plein droit.

 

Or, cela fait belle lurette que le juge pénal sanctionne l’élu qui recrute des membres de sa famille au titre de l’article 432-12 du Code pénal (voir par exemple Tbl. corr. Meaux, 19 octobre 2006, C., CM-4011).

N.B. : dans certains cas, il est possible de sécuriser ces recrutement si l’élu n’est pas directement le décideur en ce domaine… mais c’est à manier avec précaution.

Pour un exemple assez récent de prise en compte par le juge pénal, par exemple, voir TA de La Guadeloupe, 1er décembre 2016, n°1401232:

 

L’arrêt de référence sur ce point est : Cass. crim., 22 sept. 1998, Tepa Taratiera, n°96-83.990 : Droit pénal, 1999 n° 21 (intérêt pour la signature d’un contrat d’embauche d’une sœur) :

 

Plus amusant : l’ancien plus jeune maire de France, par ailleurs étudiant en droit, qui aurait contracté, au nom de la commune, et sans délibération, avec l’agence immobilière de sa mère :

 

NB pour les emplois de cabinet, il faut désormais appliquer les deux lois du 15 septembre 2017 :

 

Attention à l’étendue des liens à prendre en compte : Prise illégale d’intérêts : le lien d’amitié suffit pour constituer l’infraction… 

 

En l’espèce, M. T a été été cité pour avoir, en sa qualité de maire de la ville de Givors, commis cette infraction de prise illégale d’intérêts… en prenant un intérêt moral à la nomination de sa soeur, Mme I…, en qualité de directrice générale des services de la commune, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations de nomination, après avoir notamment, d’une part, participé activement à la sélection des candidats, aux entretiens du jury de recrutement et au vote de ce dernier, d’autre part, signé personnellement les arrêtés municipaux de nomination de sa soeur.

Bref, peu importe que le recrutement ait été fait dans les formes et procédures prescrites. La présence du maire à ces étapes, directement ou par l’entremise d’autrui, suffit à constituer l’infraction…

Amusant ; l’expression immémoriale, locale, « faire comme à Givors » signifie agir à sa guise (voir ici)… ce qui ne manque pas de sel en l’espèce.  

La Cour de cassation rejette le recours en cassation puisque la cour :

  • pose que le « lien familial unissant les deux prévenus, frère et soeur, constitue un intérêt moral et suffit à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte
  • confirme qu’en « vertu d’une jurisprudence constante, l’abus de fonction ainsi caractérisé suffit à lui seul pour consommer le délit de prise illégale d’intérêts et l’intention coupable est constituée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit. Il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse. »
  • rappelle que « le fait qu’un prévenu, maire d’une commune, se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci. »

 

II. Mais un arrêt innovant sur le quantum des peines et leur motivation par le juge du fond

 

L’arrêt rendu par la Cour d’appel a cependant été (très) partiellement invalidé par la Cour de cassation en que c’est trop laconiquement, sans réelle motivation au fond, que l’arrêt a fixé le quantum des peines :

« 22. Pour condamner M. T… à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligibilité et Mme I… à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, l’arrêt attaqué énonce que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné.
« 23. En l’état de ces seules énonciations, sans mieux s’expliquer sur la gravité des faits, les éléments de personnalité des deux prévenus et leurs situations personnelles respectives, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
« 24. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
« Portée et conséquences de la cassation
« 25. La cassation sera limitée au prononcé des peines, dès lors que les déclarations de culpabilité n’encourent pas la censure. »

 

VOICI CET ARRET

Cass. crim., 4 mars 2020, 19-83.390, Publié au bulletin

 

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